Photogramme de l’homme qui rétrécit, Jack Arnold, 1957
« Tu es assez grand pour comprendre que Grant Williams, l’acteur qui joue l’homme qui rétrécit, n’a pas rapetissé, que cet effet a été créé par un chef décorateur habile qui a fait construire un fauteuil énorme dans lequel pourrait s’asseoir un géant de quatre mètres, mais l’impact sur toi est néanmoins extraordinaire et troublant. Il n’y a là rien de compliqué, c’est juste une affaire d’ajustement d’échelle, et pourtant l’étonnement et la sensation de dislocation te submergent, te fascinent, te dérangent, comme si toutes les représentations du monde physique que tu avais supposées vraies jusqu’ici venaient d’être brutalement remises en question. » Excursions dans la zone intérieure de Paul Auster, 2014
Les classes parisiennes inscrites dans le dispositif Ecole et cinéma ont pu vivre une expérience cinématographique qui hante Paul Auster depuis plus de cinquante ans, voir l’homme qui rétrécit dans une salle de cinéma ! Dans le cadre des ateliers organisés par Enfances au cinéma, trois classes se sont interrogées sur les trucages utilisés par Jack Arnold dans son film culte et ont réalisé des photomontages qui explorent l’infiniment grand et l’infiniment petit …
Les CM2 de Florence Aadari, école Vaucanson
Les CE2 de Catherine Delon, école Colonel Moll
Les CE2 d’Astrid Youssef, école Milton
Les CE2 d’Astrid Youssef, école Milton
Documents et vidéos en lien avec l’homme qui rétrécit, c’est ici et là !
Depuis plusieurs années, l’école maternelle Kergomard de Gennevilliers est une fidèle du dispositif « Ecole et cinéma ». Les trois classes de grande section ont un rapport privilégié avec le cinéma de la ville : visite des lieux, projection des films… Au mois de juin, le cinéma Jean Vigo accueillera les enfants et leurs parents pour une projection sur grand écran de leur séance animée !
« Le vent » de Victor Sjöström, 1928, Festival « La chair, la mort et le diable » Musée d’Orsay
Marcos me reçoit dans la pièce principale de son appartement. Des rayonnages de DVD, de livres et de revues tapissent les murs, une table disparaît sous une montagne de documents. Des jouets de construction laissés au sol par ses trois jeunes garçons rappellent que le lieu est à la fois un espace familial et un espace de travail. Pour Marcos, le cinéma se décline sur tous les tons, sujet d’étude et de travail, pratique amateur et professionnelle, plaisir personnel et objet de partage, partage de connaissance et d’émotion …
Se présenter en quelques mots…
Je suis avant tout cinéphile. J’exerce plusieurs métiers liés au cinéma. Je suis à la fois critique et programmateur. Je fais de la formation auprès de divers publics. J’essaie aussi de réaliser. Pour résumer, tout tourne autour des films : en voir, en montrer, en parler et peut-être en faire.
Qu’est-ce qui a été le plus formateur pour toi dans ton enfance ?
Enfant, j’étais très casanier, pas très sportif. Lorsque j’avais 13 ans, ma mère m’a inscrit à un club photo. Ça été décisif pour moi. Grâce à la photo, je suis sorti de chez moi, ça m’a donné une bonne raison d’aller à la découverte du monde qui m’entourait et à la rencontre des autres !
Une image qui t’accompagne …
Il y a un film que j’ai découvert ado et que je revois souvent, que je connais presque par coeur : «Partie de campagne» de Jean Renoir.
« Partie de campagne » de Jean Renoir, 1946
C’est l’un des films les plus sensuels qui soient et en même temps l’un des plus mélancoliques.Il reste mon film préféré.
Quel est ton premier souvenir de cinéma ?
C’était en Espagne, dans une très grande salle. Je devais avoir trois ans. Je me souviens d’un gorille géant détruisant des hélicoptères puis faisant un signe aux spectateurs pour montrer qu’il était le plus fort. J’étais effrayé et je ne comprenais pas pourquoi les gens autour de moi riaient. Je crois avoir retrouvé depuis de quel film il s’agissait : « APE », une parodie de King-Kong réalisé par Paul Leder.
« Ape » de Paul Leder, 1976
Tu as eu aussi très tôt, dès l’adolescence, le désir de faire des films, peux-tu nous parler de tes premières expériences derrière la caméra ?
A 15 ans je me suis acheté une caméra super 8. Je faisais des petites fictions avec des copains. Je me souviens aussi d’un film sur mon chat, dans lequel j’avais imaginé l’un de ses rêves. J’avais mis un bas sur l’objectif de la caméra pour rendre l’image floue puis j’ai filmé au ralenti une multitude de fenêtres et de portes qui se fermaient…
Je continue à filmer régulièrement en Super 8, ma famille et mes amis essentiellement. C’est un format amateur assez simple à utiliser tout en restant du cinéma, avec une image à projeter. Mon goût pour ce format est aussi lié au fait que mes grands-parents filmaient beaucoup en Super 8 (la famille, leurs voyages). Quand, j’étais enfant nous regardions leurs films chaque Noël. L’image Super 8 a une texture unique, je ne connais rien de plus beau pour garder des souvenirs.
Après ton bac tu t’inscris au département Cinéma de Paris 8 avec Jean Narboni plutôt qu’à La Fémis, le «dire» l’emporte-t-il alors sur le «faire» ?
Non, je venais d’avoir mon bac à Angers. Pour intégrer la Fémis, il faut un niveau bac + 2. J’ai donc décidé de faire un DEUG avant. La fac de Paris 8 était facile d’accès pour un étudiant de province. Il y avait encore un esprit soixante-huitard qui avait ses inconvénients mais qui offrait surtout une formidable liberté, de pensée, de parole. J’ai fait des rencontres marquantes. Jean Narboni, qui avait notamment été rédacteur en chef des Cahiers du Cinéma, représentait pour moi une figure importante de l’histoire de la critique. J’ai beaucoup apprécié son rapport aux films. Il ne faisait pas de cours magistraux, il nous montrait des films et provoquait l’échange. Il se mettait en retrait pour faire participer les étudiants, sans se placer au-dessus d’eux. J’étais tellement bien à Paris 8 que je n’ai finalement jamais passé le concours de la Fémis. D’ailleurs, Paris 8 était une fac où il y avait pas mal de pratique. Par exemple, j’avais un cours de montage (en 16 mm) avec Cécile Decugis qui a travaillé avec Godard, Truffaut, Rohmer…
« A bout de souffle » de Jean-Luc Godard, 1960 Montage: Cécile Decugis
C’est aussi à Paris 8 que j’ai réalisé mon premier court métrage en 16 mm. J’avais eu droit à deux bobines de 30 mètres (6 min environ). J’ai filmé un taxidermiste, puis j’ai ajouté un commentaire en voix off. C’est un film très inspiré du « Sang des bêtes » de Georges Franju, qui avait été un choc pour moi.
« Le sang des bêtes » de Georges Franju, 1952
Un an plus tard, toujours à Paris 8, j’ai réalisé « La ville des chiens » sur la vieille ville de Goussainville, qui était devenu un véritable village fantôme depuis la construction de l’aéroport de Roissy. Bref, il était possible de réaliser des films dans cette université. Le « voir », le « dire » et le « faire » allaient ensemble.
Que t’inspire la vieille idée du critique vu comme un cinéaste frustré ?
Il y en a sûrement ! Mais c’est une vision très négative. Moi, je crois plus à l’idée de Jean Douchet que la critique est l’art d’aimer.
« L’art d’aimer » de Jean Douchet, Petite bibliothèque des Cahiers du cinéma, 2003
On écrit pour des raisons contraires à la frustration, on écrit pour formuler des sensations, des idées sur les films. Il faut rappeler que quand on écrit des critiques, on est rarement payé. Les critiques gagnent leur vie autrement. C’est par passion qu’on fait ça, et non par ressentiment ! Par ailleurs, même si ce n’est pas mon cas, je ne suis pas choqué que des critiques ne s’intéressent pas du tout à la pratique. On peut très bien parler d’un film sans savoir en faire.
J’ai été touché que le comité de rédaction de la revue Trafic me demande d’intégrer la revue. Cette revue mythique a été fondée notamment par Serge Daney il y a une vingtaine d’année. Cela correspond à peu près à mon arrivée à Paris. Je me revois très bien achetant le numéro 1. Le rythme de parution, trimestriel, permet un recul, une liberté par rapport à ce qu’on appelle « l’actualité du cinéma », imposée par le rythme des sorties en salles. François Truffaut a défini la politique des auteurs de films, Serge Daney avait, quant à lui, l’ambition de proclamer la politique des auteurs de textes sur le cinéma. Dans Trafic, c’est chaque auteur qui définit ce qui constitue pour lui l’actualité cinématographique, son actualité de spectateur. Ça peut être un film qui vient de sortir aussi bien qu’un film muet, une installation d’art contemporain autant qu’une question esthétique qui traverse toute l’histoire du cinéma.
Trafic, collectif, éditions P.O.L, 2011
Tu participes à des actions liées à l’éducation à l’image notamment dans le cadre du dispositif «école et cinéma». Quels sont pour toi les fondements d’une culture cinématographique ?
Ce que j’essaie de faire passer aux enfants mais aussi aux adultes, c’est de se sentir très libre par rapport aux films, sans aucune barrière culturelle. Ce n’est pas si facile d’être totalement soi-même devant un film, en mettant de côté tout ce que l’on en sait déjà, en ne se laissant pas écraser par tout le poids culturel dont il est chargé. Par exemple, il est toujours très difficile de voir pour la première fois un film qui est considéré comme un « grand classique », parce que notre regard est déjà conditionné par sa réputation. C’est d’autant plus vrai dans un cadre scolaire. Alors, pour dépasser ça, il faut permettre aux élèves d’exprimer le plus librement possible ce qu’ils ont ressenti, en leur disant que nous n’attendons pas des bonnes ou des mauvaises réponses de leur part, ni même qu’ils aiment ce qu’on leur montre, mais seulement qu’ils sachent exprimer leur émotion ou leur rejet. Il faut donc éviter les grilles de lecture préétablies, les idées arrêtées. Je pense à cette phrase de Truffaut : « Il faudrait considérer les films comme des êtres vivants ». Pour moi, à chaque film c’est tout le cinéma qui se rejoue. Il n’y a pas une conception du cinéma qui est plus légitime qu’une autre. Je peux aimer avec la même force des films très différents dans leur vision du cinéma, un film néo-réaliste italien autant qu’un film fantastique hollywoodien, un documentaire de Flaherty autant qu’un dessin-animé de Tex Avery. C’est en cela que le cinéma est un art : chaque artiste le réinvente pour lui-même. De même, en chaque spectateur chaque film résonne d’une façon différente.
« The Cuckoo Clock » Tex Avery, 1950
Tu as un lien très fort avec la maison d’édition «Yellow Now» en tant qu’auteur mais aussi en tant que directeur de la collection «Côtés films». Qu’est-ce qui t’anime dans cette fonction ?
C’est un travail assez beau que d’aider les auteurs à accoucher d’un livre. Tout commence par mon propre plaisir de lecteur. Il y a quelques textes sur le cinéma qui m’ont autant marqué que des films. Ecrire sur le cinéma peut être un vrai exercice de création. Au départ de la collection, on était deux directeurs, je travaillais avec Fabrice Revault qui a été un de mes profs à Paris 8. L’idée était de proposer à des auteurs que l’on aimait d’écrire sur des films qu’ils aimaient, sans contrainte, sans cahier des charges. Dans cette collection, j’ai édité des auteurs qui m’avaient marqué quand j’étais étudiant. C’est assez émouvant de continuer de cette façon le « passage de relais ». Je pense à Narboni, à Revault mais aussi à Prosper Hillairet qui était un prof passionné et passionnant qui m’avait fait découvrir le cinéma expérimental, le cinéma underground américain.
« Coeur fidèle de Jean Epstein » de Prosper Hillairet, 2008
Tu es aussi depuis quelques années programmateur à l’auditorium du Musée d’Orsay. En lien avec les expositions du musée, tu réalises un travail important de défricheur du cinéma des origines. Quelle part de contraintes et de liberté rencontres-tu dans ce travail ?
Ma programmation doit avoir un lien, soit avec les expositions du musée, soit avec la période de référence (1848-1914). Je peux travailler sur une thématique (Rêver d’Edgar Allan Poe), sur un cinéaste (Alice Guy), sur une maison de production (Dans la nuit de la Hammer)…
Par exemple, en lien avec l’exposition « L’ange du bizarre », on a décidé de proposer un sujet de cycle qui puisse exister à part entière plutôt qu’une programmation uniquement illustrative du thème de l’exposition. D’autant que le cinéma y est déjà très présent à travers des projections d’extraits de films, il ne fallait donc pas être redondant. On a donc cherché à mettre en valeur une cinématographie assez rare, méconnue du grand public et même de certains cinéphiles, en présentant des films de trois grands auteurs scandinaves : Sjöström, Christensen et Stiller. Le public était présent aux séances, on est content d’avoir donné une visibilité à ces films, dont certains sont parmi les plus beaux du cinéma muet. C’est très satisfaisant de montrer des films rares, et que des gens viennent les voir et les aiment. Ça donne le sentiment de participer un tout petit peu à l’histoire du cinéma…
Une dernière question ! Dans le texte de présentation, au dos de la couverture de ton livre sur Tourneur, on apprend que tu as fait une conférence sur Boby Lapointe à des universitaires anglais…
C’est vrai, j’ai réellement fait une conférence sur Boby Lapointe à Manchester ! C’était pour un colloque consacré à la chanson française. J’ai répondu à une annonce en proposant une contribution sur Boby Lapointe et j’ai été retenu. Même si j’avais face à moi un public francophone, l’explication de certains jeux de mots à des anglais était un vrai défi ! On ne peut pas imaginer un chanteur plus intraduisible que Boby Lapointe.
Boby Lapointe et Charles Aznavour dans « Tirez sur le pianiste » de François Truffaut, 1960
J’aime bien la chanson même si j’ai un rapport d’amateur avec cet art. Je me suis beaucoup amusé à réaliser des petits clips en Super 8 pour le chanteur Athanase Granson et le groupe Like billy-ho .
Le 23 février s’ouvre la 13 ème édition du festival « Image par image » dans le Val d’Oise, rendez-vous devenu incontournable pour tous les passionnés du cinéma d’animation. Depuis les origines, Yves Bouveret est au coeur de son organisation. Sa curiosité, son enthousiasme, son sens du partage et de la convivialité ont permis de fédérer autour de lui de nombreux partenaires. Des institutions au monde culturel, chacun se sent engagé pour que cet évènement rencontre un public toujours plus varié et nombreux ! Yves a accepté le temps d’un entretien d’être sous le feu des projecteurs.
Peux-tu te présenter en quelques mots…
Je suis Yves Bouveret, je m’occupe d’une structure associative Ecrans VO depuis 10 ans. Cette association met en réseau 20 cinémas du Val d’Oise pour un travail d’action culturelle.
Qu’est-ce qui a été le plus formateur pour toi dans ton enfance ?
Le plus formateur dans mon enfance, ça n’a pas été l’école mais c’est lorsque j’ai été scout de France. Cette activité m’a donné beaucoup de liberté par rapport à ma famille et à l’école. Ce n’était ni l’idéologie religieuse qui était importante, ni bien sûr l’uniforme, car on était en jean, mais une forme d’«utopie réaliste» incarnée par des projets où le «vivre ensemble» était fondamental. A 15 ans j’ai fait un voyage de plusieurs semaines en Israël-Palestine, nous étions une dizaine d’adolescents encadrés par des jeunes de 20 ans. Nous nous déplacions en stop. C’était en 1982, pendant la guerre du Liban. L’été suivant nous partions en Corse faire une tournée avec la pièce de Bernard Shaw, « Androcles et le lion ». Ces expériences ont été fondatrices pour moi de l’importance d’être acteur et non spectateur dans certaines situations !
Une image qui t’accompagne …
La première image qui me vient est un rêve heureux récurent de mon enfance. Après une poursuite en forêt, je tombe lentement dans une salle de bal digne de celle du Guépard de Visconti. Je me réveille juste au moment de l’atteindre. Ce rêve me fait aussi penser aux films du réalisateur suisse Georges Schwizgebel.
Claudia Cardinale et Burt Lancaster dans le Guépard de Visconti, 1963
J’ai été aussi marqué par un livre de photographies du vingtième siècle. Si mes souvenirs sont bons, on voyait sur la couverture Eisntein tirer la langue.
Einstein photographié par Arthur Sasse, 1951
Après le bac, tu as suivi des études de gestion. Avais-tu le projet, dès ce moment-là, de travailler dans le milieu culturel et plus particulièrement dans le cinéma ?
Non, pas du tout. Je ne savais pas ce que j’allais faire. Mon orientation est plus liée à un réflexe sociologique qu’à un véritable choix. Mon grand-père s’occupait d’une grosse mutuelle, mon père avait fait HEC… J’ai fait un IUT de commerce international, puis j’ai travaillé dans une boulangerie pendant 6 mois à Londres. A mon retour, l’armée m’attendait et lorsque j’ai été libéré de mes obligations militaires j’ai fait une école de gestion en 3 ans. Pendant la deuxième année, j’ai été responsable d’une association d’étudiants «le Raid Africain des Grandes Ecoles». C’était un projet d’envergure, nous apportions en Afrique de l’Ouest des 504 pick-up. Au delà de l’apport matériel, le projet, sous l’égide de l’UNICEF, était théoriquement humanitaire mais en réalité nous avons pu développer un réel échange culturel avec les gens que nous rencontrions. En troisième année, j’ai fait un stage de 10 mois chez Nestlé-Findus, j’ai commencé à savoir ce que je n’avais pas envie de faire. Au delà de gagner ma vie, j’avais besoin que mon travail ait un sens. A ma sortie de l’école j’ai fait un boulot alimentaire à mi-temps à la Maison Européenne de la photo.
Puis, tu es devenu pendant 9 ans (1993-2002) directeur-programmateur au cinéma Les Toiles de Saint Gratien dans le Val d’Oise. Comment cela s’est-il passé ?
Le cinéma «Les Toiles» existait à Saint Gratien depuis 1974, il avait été implanté au fond d’un forum. En 1992, il avait fait faillite et était fermé depuis 6 mois. Je connaissais le chef de cabinet du maire, François Busnel. Nous avions travaillé ensemble sur le Raid Africain des Grandes Ecoles, il en assurait la couverture médiatique pour RFI. On est resté en contact et il m’a proposé de déposer un dossier pour prendre la direction du cinéma avec un projet de reprise des 3 salles. Notre projet reposait sur une programmation de films «Art et Essai», nous avions comme modèle le fonctionnement proposé par les salles Utopia basé sur la multi programmation. Nous programmions 10 films par semaine sur les 3 salles du cinéma. Les spectateurs prenaient rendez-vous avec une oeuvre ! Nous voulions qu’un lien culturel se crée entre les spectateurs et la salle de cinéma. Nous avons aussi supprimé la publicité, la confiserie et nous avons mis systématiquement des courts-métrages en première partie. Pendant 5 ans, nous avons fonctionné avec une équipe de 3 personnes, nous étions des militants ! Pendant la journée, nous assurions le travail administratif, la programmation, la rédaction d’une brochure avec un éditorial, l’accueil des scolaires… et le soir, une semaine sur trois, nous tenions la caisse. Nous avons été soutenu par le maire, François Scellier.
Les Toiles au forum de Saint Gratien
Le succès a été au rendez-vous, nous sommes passés de 30 000 spectateurs à 72 000 spectateurs en 10 ans, le bouche à oreille a bien fonctionné, nous avons répondu à une attente. Le cinéma a eu un retentissement sur les villes voisines, le lieu était fortement identifié, nous sommes rentrés dans un cercle vertueux. Dès le début, nous avons été sensibles au jeune public et avons développé une action vis à vis des scolaires. Nous avons participé très tôt aux dispositifs nationaux, « école et cinéma » et «collège au cinéma». Nous étions très souples, très à l’écoute des demandes des enseignants dans le choix de notre programmation. ll était important que l’accès au cinéma soit simple et à l’écoute du terrain.
Un événement marquant de cette période …
Tous les réalisateurs qui sont venus rencontrer notre public. Bertrand Tavernier a été le premier avec « Capitaine Conan ». Il est revenu plusieurs fois, les débats pouvaient durer jusqu’à deux heures du matin. Je me souviens aussi de la venue de Patrice Leconte pour « Ridicule ». Pendant la projection du film, nous sommes allés manger au Mac Do en 2 CV. Leconte était en train de réaliser des pubs pour Mac Donald… Une des plus belles rencontres que j’ai faite aux Toiles a été la venue d’Emmanuel Finckiel pour son film « Voyages ».
« Voyages » d’Emmanuel Finckiel, 1999
Combien de films vois-tu par an ? Ton regard de spectateur a-t-il évolué ?
Lorsque j’étais directeur des Toiles je voyais entre 200 et 250 films par an. Nous faisions un choix collégial de programmation, nous allions au festival de Cannes , à Annecy, à la Rochelle… Quand tu regardes un film dans l’objectif de programmer, ton regard est forcément critique… Maintenant, j’ai retrouvé la position hédoniste du spectateur, je choisis les films que j’ai envie de voir, je ne suis plus dans la position du programmateur. Mon rapport aux films est essentiellement lié à l’envie, au plaisir.
Quelle est l’année de naissance de l’association Ecrans VO ? J’ai trouvé deux dates, 1995 et 2002 … Peux-tu nous dire ce qui a été à l’origine de cette création ?
1995, c’est le centenaire du cinéma. Le Conseil Général du Val d’Oise a demandé aux salles d’organiser des petits évènements pour fêter cet anniversaire. Nous avons donc créer l’association Ecrans VO dans le but de fédérer l’action des salles de cinéma du Val d’Oise. Ensuite l’association est tombée en sommeil jusqu’en 2002. Entre-temps, les premiers multiplexes sont apparus, le Mégarama de Villeneuve la Garenne est créé en 1996. C’est un total bouleversement du paysage cinématographique. Le maire de Saint Gratien est devenu président du Conseil Général. Il décide d’appliquer une politique d’aide aux salles. En 2000 un poste de chargé de mission «images et cinéma» est créé puis en 2002 je deviens directeur de l’association Ecrans VO qui renaît de ses cendres. Le dénominateur commun aux salles est l’accueil du «jeune public», l’une des premières missions de l’association a donc été d’organiser avec l’Education Nationale et la DRAC des actions telles que «école et cinéma» et «collège au cinéma». Les projets développés avec les salles sont à géométrie variable. Chaque cinéma a une histoire, une situation et des locaux spécifiques. L’association est un lieu de débat où des problématiques communes sont discutées ( régulation des multiplexes, passage au numérique, nouveaux rythmes scolaires…). L’association permet de faire vivre un réseau qui est bénéfique à tous.
Une autre mission essentielle d’ Ecrans VO est l’organisation du festival «Image par image» qui en est cette année à sa treizième édition.
Dès 1996 nous avons organisé un mini festival d’animation à Saint Gratien à la demande de directeurs d’école qui souhaitaient que leurs élèves puissent se construire une réelle culture cinématographique. Nous avons été rejoints très vite par le cinéma d’ Argenteuil pour l’organisation de ce festival à destination essentiellement des scolaires. Avec la nomination d’un chargé de mission «images et cinéma» au Conseil Général, une dynamique territorial s’installe. Le cinéma « Les toiles » bénéficie d’une subvention pour élargir le festival à tout le Val d’Oise. Lors de la première édition, en 2001, 10 salles de cinéma sont concernées. Le festival devient donc départemental et « tout public ». Nos premiers invités sont les réalisateurs belges, Vincent Patar et Stéphane Aubier pour leur série de courts métrages « Pic Pic André Shows ».
» Pic Pic André » Vincent Patar et Stéphane Aubier
Le chargé de mission, Olivier Millot, organise en parallèle du festival, une grosse exposition à l’abbaye de Montbuisson sur le cinéma d’animation. Lorsque je deviens directeur d’Ecrans VO en 2002, l’organisation du festival revient à l’association.
L’une de ses particularités est d’être un festival sans prix, je ne vais donc pas te demander d’établir un palmarès. Toutefois y a t-il eu des rencontres particulièrement mémorables au cours de ces treize années ?
Oui, bien sûr, les noms de Jean-François Laguionie et d’Isao Takahata me viennent tout de suite à l’esprit. Mais ce dont je me souviens surtout c’est le sentiment de grande liberté que je ressens lors du festival. J’accompagne les réalisateurs sur les routes du Val d’Oise à la rencontre du public. On est dans le concret, j’ai besoin de ça. Je me souviens particulièrement d’une rencontre entre des scolaires et les réalisateurs suédois, Uzi et Lotta Geffenblad. Un programme de courts métrages était proposé aux enfants de maternelle. Le matin nous étions à Villiers le Bel, lors de l’échange avec la salle, on demande aux enfants quels sont ceux qui sont déjà allés au cinéma. Sur une centaine d’enfants, un seul doigt se lève ! On demande à l’enfant quel film il avait vu. Il nous répond «La même chose qu’aujourd’hui, c’était hier avec le centre de loisirs».
» Les pierres d’Aston » d’Uzi et Lotta Geffenblad, 2007
Au fil des années, un lien de fidélité s’établit, je pense notamment à Pierre Luc Granjon, j’ai toujours un immense plaisir à le retrouver. Je me souviens aussi de l’émotion ressentie par Koji Yamamura lors d’une projection scolaire, c’était la première fois qu’il voyait son film avec un public enfantin.
Par tes engagements multiples, professionnels ou bénévoles, tu es devenu une figure reconnue du monde de l’animation. Comment est née cette passion de l’image animée ?
Il y avait plusieurs ciné clubs en 16 mm à Noisy-le Roi et Bailly où j’ai découvert dans des salles combles beaucoup de films comme les « 7 samourais » de Kurosawa ou « Les dents de la mer » de Steven Spielberg. Peu de films d’animation passaient au cinéma et c’est surtout par le biais de la télévision que je les ai découverts : le clip « Love is all » des studios Halas et Batchelor, les aventures de l’ours Colargol, «La traversée de l’Atlantique à la rame» de Laguionie…
Mon premier film en salle a été comme beaucoup d’enfants un Disney, Robin des bois. Mais c’est quand j’étais directeur des Toiles, que j’ai commencé à me construire une culture liée au cinéma d’animation. Dès 1994, je suis allé au festival d’Annecy, c’était très ressourçant, réjouissant de découvrir de nombreuses oeuvres essentiellement en format court. Il y avait aussi le festival de l’AFCA à Auch puis à Bruz… Ce que j’aime dans le cinéma d’animation c’est son aspect poétique, onirique. Je fais le parallèle avec le cinéma muet, notamment les burlesques, les mots laissent de la place aux mouvements, à la musique…Le champ des possibles est ouvert, j’aime ce qui est décalé, absurde, surréaliste. Je suis fan des intermèdes animés des Monty Python mais aussi tout le cinéma d’animation britannique, du studio Aardman à Mark Baker, Joanna Quinn …
» Girls’ Night Out » de Joanna Quinn, 1987
J’ai le sentiment que les films d’animation formatent moins les spectateurs en devenir que sont les enfants. Et puis dans le cinéma en prise de vue réelle, le star-system trouble le discours. Pour moi, le cinéma, ce n’est pas uniquement les acteurs. Je suis sensible à la mise en scène, aux auteurs, aux réalisateurs.
Le festival « image par image » c’est trois semaines de programmation, d’évènements organisés dans 20 lieux différents. J’imagine que la préparation se fait très en amont. As-tu des lignes directrices pour t’aider dans son organisation ?
Le maître mot est l’anticipation. La programmation se fait par strate. La rencontre avec un auteur peut aboutir quelques années plus tard à la mise en valeur de son oeuvre lors du festival. C’est aussi un travail «main dans la main» avec les distributeurs et les producteurs, une relation de confiance s’est établie au fil des années. Notre année de travail est très rythmée, c’est un travail saisonnier. A la rentrée, en septembre-octobre, nous lançons les dispositifs nationaux d’éducation au cinéma puis à partir de novembre, nous mettons toutes nos forces dans la préparation du festival. Après le festival, nous préparons l’assemblée générale, nous réalisons les dossiers de subventions… Le travail administratif prend beaucoup de temps, on essaie de le «modéliser» pour que l’action culturelle soit la plus riche possible. Tout au long de l’année, il est important de se nourrir, de rencontrer des gens, de prendre des contacts. J’aime que mon action soit confrontée au principe de réalité, on n’est pas dans une économie de luxe.
Je ne vais pas te demander de commenter toute la programmation du prochain festival. Très arbitrairement j’ai sélectionné deux évènements sur lesquels j’aimerais que tu nous en dises un peu plus.
Le premier c’est la carte blanche au distributeur «Lardux films».
Après 10 années de fonctionnement, on était à un tournant et on a voulu donner toute son importance au travail des maisons de production. Mon engagement auprès de l’AFCA m’a fait connaître aussi d’autres problématiques de l’animation. Il existe en France une petite vingtaine de producteurs d’animation. Ils ont souvent un lien fort avec leurs auteurs. Après «Je suis bien content», «Les films de l’Arlequin» et «Autour de minuit», c’est au tour de «Lardux films» d’être à l’honneur avec une carte blanche lors de la soirée d’ouverture mais aussi avec la présence de deux auteurs, Anne Laure Daffis et Léo Marchand qui vont partager leurs secrets de fabrication sur leur nouveau film à venir « La Vie sans truc ».
« La vie sans truc » d’Anne Laure Daffis et Léo Marchand
Le deuxième est le choix de Co Hoedeman comme invité d’honneur.
Nous ne sommes pas dans une course à la nouveauté même si nous proposons quelques avant-premières et des travaux en cours. Il est aussi intéressant de ralentir le temps pour appréhender l’oeuvre d’un auteur. Il est important de refaire découvrir ce genre de réalisateur. Nous avons préparé un programme contemplatif avec Co Hoedeman et sa présence prend tout son sens par rapport à notre engagement pour les tout petits.
Co Hoedeman et Ludovic
Des projets ?
Je suis content de faire ce que je fais, je n’ai pas d’usure. Je travaille avec une équipe solide, j’aime le contact avec les élus, les spectateurs, les enseignants … Il est important aussi d’être capable de transmettre, que les choses que l’on construit puissent rester même si vous n’êtes plus là … Parallèlement à mon activité, j’envisage de faire un master de didactique de l’image à Paris 3 en 2013-2014. Il est important pour moi d’étayer par un cursus universitaire toute la connaissance pratique acquise pendant toutes ces années. Je m’intéresse particulièrement aux propositions en matière de cinéma faites aux tout petits. A terme, monter une boîte de production me tente …
Projection-conférence Jiburo de Lee Jung-huang Mercredi 7 mars 2012 Cinéma Jean Vigo à Gennevilliers
Afin de préparer la conférence sur le film Jiburo, j’ai rencontré Kyung Hee, installée en France depuis 35 ans, elle a répondu à mes questions sur la culture coréenne avec beaucoup d’attention et de sympathie, qu’elle en soit remerciée.
Tout d’abord, nous avons regardé des extraits du film « Jiburo », elle m’a aidée à identifier ce que la grand-mère troquait contre la poule ( 34’51). Ce sont des pousses de fougères séchées. Ces pousses sont ramassées au printemps, elles peuvent être mangées fraiches ou bien être séchées pour une consommation plus tardive. Le goût des pousses de fougères rappelle celui des champignons et de la viande, pour cela, elles sont très appréciées par les moines.
Kyung Hee m’a aussi initiée à l’écriture coréenne (Hangeul), elle m’a présenté cette écriture alphabétique inventée au 15 ème siècle par le roi Sejong le Grand. Le monarque souhaitait alphabétiser son peuple en proposant une écriture syllabique simple à écrire. L’opposition des lettrés qui utilisaient les idéogrammes chinois et l’histoire mouvementée de la péninsule coréenne ont retardé l’utilisation du Hangeul dont l’emploi s’est généralisé à la fin de la seconde guerre mondiale seulement. Petite leçon d’écriture, Kyung Hee me montre comment écrire le premier message préparé par Song Woo pour sa grand-mère.
Les coréens n’écrivent que l’adjectif « malade », ils utilisent très rarement les pronoms personnels, si besoin, ils peuvent employer le « nous » mais pas le « je » !