Kôji Yamamura au Carrefour du cinéma d’animation

Le vieux crocodile de Kôji Yamamura, 2005

Le vieux crocodile de Kôji Yamamura, 2005

Promesse tenue ! Le Forum des images annonçait une rencontre exceptionnelle avec Kôji Yamamura, elle le fut au delà de mes espérances. Celui-ci a présenté, avec beaucoup de générosité les oeuvres qui ont composé sa dernière décennie de travail.                             Du Mont Chef aux Cordes de Muybridge, il nous a révélé la logique propre à chacun de ses courts métrages ainsi que les liens qui les unissent. Sa parole relayée avec beaucoup de talent par Ilan Nguyên était accompagnée par la projection de très nombreux croquis de recherche. Je n’ai nullement l’intention ici de faire le compte rendu exhaustif de cette rencontre de plus de trois heures. J’espère qu’elle sera accessible très prochainement sur le webTV du Forum des images. Si dans la structure même de la présentation, l’image et le son ont été pris en compte, c’est l’homme d’images qui m’intéresse avant tout et particulièrement l’enjeu de l’illustration dans sa pratique.

Ilan Nguyên et Kôji Yamamura, Forum des Images, 8 décembre 2013

Ilan Nguyên et Kôji Yamamura, Forum des Images, 8 décembre 2013

Parmi ses multiples sources d’inspiration Kôji Yamamura a rendu hommage à deux illustrateurs. Le premier est l’illustrateur néerlandais, Maurits Cornelis Escher (1898-1972). Une filiation étroite existe entre les deux artistes ; le motif récurent de la métamorphose, les recherches sur la notion d’infini, le désir de donner forme à un espace et à un temps personnels, le jeu sur les réflexions… A l’issue de la projection de son court métrage de fin d’études, Kôji Yamamura présente la lithographie d’Escher qui a nourri sa recherche, Three World. Kôji Yamamura nous explique qu’entre le monde aérien et le monde aquatique existe une membrane très fine à la surface de l’eau qui permet, par le reflet notamment, de jouer sur les interactions entre ces deux mondes. Un des plaisirs de sa pratique du cinéma d’animation est de pouvoir jouer sur les éléments indéfinissables qui surgissent entre deux images…

"Three world", lithographie d'Escher, 1955, http://www.mcescher.com/

« Three world », lithographie d’Escher, 1955, http://www.mcescher.com/

L’hommage suivant est consacré à l’auteur français, Léopold Chauveau (1870-1940). Kôji Yamamura adapte en effet en 2005, un livre illustré de ce dernier, Le vieux crocodile (1923). Il oublie son style personnel pour être le plus fidèle possible aux illustrations d’origine. En parallèle à ses recherches graphiques, Kôji Yamamura réalise des personnages en pâte à modeler afin de mieux appréhender leur physionomie sous différents angles. Il découvre alors que Léopold Chauveau, ancien chirurgien, a créé après la première guerre mondiale des monstres en bronze. Cette activité de sculpteur imprègne ses dessins, donne une épaisseur à son graphisme.

Léopold Chauveau et l'un de ses monstres sculptés

Léopold Chauveau et l’un de ses monstres sculptés

La mise en mouvement des deux personnages principaux, le vieux crocodile et la pieuvre, a passionné Kôji Yamamura. Comment rendre compte de l’apparence physique et de la psychologie propre à chacun des personnages par le contraste visuel de leur déplacement ? L’adaptation du Vieux crocodile est la première histoire d’amour à laquelle il s’est confronté. Histoire d’un amour passionnel si l’on en croit l’utilisation presque subliminale du rouge ! Un magnifique travail qui permet entre autre de découvrir un artiste injustement oublié.

En réponse à une question sur ses moyens de financement, Kôji Yamamura explique que la majorité de ses films sont autoproduits. Il mène en parallèle des travaux de commande et d’illustration qui lui permettent de gagner sa vie. Si nous pouvons avoir une petite idée de son travail d’illustrateur par le biais de son site, il est fort dommage qu’aucun de ses ouvrages ne soit disponible en France.

Son propre travail d’illustrateur peut être à l’origine d’une oeuvre animée. Invité d’honneur en 2006 du sixième festival de cinéma d’animation du Val d’Oise, il a créé l’affiche de l’évènement.

Affiche du festival "Image par Image" 2006

Affiche du festival « Image par Image » 2006

La mise en scène de ces enfants aux situations imaginaires lui donne envie de réaliser un film. Une possibilité d’aide de l’Agence Culturelle du Japon précipite les choses.  Il a quelques jours pour déposer un dossier de subventions. Il n’a pas de base narrative ou de concept, seul un motif visuel avec lequel il a envie de s’amuser.  Le choix du titre Une métaphysique de l’enfance donne de la cohérence à son projet. Son film se présente comme un enchaînement de vignettes indépendantes mettant en scène un enfant, seul protagoniste. Kôji Yamamura voit son court métrage comme un hommage à la rébellion enfantine.


A la fin de sa présentation Kôji Yamamura annonce qu’il travaille actuellement à l’adaptation d’illustrations qu’il a réalisées pour la couverture d’une revue littéraire japonaise, Bungakukaï. L’aventure ne fait que commencer !

Couverture de la revue Bungakukaï par Koji Yamamura, Septembre 2013

Couverture de la revue Bungakukaï par Koji Yamamura, Septembre 2013

Et pour finir, admirez le cadavre exquis réalisé par 70 étudiants en cinéma d’animation répartis en 17 équipes. Chaque équipe est partie de la même image de Kôji Yamamura qui ouvre et ferme chaque séquence de 10 secondes.

« Les aventures fantastiques » de Karel Zeman

Les Aventures fantastiques de Karel Zeman, 1958

Les Aventures fantastiques de Karel Zeman, 1958

A l’ouverture du film, la voix de Simon Hart nous accueille. Ce jeune ingénieur vient de vivre une aventure extraordinaire qu’il souhaite partager avec nous, spectateurs. Sur son bureau, son journal intime côtoie une pile de livres de Jules Verne. Il en saisit un, le feuillette et nous montre de magnifiques illustrations. La caméra s’arrête sur une gravure représentant un bateau en pleine mer, subitement le bateau se met en mouvement …

Karel Zeman a adapté un roman peu connu de Jules Verne, Face au drapeau, paru en 1896 aux éditions Hetzel. L’originalité de cette adaptation cinématographique est l’intérêt porté aux illustrations de la première édition. En effet, Zeman fait vivre à l’écran les gravures de Léon Benett en combinant prise de vue réelle et technique d’animation « image par image ». Les personnages joués par des acteurs évoluent dans des décors inspirés des gravures. Le choix du noir et blanc, l’omniprésence des rayures et l’importance des surfaces plates nous indiquent que nous ne sommes pas dans la réalité mais dans un monde inventé dans lequel nous allons vivre le temps d’une projection.

Face au drapeau, Illustration de Léon Benett, 1896

Face au drapeau, Illustration de Léon Benett, 1896

Les aventures fantastiques de Karel Zeman, 1958

Les aventures fantastiques de Karel Zeman, 1958

La réussite de Zeman est qu’on oublie sa virtuosité technique pour rentrer pleinement dans le récit des Aventures fantastiques. Son adaptation est très libre, son récit est moins sombre que le roman d’origine. Le professeur Roch notamment n’est plus un inventeur mégalomane mais un savant naïf, déconnecté de la réalité. Simon Hart est le héros positif par excellence, ingénieux, droit, courageux … Zeman n’hésite pas à introduire des scènes visuellement très poétiques comme la fusion de deux poissons se transformant en papillon. Ils ponctuent aussi son récit avec des scènes humoristiques qui, si j’en crois les rires qui ont fusé dans la salle du Studio des Ursulines, fonctionnent toujours ! Il crée aussi de multiples objets aussi fabuleux les uns que les autres, un fer à repasser très original, une pince à crayon démesurée et une variété incroyable de moyens de transport. J’ai un petit faible pour le vélo sous-marin !

Le fer à repasser -canon

Le fer à repasser -canon

le vélo sous-marin

le vélo sous-marin

Cette reprise est un très beau cadeau de rentrée, merci aux Films Malavida qui ont travaillé avec le musée Karel Zeman de Prague pour nous l’offrir !