Valentin Rebondy, gérant de la société de distribution « Cinéma Public Films »

2014 - Animation VR - PAT ET MAT

Valentin présente les marionnettes de Pat & Mat

En écoutant Valentin me parler de son travail j’ai vite réalisé que j’avais en face de moi un distributeur atypique. Grâce à cet entretien, j’ai pu me faire une idée plus précise de son rôle dans le parcours d’un film, de la conception jusqu’à la salle de cinéma. Classiquement le distributeur joue un rôle d’intermédiaire entre le temps de la production et celui de l’exploitation. Son coeur de métier est la gestion de la promotion et de la commercialisation des films. La société « Cinéma Public Films » assume un rôle d’une plus grande ampleur lié sans doute à leur spécificité d’être un distributeur indépendant de programmes pour la jeunesse. À vous maintenant de le découvrir !                 

Peux-tu te présenter en quelques mots ?

Je suis gérant de la société Cinéma Public Films, j’ai cette fonction depuis 2009 mais j’y suis employé depuis 2001. Je cumule vingt-trois années d’ancienneté (sachant que j’y ai passé quelques été entre 1997 et 2000 pour gagner un peu d’argent de poche) en y ayant fait toutes les tâches. Ma fonction actuelle consiste essentiellement dans la recherche et l’acquisition de nouveaux films, du financement de l’activité et de tout ce qui touche à la gestion courante. Je ne m’ennuie jamais, j’ai un travail gratifiant. Il est important pour moi de trouver du sens à ce que je fais et d’y prendre du plaisir.                                                     Je ne suis pas seul, heureusement j’ai une super équipe. De mon point de vue, il ny a pas de rôles et de tâches secondaires. Notre fonctionnement est collégiale, il est important que chacun se sente investi dans l’entreprise. Par exemple, je soumets le choix des films qui vont entrer dans notre catalogue à toute l’équipe. C’est un bon test, quand un film fait l’unanimité, généralement c’est bon signe. On passe beaucoup de temps avec les films, c’est important de les aimer.

Quest-ce qui a été le plus formateur dans ton enfance ?

Les arts martiaux chinois que j’ai pratiqués de 12 à 24 ans à peu près. Mon seul diplôme post-bac est celui décerné par le temple Shaolin. Après le bac je suis allé dans ce monastère bouddhiste pendant trois semaines. Nous étions dix jeunes de toute la France à participer à ce séjour. J’ai ressenti un vrai choc culturel, la Chine est un autre monde. J’ai vu des gamins de six ans totalement investis, leurs parents les confient au monastère, ils pratiquent les arts martiaux pendant huit heures chaque jour et ils étudient le matin et le soir comme les autres écoliers. J’ai vu ce que ça coûte pour atteindre le niveau dont je rêvais.

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Valentin sur la muraille de Chine en tenue traditionnelle de Wushu (une forme de Kung Fu), août 2000

La pratique du Kung-Fu m’a structuré autour de certaines valeurs fondamentales. J’ai appris à me fixer des objectifs et à me donner les moyens de les atteindre. L’état d’esprit martial se développe de multiples façons et évolue dans la pratique sous la forme d’un  sport de combat. En situation de un contre un, il faut apprendre à gagner le match tout en respectant l’adversaire. Il faut réussir à exprimer une certaine violence mais sans forcément d’animosité, avec une part importante d’observation et d’analyse pour savoir quand défendre et attaquer. Selon moi, on atteint l’excellence lorsqu’on gagne en respectant la règle et le cadre qu’elle impose. Au-delà des combats, le Kung-Fu est aussi une forme de performance artistique. Le Taolu, avec ses enchaînements de figures complexes et acrobatiques, est une forme de théâtre. On devient un personnage qui joue un rôle, qui raconte une histoire à travers une forme de mise en scène.

Temple de Shaolin

Le temple de Shaolin

Une image qui taccompagne…

C’est une demande difficile… L’image à laquelle je pense est liée à un souvenir d’enfance, à un deuil, celui de mon grand-père paternel. C’est le jour où on l’enterre. Je suis avec mon père, nous marchons sur un petit sentier près d’Alès dans le Sud de la France, il me tient la main. Il me parle. Il veut me faire comprendre que le temps passe et que le temps perdu n’est jamais rattrapé. Le dialogue entre mon père et le sien n’a jamais été simple. Désormais, ce qui n’a pas été dit ou entendu entre eux, ne le sera jamais. Je ne me souviens pas exactement des mots qu’il a prononcés, mais le message était « Si tu as quelque chose à dire, dis-le, n’attends pas». Ces mots ont influencé mon rapport au monde et aux gens. Je ne m’embarrasse pas de relations trop superficielles. L’horloge tourne, ça n’est pas grave mais c’est bien d’en être conscient. Quand il y a des choix qui se présentent à moi, je m’interroge sur ce qui compte vraiment pour ne rien regretter.

Ta première rencontre marquante avec le cinéma ?   

Une des premières séances de cinéma dont je me souviens est une projection de Bernard et Bianca. C’était dans une salle parisienne, j’étais avec ma grand-mère. La séquence de l’envol sur le dos de l’albatros m’a marqué. Je pensais qu’ils n’allaient jamais y arriver. Le temps était suspendu à leur envol !

Je me souviens aussi que j’étais très mal installé, assis sur le fauteuil rabattable. Si je me mettais au fond du siège je ne voyais que le haut de l’écran. Je suis resté toute la séance      en équilibre instable sur mon siège, les deux mains agrippées au fauteuil devant moi. C’était la seule solution pour bien voir l’écran.

Que fais-tu après le bac en dehors du Kung-Fu ?

Je voulais faire du dessin animé. Petit, mon rêve était d’aller bosser chez Disney. Je visais les Gobelins, alors je suis entré à l’école Penninghen pour faire une année de préparation au concours. Ça a été une claque, je me suis trouvé face à un encadrement parfois sadique ou très cruel sur la qualité des travaux rendus, et j’ai été confronté à des élèves bien meilleurs que moi. Ma confiance en a pris un coup, j’ai été totalement déstabilisé. Depuis mon enfance, j’avais tiré un certain prestige de mon coup de crayon… alors la chute, ou le retour à la réalité, n’en fut que plus difficile à encaisser.                                                                       Je ne m’étais pas préparé à la transition d’un dessin pour le plaisir, d’une forme d’évasion ludique et créative, à une exécution ultra précise, contrainte et méticuleuse d’une consigne donnée.J’ai abandonné au bout de trois mois, totalement dégoûté et incapable de reprendre un crayon en main pendant longtemps. Après un bref passage à la Sorbonne en section cinéma, où je découvre un enseignement beaucoup trop théorique à mon goût, je rejoins Cinéma Public Films, créée et dirigée par Jacques Atlan, mon grand-père maternel, dans l’idée d’une occupation en vue de trouver ma voie. Je n’en suis jamais reparti.

En l’intégrant tu perpétues une histoire de famille ?

Mes parents divorcent lorsque j’ai 7/8 ans, mon grand-père maternel va devenir un appui pendant de nombreuses années, non sans que cela ne génère quelques tensions par la suite. Il va me donner l’espace d’une formation professionnelle à l’école de la vie. Celle où les erreurs se paient au tarif réel. Je lui dois sûrement pas mal de mes convictions personnelles, d’une certaine vision du monde.

parents communistes

Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents communistes, Jean-Jacques Zilbermann, 1993

Tu connais le titre du film Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents communistes ? Hé bien j’ai l’impression d’avoir eu cette chance.                                         Ce que je retiens le plus de mon apprentissage, c’est que le facteur humain est déterminant, je l’ai vérifié partout. Un bon projet doit permettre à chacun qui y participe de s’épanouir, et s’il y parvient, il a toutes les chances de devenir un succès. Il ne faut pas s’enfermer dans une logique uniquement mercantile, le modèle économique est un moyen d’atteindre un objectif, pas une fin en soi. La mise en valeur des œuvres et de leurs auteurs, c’est vraiment le point central de cette transmission familiale.                                                                              Mon grand-père crée la société de distribution Cinéma Public Films en 1989. Pour moi, ce nom représente une forme « Triforce » ¹! Les trois éléments autour desquels tourne notre activité sont dans le nom de la société. Le Cinéma, qui est à la fois un lieu et un art. Le mot Public a lui aussi plusieurs sens. C’est d’abord celui pour lequel on fait tout ça, les enfants et la jeunesse en particulier pour Cinéma Public Films. C’est aussi l’idée d’un collectif, et de ce qui est libre d’accès. Il renvoie enfin, pour moi, à la dimension de service public de la culture. Le cinéma est un bon moyen de faire nation et de vivre ensemble. Public, c’est le contraire de privé, un film doit être à tout le monde. Tout faire pour que le plus grand nombre ait accès au cinéma facilement, je pense que c’est un enjeu majeur de notre temps. Quant au mot Film il évoque pour moi la pellicule, l’objet, le médium sur lequel est imprimé l’image qui va permettre de raconter et de partager une histoire. Cette histoire, justement, avec ses personnages, ses lieux et ses enjeux puisés dans le réel ou la fiction qui nous font rêver, nous font grandir, et voir le monde autrement.                                                                                                        Le projet initial de mon grand-père était de s’adresser à la jeunesse en complétant l’offre de distribution d’une société comme Walt Disney, notamment en soutenant de nombreux films étrangers. Toujours cette idée essentielle d’ouverture sur le monde. A ses côtés, j’ai eu la chance de découvrir une grande diversité cinématographique avec des films ouzbeks, kazakhs, iraniens, lettons. L’un des plus marquants doit être le film chinois Le roi des masques. C’est un film emblématique pour notre société, un de ceux qui a été le plus montré de notre catalogue, où il figure encore. Il a aussi été parmi les premiers titres du dispositif national École et Cinéma proposé par le CNC.

Le roi des masques

Le Roi des masques, Wu Tain Ming, 1995

Le premier film sorti en salles par la société a été Les aventures de Pinocchio de Luigi Comencini. L’histoire de la redécouverte de ce film perdu est assez rocambolesque, mon grand-père parvenant à retracer le film jusqu’aux archives du Vatican.

Pinocchio

Les aventures de Pinocchio, Luigi Comencini, 1972

En 1997, vingt-cinq ans après sa sortie, Cinéma Public Films ressort le film Avoir vingt ans dans les Aurès de René Vautier. Le film avait été interdit et on pensait toutes les copies détruites suite à cette censure, mais un projectionniste en avait caché une copie à partir de laquelle un nouveau tirage a pu être lancé !

Avoir 20 ans

Avoir 20 ans dans les Aurès, René Vautier, 1972

Les films sont souvent des gestes artistiques mais peuvent aussi être des actes militants.

À quel moment te confie-t-on la barre de la société ?

2008 est une année extrêmement difficile pour la société. Les films distribués à l’époque ne marchent pas bien depuis un certain temps, et cela entraîne de grosses difficultés financières. Les films labellisés Jeune Public sont la béquille de l’entreprise. Je pousse à concentrer tous nos efforts dans ce secteur. A ce moment-là, quand on me désigne gérant de la société, je joue clairement à quitte ou double, soit j’ai vu juste et ça nous sauve, soit on met la clé sous la porte. A ce moment-là, j’ai assez de confiance pour y aller, parce que je suis épaulé et soutenu par un ami d’enfance, et qui est toujours à mes côtés, Jérémy Bois, que j’ai connu quand on avait 12 ans. Ensemble, on veut tenter le tout pour le tout.

Valentin et Jérémy Bois deavant les décors du programme "Le jardinier qui voulait être roi", 20122012

Valentin Rebondy et Jeremy Bois devant les décors du Jardinier qui voulait être roi, 2012

Ce sont les programmes de courts métrages d’animation qui font tourner la société depuis plusieurs années. Il nous apparaissait évident que c’était l’axe de développement à suivre.  De plus, le cinéma d’animation m’a toujours fasciné et avec Jérémy, ce goût en commun nous a aidé à nous dépasser. C’est une forme d’expression cinématographique vraiment complète. Elle a une capacité à nous faire sortir du monde réel extrêmement puissante.          En 2008 nous distribuons Le bal des Lucioles et autres courts, un programme de quatre courts métrages d’animation de marionnettes du studio letton AB (Animācijas brigāde). C’est avec ce film que nous allons prototyper ce qui deviendra l’identité de la société « nouvelle génération ». Mais c’est en 2005, trois ans auparavant, que l’idée d’accompagner la sortie des films en salles commence à germer. Lors de la première édition de Mon Premier Festival (Paris) j’accompagne avec l’équipe du film la sortie du long métrage d’animation Les Trois mousquetaires, le deuxième long métrage du réalisateur letton Jãnis Cimermanis. L’équipe vient présenter le film en avant-première et a apporté dans ses valises des marionnettes ayant servi au tournage du film. Comme personne parmi eux ne parle français, j’improvise le rôle d’interprète et une animation dans la salle de cinéma après la séance, sur les secrets de fabrication du film et ça cartonne, les gens sont fascinés.

Les trois mousquetaires

Les 3 mousquetaires, Jãnis Cimmermanis, 2005

Nous faisons soixante interventions dans les salles dont une à Villers Cotterêts, la ville de naissance d’Alexandre Dumas. Le public et les responsables de salles sont enthousiastes.
Pour Le bal des Lucioles et autres courts je fais une tournée de six mois avec les personnages du film confiés par le studio d’animation. Je parcours toute la France, je découvre alors toute la diversité des salles de cinéma sur tout le territoire. Après chaque séance, je téléphone à Jérémy qui est resté au bureau et je lui partage les rencontres de la journée, le ressenti du public, le contenu des échanges avec l’exploitant du cinéma etc.      En 2009 pour le programme suivant L’ours et le magicien nous décidons de faire le tour de France des cinémas ensembleOn ajoute les décors réassemblés pour nous par le studio d’animation aux marionnettes du tournage. Nous prenons la route avec notre petit van de location. Quand les gens des cinémas nous voient arriver, ils nous prennent pour des fous mais ils sont ravis. C’est la première fois qu’ils voient des distributeurs accompagner leurs films et les faire vivre en salle de cette façon. Depuis lors, nous avons organisé plus d’une dizaine de tournées à travers la France, notre connaissance des cinémas, de leurs besoins et de leur potentiel s’est enrichie de façon considérable, nous sommes devenus un distributeur de proximité. Le redressement de la société nous a coûté plus de 12 ans d’activité… mais on a payé toutes nos dettes et façonné un bel outil, à notre image et parfaitement taillé pour atteindre nos objectifs.

Les toutes petites créatures

Les toutes petites créatures, Lucy Izzard, 2024

Dans votre catalogue vous avez des programmes clés en mains comme ceux de la société de production Les films du Nord….

Oui, des sociétés de production nous proposent des programmes déjà construits. Depuis 2016, nous accompagnons les programmes de La Chouette du cinéma des films du Nord. Un huitième programme, Chouette, un jeu d’enfants !, sortira en octobre. Nous n’avons pas de contrat d’exclusivité qui nous lie avec Les films du Nord, c’est à chaque fois une discussion, un échange et une volonté partagée de travailler ensemble. Je veux être choisi pour la qualité de notre prestation. La liberté et l’indépendance sont des valeurs que je défends. C’est valable pour toutes les parties, du producteur jusqu’à la salle de cinéma.

Films du nord

Des relations anciennes fondées sur la confiance et le bénéfice mutuel sont présentes dans notre catalogue. Par exemple, nous avons rencontré il y a 10 ans au Festival de Berlin les producteurs tchèques de Pat & Mat. Nous allons sortir notre cinquième programme en septembre avec eux.

Pat & Mat

Pat et mat

Ciné-concert et atelier avec Pat & Mat

C’est une série de programmes qui a connu beaucoup de succès. Pat et Mat sont en quelque sorte des ambassadeurs pour la société. D’ailleurs, Jérémy et moi-même nous nous retrouvons un peu dans ces deux personnages, qui n’hésitent pas à sortir des sentiers battus pour parvenir à leurs fins. Avec ces programmes, nous avons aussi développé notre capacité à livrer directement aux cinémas du matériel clé en main pour leurs ateliers autour du cinéma d’animation. Nous avons créé des valises pédagogiques avec un morceau de décor et des fac-similés de marionnettes pour que les salles puissent mettre en place des ateliers en autonomie. C’est aussi avec ces programmes que nous avons initié nos premiers ciné-concerts avec Cyrille Aufare dès 2014.

Vous concevez aussi des programmes inédits. Le rêve de Sam et autres courts qui est entré dans le catalogue du dispositif « Maternelle au Cinéma » est à l’origine de cette interview. Peux-tu nous raconter sa conception ?

Le rêve de Sam et autres courts est sorti en mars 2019. J’ai commencé à travailler dessus au cours du printemps 2018. Comme souvent sur ces projets il y a un film qui m’a plu, que je garde dans un coin de ma tête. Je cherche ensuite des films qui pourraient coexister avec lui à partir d’un thème, d’une ambiance, d’une tonalité … Dans l’idéal j’essaie de construire un programme d’une durée d’environ 45 minutes. Tant que le programme n’est pas complet, il reste en mouvement et il évolue. Un nouveau court métrage visionné plus tard peut tout bouleverser…
Lorsque je découvre Le rêve de Sam au printemps 2018 après des recherches sur les nouvelles productions en cours je vois immédiatement l’angle sous lequel je vais travailler, ça sera : accomplir son rêve, un voyage, aller jusqu’au bout d’un projet, d’un désir. Ce programme devient rapidement très personnel et assez affectif, il fait écho à des moments que j’ai vécus, je m’y retrouve.                                                                                                Je connaissais déjà Jonas et la mer de Marlies Van Der Wel. D’une certaine façon, Sam et Jonas se ressemblent, leurs films dialoguent entre eux. Les deux personnages expriment la poursuite de leur rêve, d’un objectif à atteindre. Ils ont une forme de combativité  qui les pousse à tout faire pour que cela puisse se concrétiser chacun dans son monde respectif. Le renard ( Le renard et la baleine, Robin Joseph) lui, voyage autant dans sa tête que dans l’espace dans lequel il évolue. Son voyage intérieur se superpose à un déplacement dans ces paysages qui nous invitent, nous aussi en tant que spectateur, à une forme de contemplation. Il exprime ce que j’aime de cet état de conscience où le rêve et la réalité se mêlent dans une espèce d’état méditatif. Dans le monde réel, au moment de l’éveil, on garde en nous ce qui nous anime pendant le sommeil (de façon plus ou moins consciente), et c’est notre capacité à rêver. Le rêve est infusé dans notre réalité. Cela renvoie au Yin et Yang de la philosophie chinoise, ce mouvement perpétuel et cet entremêlement. Le renard a une sorte  d’inspiration. Contrairement à Jonas et Sam il n’expose pas clairement un objectif. Sa réalité est pénétrée par le rêve. C’est un contemplatif, cet état ouvre les portes de son imagination qui peut se suffire à elle-même. L’exécution d’un projet ou d’une tâche particulière n’est pas forcément une fin en soi. Le Renard nous offre de passer un moment avec lui dans l’entre-deux, ce qui sépare le point de départ de l’arrivée.                                                            Les maisons de Home Sweet Home font elles aussi un voyage. Pour elles, ce n’est pas un voyage solitaire, elles vont le partager toutes les trois. Mais de la même façon qu’on peut voir un film à plusieurs au cinéma, et chacun en fera sa propre expérience, ici le voyage n’a de commun que le trajet parcouru. Chacune va être traversée par des émotions singulières, qui lui sont propres. La fin du film est très touchante, en s’ouvrant sur un nouveau départ. C’est aussi comme ça que je conçois la séance de cinéma. Le temps de la projection on voyage avec une histoire, des personnages, des émotions et un imaginaire qui résonnent en nous. Une fois la séance terminée, il doit en rester quelque chose qui nous accompagne pour un bout de chemin, ça peut durer le temps d’un instant de réflexion… et parfois la vie entière. Pourquoi tous ces personnages qui ne lâchent pas l’affaire, sont un peu obstinés mais aussi rêveurs et contemplatifs me plaisent ? J’ai l’impression qu’il y a une petite ressemblance..

Le rêve de Sam

Le rêve de Sam, Nolwenn Roberts, 2018

Pour finir notre échange j’ai envie de te demander comment tu vois la suite du voyage pour la société Cinéma Public Films ?

Aujourd’hui je suis un peu embêté, car nous sommes très sollicités pour de nombreux très beaux films. J’ai un problème de place dans nos lineups, avec beaucoup de chantiers en cours qui se développent en parallèle mais pas forcément assez de place dans ma grille de sorties annuelles. Nous allons distribuer six à sept nouveaux programmes par an dans les prochaines années pour atteindre le maximum de notre capacité. Il apparaît délicat de négocier des films pour une perspective de sortie qui n’interviendrait pas avant trois ou quatre ans… donc il va y avoir des choix et des arbitrages à faire qui s’annoncent complexes. Je n’ai pas envie d’abandonner des projets qui me tiennent à cœur, mais il faut aussi être réaliste sur nos limites. La co-distribution peut être une solution le cas échéant. J’envisage cette possibilité avec beaucoup de sérénité et d’ouverture d’esprit. L’important pour moi est que les films soient vus dans les meilleures conditions. Si c’est une autre société qui doit s’en charger à notre place ou bien en collaboration avec nous, c’est moins gênant que d’imaginer que le film ne trouvera pas son chemin jusqu’à la salle de cinéma.                                                 Je pense qu’on peut conclure en disant que Cinéma Public Films a réussi à surmonter bien des épreuves, qui ont été déterminantes pour ceux qui les ont traversées sur le plan de l’affirmation de ce que nous voulons faire ou devenir (et de quelle manière), et de ce que nous ne voulons pas.

1) Référence au jeu vidéo The Legend of Zelda

Patricia Misiri, artiste plasticienne

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Patricia joue avec des matériaux pauvres qu’elle détourne, photo prise dans son atelier en mars 2021

Les buvettes des festivals bruissent de multiples conversations. C’est à celle du dernier festival Idéklic que j’ai fait la connaissance de Patricia. Après des journées de travail bien remplies nous prenions plaisir à nous retrouver autour d’une bière fraiche, instant magique de la rencontre, une parfaite inconnue devient une personne qui vous importe.                              À ma demande Patricia s’est prêtée ici au jeu de l’interview. Passer d’une conversation privée à un entretien devant être publié n’est pas anodin. Je la remercie pour sa confiance. 

Peux-tu te présenter en quelques mots ?

C’est un exercice extrêmement difficile parce que, ce que j’ai fait pendant plus de 20 ans n’est pas répertorié. Mon métier est un patchwork de divers techniques auxquelles j’ai été formé et que j’ai développées : coiffure, perruque, make up, sculpture et dessin. Je suis quelqu’un de très curieux. Travailler la matière est mon moyen d’expression privilégié. Ce qui me caractérise, c’est que j’ai toujours transformé ce que j’ai appris. A mes yeux avoir un cadre est essentiel voir rassurant mais j’ai toujours ressenti le besoin de m’en affranchir, d’aller au delà…C’est plus fort que moi cette nécessitée d’explorer. C’est ma manière d’appréhender le travail créatif .

Qu’est-ce qui a été le plus formateur dans ton enfance ?

Mon échec scolaire ! C’est une vraie blessure. J’aurais voulu faire des études. Lorsque j’étais en CM1/CM2 je rêvais d’avoir 12 profs et de parler anglais. Mais je ne suis pas allée en classe de 6 ème et je n’ai pas suivi un cursus classique. Mes problèmes d’apprentissage liés à la dyslexie ont eu un impact sur mon orientation et je me suis retrouvée en SES (Section d’Education Spécialisée). Tout d’un coup, mon univers s’est rétréci, je le refusais, je ne voulais pas être couturière en usine ou ouvrière cartonnière. Ce qui m’a sauvé c’étaient les colos organisées par l’ORTF, ma mère y travaillait. J’en ai des souvenirs très forts, c’était de vrais temps de respiration. Les enfants de journaliste ou de réalisateur côtoyaient les enfants de secrétaire, ces colos permettaient un vrai brassage social. À l’inverse de l’école, mes moments de vacances m’offraient une ouverture sur le monde et notamment sur la culture. Les échanges avec les autres enfants et les activités proposées ont créé un envie d’ailleurs qui m’a nourri. Un autre avenir était possible.

Une image qui t’accompagne…

Moi marchant les cheveux dans le vent sans but. Juste le plaisir de marcher.

Quand as-tu décidé que tu allais te consacrer à une carrière artistique ?

Ça ne s’est jamais posé en ces termes, ça toujours été là ! Je suis montée à Paris avec un CAP de coiffure en poche. Je voulais travailler dans le spectacle. À 18 ans, j’ai passé le concours d’entrée aux Beaux Arts, je ne l’ai pas eu, je m’étais mal préparée. Mon désir était fragilisé par la peur de ne pas pouvoir gagner ma vie en étant artiste. J’ai suivi des cours du soir dans une école privée, l’école Chauveau, pour me former au « maquillage artistique ». Dans la journée, je travaillais comme monitrice, je faisais du baby-sitting, du télé-marketing…

Quels ont été tes premiers pas dans la vie professionnelle ?

J’ai commencé comme maquilleuse sur des tournages. En parallèle j’ai eu très vite envie de faire du théâtre, de devenir comédienne. Tout ce qui m’avait manqué à l’école, j’avais besoin de le chercher par moi-même. J’étais tétanisée à l’idée d’apprendre et de dire un texte, à cette époque j’étais hantée par mon échec scolaire. J’ai beaucoup travaillé à l’instinct, j’ai cherché des moyens de m’exprimer en dehors des mots. De 22 à 27 ans j’ai suivi des cours au studio Alain De Bock et à l’École du Passage dirigée par Niels Arestrup. J’ai continué à apprendre au travers de divers stages dont ceux proposés par l’école Jacques Lecoq. J’ai intégré la Compagnie de la Baignoire fondée par Neuza Thomasi qui était prof au Studio De BockJ’ai un souvenir très fort de cette période. Nous étions six comédiens pour la création du spectacle « ÇA !». Inspiré de la mythologie grecque en lien avec la création de l’univers, nous l’avons travaillé à partir d’un grand nombre d’improvisations. Proche du théâtre d’objets, c’était un spectacle très visuel, les images se substituaient aux mots. Pour ma première expérience sur scène, cela me convenait parfaitement. Au delà du travail de comédien, les compétences de chacun étaient mises à contribution pour la réalisation d’accessoires ou la transformation d’objets récupérés. Après plusieurs mois de répétition, nous avons décidé de rejoindre Avignon à pied. Précédés par une camionnette, nous sommes partis le jour du début du festival pour arriver à sa clôture. C’est ainsi que parallèlement au festival nous avons parcouru 800 kilomètres pour jouer le soir sur les places des villages et des villes que nous traversions. Après chaque représentation nous passions le chapeau. C’était un engagement très physique, j’aimais çà !

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Journal « La montagne », 10 juillet 1993

J’ai suivi aussi des stages de clown, j’ai fait du chant…Toutes ces disciplines, ces découvertes me permettaient de me sentir vivante, elles m’emmenaient ailleurs. La nécessité d’expérimenter était un moyen d’utiliser l’énergie débordante qui m’habitait silencieusement depuis des années. C’est aux travers de toutes ces découvertes que j’ai commencé à considérer l’importance de pouvoir créer du langage visuel sous toutes ses formes. J’avais un manque de confiance en moi tout en étant audacieuse. Ce qui m’a manqué c’est d’être accompagnée, je faisais le premier pas mais j’aurais eu besoin d’être soutenue pour prolonger. J’avais aussi l’impression d’avoir une « double vie », officiellement j’étais maquilleuse avec le statut d’intermittente du spectacle mais secrètement je voulais devenir comédienne et vivre plusieurs vies. Je me suis inscrite à l’agence Rebecca, par leur intermédiaire j’ai passé divers castings qui m’ont permis de tourner dans des pubs.

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À 33 ans, c’est très précis, j’ai décidé d’arrêter d’être comédienne. J’ai eu le sentiment qu’il me serait très difficile de gagner ainsi ma vie.

Comment a débuté ton aventure avec Les Guignols de l’info ?

J’ai d’abord commencé avec les Minikeums, l’émission de France 3. L’une de mes amies  faisait partie de l’équipe qui travaillait dans l’atelier d’ Alain Duverne. C’est par son intermédiaire que j’ai pu collaborer avec Jean-Christophe Leblanc à la création de personnages.J’ai pu adapter et transformer mes techniques de maquillage et de coiffure sur les marionnettes en latex. En lien avec les scénarios, nous devions façonner un personnage en trouvant des petits détails physiques qui le caractérisent…

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J’ai commencé ensuite à travailler en renfort sur les plateaux des Guignols de l’info. Parallèlement j’ai eu un contrat de quelques mois comme remplaçante à la Comédie Française, je devais remettre en forme les perruques et les postiches, je devais aussi être présente pendant les représentations afin d’intervenir lors des changements de scène. J’ai été impressionnée d’être dans ce lieu emprunt de toute une histoire. Les moyens humains et matériels dont il dispose sont incroyables, ils permettent la création de pièces d’une grande qualité. J’ai pu aussi assister à la préparation de spectacle, j’ai pu observer les rouages de chaque corps de métier et ressentir l’énergie déployée par les comédiens, de même que la maîtrise de leur jeu !

Papa doit manger Marie N'diaye, André Engel

« Papa doit Manger » de Marie NDiaye, mis en scène par André Engel, Comédie-Française, 2003

On m’a ensuite proposé un poste fixe à l’atelier des Guignols que j’ai refusé, je n’étais pas prête à m’enfermer dans une seule activité. Pouvoir répondre à divers projets me permettait d’assouvir ma curiosité et d’enrichir mes compétences, je tenais au statut d’intermittent.      On me l’a proposé à nouveau et j’ai dit oui cette fois-ci. J’ai travaillé pour Les Guignols jusqu’à l’arrêt de l’émission en 2018.

Peux-tu nous dire comment s’organisait ton travail ?

On préparait quatre sketches par semaine en plus du direct. La semaine de préparation débutait pour moi le lundi. Dès le matin, après avoir lu les textes je faisais une première sélection parmi les 700 marionnettes que nous avions. L’après-midi avec le réalisateur et l’équipe nous validions les marionnettes qui incarneraient au mieux les personnages des sketches, nous réalisions un casting en quelque sorte. À partir de ce moment là il fallait déterminer les priorités, intervenir rapidement afin que les marionnettes soient prêtes pour le tournage. Avant même de travailler sur la création du personnage, il était nécessaire de laver, restaurer, peindre, poudrer…Puis juxtaposer une multitude de petits détails via les dents, les yeux, les sourcils, un nez tordu, de grandes oreilles que nous coupions si besoin. J’intervenais sur le style des coiffures, sur l’implantation d’une barbe par exemple. De tout cela naissait le caractère du personnage. 

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Je me souviens d’un sketch qui m’avait demandé beaucoup de travail, il parlait d’abus sexuels sur les enfants dans le cadre de communautés religieuses. Nous devions préparer une dizaine de prêtre. Chacun devait avoir quelque chose de malsain dans son apparence, des détails infimes qui gênent sans qu’on réalise vraiment pourquoi ; une implantation de sourcils particulière, un regard fuyant, une cicatrice…                                                          Le tournage débutait le lundi suivant. Ma préparation était rarement terminée…car en général une soixantaine de marionnettes étaient à faire, voir plus ! Je laissais ma préparation sur les sketches entre parenthèses le temps de prendre en charge le JT en direct. À 14H00 nous avions le texte de l’émission, toutes les marionnettes devaient être prêtes pour 17H00.

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Que gardes-tu comme image forte de tes 18 ans de Guignols ?

Sans hésiter l’ambiance particulière de travail. Nous formions une équipe soudée malgré des tempéraments très forts. Chacun était à sa place et savait ce qu’il avait à faire, l’équipe fonctionnait comme une machine super rodée ! Je craignais l’enfermement, j’ai eu au contraire beaucoup de liberté pour pouvoir explorer des techniques. Grace à ce travail et à la confiance qu’on m’a donné, j’ai vraiment pris conscience de ma valeur, de ce que j’ai entre mes mains. J’ai développé aussi mon regard.

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A tchao bonsoir !

Quels sont tes projets actuels ?

Ils sont divers. Dans la continuité de mon expérience à Canal + je souhaite poursuivre dans la création de personnages à l’identité forte en lien avec des projets artistiques, que ce soit dans le monde du cinéma, du théâtre ou de la danse contemporaine. Par exemple, actuellement je travaille avec la chorégraphe Michaela Meschke, je l’aide à définir visuellement les traits de caractère d’un personnage de son futur spectacle en collaboration avec les créateurs de costumes, Birger Lipinski et Laercio Redondo. J’aime chercher à travers des matériaux l’identité physique d’un personnage.

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Conception et réalisation des lunettes dorées, Patricia Misiri, mai 2021

J’espère débuter très prochainement une collaboration avec la chorégraphe Jehane Hamm.

Un autre souhait remonte à une expérience que j’ai eu en 2005 au Sri Lanka, l’été qui a suivi le tsunami. Je suis allée dans ce pays à Pathwatha faire des ateliers marionnettes pendant mes vacances. C’est Jean-Christophe Leblanc qui m’a fait cette proposition dans le cadre d’une action bénévole. Le contact avec des enfants d’une autre culture m’a énormément touché. Avec le peu de mots en anglais que je connaissais je me suis fait comprendre d’eux. Nos échanges passaient essentiellement par le corps, les gestes, les expressions et le regard. Depuis, j’ai eu l’occasion d’encadrer des ateliers d’expression plastique autour de la création de personnages avec des enfants dans le cadre scolaire. Ponctuellement, je serais ravie de proposer des ateliers dans ce domaine dans diverses structures culturelles et éducatives.

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J’ai aussi envie de partager mon travail personnel. Je dessine depuis toujours,  essentiellement des personnages. Le premier jet me sert à avoir de la matière que je  découpe et colle pour réaliser une nouvelle composition. Je suis en train de préparer une exposition de mon travail qui aura lieu cet été à Jonzac en Charente-Maritine. C’est une grande première ! Paradoxalement je suis à la fois très excitée par ce projet et heureuse de partager mon travail tout en ayant peur de m’exposer avec mes oeuvres et surtout de m’en séparer.

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Différentes étapes du processus de création des compositions, © Patricia Misiri, 2021

Olesya Shchukina, illustratrice et cinéaste d’animation

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Il y a des films qui vous font une impression durable. Ce fut le cas du premier court métrage professionnel réalisé par la talentueuse Olesya Shchukina, « Le vélo de l’éléphant ». Comment ne pas être touché par ce personnage à l’énergie incroyable qui s’enferme entre ses quatre murs lorsque l’objet de tous ses désirs ne lui correspond pas ? Le nouveau programme    « Les animaux en folie » présenté lors du dernier festival « Image par image » » du Val d’Oise me donne l’occasion de découvrir un nouveau court métrage d’Olesya Shchukina, « La Luge ». Minimaliste, il met en scène un petit écureuil qui nous transmet sa curiosité et son élan face à l’inconnu. Il ne m’en fallait pas plus pour avoir très envie de rencontrer celle qui insuffle aussi bien la vie à ses personnages de fiction.

Peux-tu te présenter en quelques mots ?

Je suis réalisatrice et illustratrice, le plus souvent pour des projets à destination des enfants.

 Qu’est-ce qui a été le plus formateur pour toi dans ton enfance ?

J’ai eu la chance que mes parents m’emmènent dans des musées tous les week-end.  J’habitais à Saint-Pétersbourg, j’allais très souvent à l’Hermitage. Je me sens chez moi dans les musées. Je pense que c’est une des raisons de mon installation à Paris, les occasions de voir des expositions ne manquent pas.

Une image qui t’accompagne …

Un paysage vide avec la mer. C’est là où j’ai grandi. J’aime toujours les mers froides, pas pour me baigner mais pour me promener. C’est ce qui me manque à Paris, il n’y a pas de mer.

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http://femmesdanim.fr/fiche/54/Shchukina-Olesya

Comment t’es-tu intéressée au cinéma d’animation ?

J’ai toujours regardé des courts métrages d’animation à la télévision. C’est par mon petit frère que j’ai eu envie d’en faire. C’est lui le premier qui a acheté un logiciel pour faire des films d’animation et moi je l’aidais dans ses projets.  A 17 ans, je me suis cassée la jambe lors d’une séance de ski avec l’école, j’ai été immobilisée pendant deux mois à la maison. Je m’ennuyais ferme, je me suis mise à faire des petites animations personnelles de quelques secondes. Au début je voulais être architecte, je ne pensais pas qu’on pouvait faire des études dans le cinéma d’animation. Je me suis présentée à l’université dans ces deux domaines. J’ai été prise dans le cinéma. J’avais utilisé les petits films réalisés lors de mon immobilisation pour créer mon portfolio.

Avant de parler de ta formation à l’université, j’aimerais savoir quels sont les films qui ont marqué ton enfance.

Les films soviétiques qui passaient à la télévision ; Les épisodes de « Winnie l’ourson » de Fiodor Khitruk, les adaptations du « Livre de la Jungle » par Roman Davydov. J’aimais aussi les séries américaines comme « Les Simpson » ou la série japonaise « Sailor Moon ».

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Mowgli, Roman Davidov, 1973

Tu intègres donc l’université du cinéma et de la télévision de Saint Pétersbourg en 2009, qu’est-ce qui a été important dans la formation que tu y as reçu ?

J’ai eu la chance d’avoir de très bons profs. Je pense aux deux réalisateurs russes, Konstantin Bronzit et Dmitry Vysotsiy. Ce sont deux réalisateurs expérimentés qui sont dans la pratique, ils ne sont pas seulement théoriciens. Ils nous ont accompagnés dans nos projets. Ils sont honnêtes, ils disent les choses quand ça ne va pas, ils ont un regard pointu, chaque détail compte. J’ai suivi aussi des cours de théâtre avec la méthode Stanislavsky. Nous travaillions à partir d’extraits de Tchekhov étant à tour de rôle metteur en scène ou comédien. J’ai appris que l’acting des personnages vient de l’émotion. J’ai eu aussi des cours sur l’histoire du cinéma. J’ai regardé beaucoup de films sur des cassettes VHS. Les conditions de projection n’étaient pas superbes mais j’ai été marquée par des films comme « Les nuits de Cabiria » de Fellini, « Citizen Kane » d’Orson Welles, « Le cabinet du docteur Caligari » de Robert Wiene. Les films muets de Chaplin et de Keaton ont été aussi très importants.

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Giulietta Masina dans Les nuits de Cabiria de Fellini, 1957

Sur ta chaîne Vimeo on peut voir un de tes premiers film Bouillie de semoule, tu peux nous en parler ?

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Mannaya kasha (bouillie de semoule), 2007

  J’ai fait ce film quand j’étais à l’université mais sans en parler aux profs. Il faut dire qu’à l’université on n’avait pas de lieu pour travailler nos projets. On faisait tout à l’extérieur et on montrait seulement l’avancée de notre travail aux profs. Là, je n’ai rien dit avant de montrer le film terminé. Il est plein de défauts mais j’avais envie de suivre mes idées sans interférence. Les profs m’ont encouragé quand ils l’ont découvert. Il a été sélectionné au festival Krok. Cette participation a été très importante pour moi, j’ai vu plein de courts métrages qui m’ont confirmé que je voulais travailler dans ce domaine. J’y ai surtout rencontré Benjamin Renner qui venait présenter son film de fin d’étude La queue de la souris. C’est lui qui m’a parlé de l’école de la Poudrière. Au final c’est grâce à Bouillie de semoule que je suis là !

Tu intègres l’école de la Poudrière juste après l’université ?

Non, pendant un an, j’ai travaillé en freelance à Saint-Pétersbourg dans le domaine de l’illustration et de l’animation. J’ai déposé un dossier à la Poudrière avec un portfolio et une lettre de motivation. J’ai été chanceuse, j’ai été prise. Les promos sont composées d’une dizaine d’étudiants, deux promos se côtoient à la Poudrière. Nous sommes peu nombreux. La particularité de cette école est que la théorie est au service de la pratique. Tous les profs sont des professionnels. Le travail en commun est essentiel, les portes ne sont jamais fermées, on regarde comment les copains travaillent, comment ils résolvent des problèmes que l’on rencontre aussi.

Des profs t’ont marquée ?

Oui, j’aime beaucoup l’univers graphique de Carles Porta, c’est un illustrateur et animateur espagnol. Il a une approche douce, non envahissante. Il nous a accompagnés pendant une semaine afin de réaliser la bande annonce pour l’édition 2012 de Cartoon Movie.

séance de travail à la Poudrière,Carles Porta, 2012

Photo prise lors d’une séance de travail avec Carles Porta, 2012

Nous avons aussi eu un atelier d’une semaine avec Piotr Dumala, c’est un réalisateur et animateur polonais. Tous ces films sont différents. On a travaillé avec lui au banc titre. C’est à la Poudrière que j’ai commencé à faire du papier découpé.

Justement mis à part Bouillie de semoule réalisé en pixilation, tes autres films sont réalisés en animation 2D numérique ou avec la technique traditionnelle du papier découpé. Comment choisis-tu ta technique ? 

Même quand je travaille sur ordinateur, je traite mon image comme du papier découpé. C’est une technique qui correspond au style de mes personnages. J’anime bien les éléments plats et géométriques. J’aime affronter les contraintes liées à cette technique.

Tu peux nous en dire plus ?

Travailler à plat ne permet pas de jouer avec la perspective. Par exemple, il est impossible de faire venir les personnages du fond de l’image. On doit sans cesse inventer : comment dire la même chose mais différemment.

 Tu as réalisé ton premier film professionnel, Le vélo de l’éléphant avec les studios Folimage. Comment s’est passé votre collaboration ?

Nous étions voisins. Je suis allée déposer un dossier avec le projet du film. Il cherchait à ce moment des films pour composer un programme de courts métrages à destination des enfants, Folimômes. A partir du synopsis et d’un bout du storyboard, mon projet a été accepté. A l’origine, je n’avais pas pensé faire un film pour les enfants. L’idée de ce film vient de loin, je l’avais en tête avant la Poudrière. En Russie, je l’aurais réalisé en animation 2D numérique. C’est après la Poudrière que j’ai eu envie de le faire en papiers découpés.

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Photo du making-of du « Vélo de l’éléphant »

C’est très agréable de travailler avec du papier, c’est très tactile. Le réalisateur russe, Yuri Norstein, utilise cette technique mais ça ne se voit pas, on a l’impression que c’est du dessin animé. Ma manière de travailler est plus visible. J’aime quand le spectateur se rend compte que c’est fictif mais qu’il l’oublie peu à peu quand il entre dans l’histoire. J’aime aussi que chaque spectateur participe au film avec son imagination. L’artiste lettone Signe Baumane qui a réalisé le film Rocks in my pockets m’a dit après avoir vu Le vélo de l’éléphant que j’avais réussi à parler aux enfants de cette maladie grave qu’est la dépression.

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Rocks in my pockets, Signe Baumane, 2014

Et pour ton court métrage La luge qui est présent dans le programme Les animaux en folie ?

Pour la luge c’est un choix déterminé d’utiliser l’animation 2D numérique. Tout est parti d’une carte postale que j’avais créée auparavant. J’aime, entre deux projets d’animation, faire des illustrations. Ça me repose, on a un résultat plus rapide. J’aime aussi m’exprimer avec une seule image.SLED_02

J’avais créé cette carte pour mes amis à l’occasion des fêtes de fin d’année. J’ai utilisé le Risographe pour la fabriquer. C’est une machine qui permet une technique de reproduction par pochoir. Beaucoup d’illustrateurs l’utilisent. On imprime les couleurs les unes après les autres. J’ai travaillé uniquement avec du bleu et du rouge. Le blanc est celui du papier, le noir est réalisé en mélangeant le bleu et le rouge. Le directeur artistique du studio russe Soyuzmultfilm a vu la carte sur ma page Facebook. Il connaissait Le vélo de l’éléphant, il m’a contacté et m’a demandé de faire un film à partir de cette image. J’ai aimé travailler sur cet univers minimaliste. Les idées de mes scénarios arrivent souvent comme ça : j’ai une image en tête et j’essaie de voir ce qu’il y a avant et après. La luge s’inscrit dans une collection qui existe depuis la fin des années 60, Vesyolaya Karusel qu’on peut traduire par Le carrousel amusant. Cette collection a été créée par Anatoly Petrov et Galina Barinova pour le studio Soyuzmultfilm. Elle met en valeur des courts métrages expérimentaux de jeunes réalisateurs. Le film n’a pas été réalisé dans les murs du studio qui est à Moscou, l’essentiel de l’animation a été faite à Paris par Chenghua Yang qui est une amie.

Quelle importance donnes-tu à la musique dans tes films ?

Le son et en particulier la musique sont très importants pour moi. C’est ce que j’ai le plus de mal à gérer dans mes films. C’est un autre artiste qui intervient alors. Je ne peux pas être autoritaire à 100 %, je dois le guider mais aussi lui laisser une marge de liberté.                  Yan Volsy  intervient à la Poudrière. Il m’a proposé de faire la musique de mon premier court Les talons rouges.

Nous avons aimé travailler ensemble, et grâce à cette première collaboration, il m’a accompagné sur Mal de terre et Le vélo de l’éléphant. On a une bonne entente, Yann a une vision globale du film. Il comprend ce que je veux tout en me faisant des propositions. Pour lui comme pour moi, la musique n’est pas une illustration, elle participe pleinement à la dramaturgie.

Pour La luge tu as collaboré avec le musicien Lev Slepner.

Oui, c’est moi qui l’aie choisi. J’adore les films qu’il a fait avec Yulia Aronova. Lorsque j’ai composé l’animatique, j’avais en tête des références musicales : Pierre et le loup de Prokofiev et une musique de Rachmaninov. Il m’a proposé une musique dans cet esprit. Lev ne travaille pas de la même manière que Yann. Yann compose et montre une maquette avec la mélodie et aussi les instruments en lien avec les images. Lev lui conçoit les mélodies en écrivant une partition. Je lui ai fait confiance car ses propositions étaient abstraites pour moi.  La musique finale je l’ai découverte quand c’était enregistré et fini.

Tu as aussi réalisé la bande annonce très dynamique du festival « image par image » du Val d’Oise.

J’aime bien les projets de commande. Tu peux tester des choses dans ce contexte et Yves Bouveret m’a donné carte blanche. Pour le montage dynamique j’avais en tête des jeux vidéos comme Mario et aussi des séries télévisées. L’idée était de proposer un voyage en quelques secondes. Je suis partie de l’image des trois montagnes qui chantent.

Yves m’ a demandé d’ajouter un animal pour faire un lien avec le programme des Animaux en folie. J’ai choisi le chat. C’est pour moi comme un voyage à travers la nuit pour que le matin puisse arriver.

Tu travailles aussi pour des films qui ne sont pas les tiens…Je pense à Ma vie de courgette de Claude Barras ou la série Mirou, Mirou de Haruna Kishi et Mathilde Maraninchi. Qu’est-ce que ces collaborations t’apportent ?

J’ai adoré le trailer de Ma vie de courgette de Claude Barras. J’avais envie de participer à cette aventure. Cécile Milazzo qui a fait la Poudrière un an avant moi a été nommée responsable de la peinture et des décors. Elle m’a proposé de rentrer dans son équipe. J’ai été sa petite main. Claude Barras m’a aussi confié la réalisation des dessins d’enfants dont ceux de Courgette. J’ai travaillé alors comme illustrateur, j’ai fait tous les posters que l’on voit sur les murs, le tableau de la météo des enfants, la typographie…

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« Ma vie de Courgette » , Claude Barras, 2016

Pour Mirou, Mirou, j’étais aussi dans l’équipe décors, nous développions l’univers graphique de Haruna Kishi. C’était très intéressant de voir de l’intérieur comment fonctionne la production d’une série.

J’ai vu sur internet que tu avais aussi donné des cours en Arménie avec l’école Tumo.

J’aime bien faire des ateliers de temps en temps. Ça me permet de structurer des choses. Les résultats sont souvent surprenants. J’ai travaillé cet été deux semaines avec des adolescents en Arménie. C’est un centre qui a été créé pour des jeunes de 12 à 18 ans. Les activités sont gratuites et les adolescents ont à leur disposition du matériel professionnel. Chacun a fait un petit film pour illustrer des expressions de base en arménien comme dire bonjour ou demander le prix de quelque chose

Pour finir, une question traditionnelle, sur quoi travailles-tu actuellement ?

Je travaille beaucoup pour des sites internet en Russie comme Chevostik, qui est une encyclopédie multimédia pour les enfants. Je fais des illustrations et des mini animations.        Je suis aussi sur un projet de long métrage qui s’appelle Le Noël des animaux produit par la société Les Valseurs. Le film est organisé en 5 chapitres, chaque chapitre est sous la responsabilité d’une réalisatrice différente.

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Le dernier arbre de Noël, Olesya Shchukina, en fabrication

Corinne Jamet Vierny, responsable du fonds photographique de Pierre Jamet

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© Pierre Jamet, 1937

L’équipe du centre d’exposition du Château du Val Fleury m’a contactée pour préparer des visites-ateliers en lien avec l’exposition du photographe Pierre Jamet qui aura lieu du 12 mars au 30 avril 2019 à Gif-sur-Yvette. Ma première rencontre avec cette oeuvre, que je ne connaissais pas, s’est faite par le très riche site qui lui est consacré. L’intérêt esthétique et historique de ces photographies saute littéralement aux yeux. Un désir fort d’en savoir plus sur ce photographe m’a amené à rencontrer sa fille, Corinne Jamet-Vierny.                                Voici la transcription de cette rencontre passionnante !                                                                                                                                                                                                       Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?                                                                                                                                                                                                    Je suis une personne très linéaire. J’ai fait mes études de génétique à la fac d’Orsay puis j’ai été nommée enseignante-chercheuse dans cette même fac et j’y suis restée jusqu’au moment de prendre ma retraite. Et puis, j’ai hérité du fonds photographique de mon père et là un déclic s’est produit, je me suis entièrement investie dans la diffusion de ce très beau fonds. Ma vie professionnelle, c’est ça !                                                                                                                                                                                                                  Qu’est-ce qui a été le plus formateur dans votre enfance ?

Le plus formateur a été l’amour de mes parents. Que dire d’autre ? Mon père était un artiste avec tous les aléas que cette profession suppose. Il était un chanteur de variété, pas une star. Il ne gagnait pas beaucoup d’argent. C’était très anxiogène pour moi. Je suis sans doute devenue scientifique et fonctionnaire de l’éducation nationale en réaction à cette situation.

Une image qui vous accompagne ?

C’est difficile de choisir… Il y a deux photos de mon père que je trouve très belles et qui pour moi représentent beaucoup.

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© Pierre Jamet, 1953

La première a été prise à Belle-Île à l’été 53, c’est une photo de moi, j’ai 7 ans. Je l’ai nommée « l’envol ». Elle est stupéfiante. Elle est unique, je n’ai trouvé aucun autre négatif de ce moment. Mon père a su saisir la perfection de ce mouvement, « l’instant décisif ».

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© Pierre Jamet, 1934

L’autre représente un couple d’amoureux, Lisa et Fernand Fonssagrives. Ils étaient à cette époque danseurs aux ballets Weidt. La photo a été prise en 1934 à Paris. Avant-guerre, ils ont émigré aux Etats-Unis où ils sont devenus célèbres. Lui comme photographe, elle comme mannequin. Elle est devenue plus tard la femme d’Irving Penn. J’ai sauvé cette photo. Il ne restait qu’un petit positif très abîmé. J’adore cette photo par la puissance évocatrice de l’amour que deux individus peuvent se porter.                                                                                                                                                                                                              Que voulez-vous dire par « j’ai sauvé cette photo » ?

Je suis intervenue sur cette photo. A l’époque de mon père, ma mère et ma demi-soeur repiquaient ses photos à l’encre de chine. J’ai numérisé quant à moi ses négatifs et j’ai retouché certains tirages avec Photoshop. L’objectif est de rendre l’image plus belle, plus propre, de compenser les poussières et les petites éraflures. C’est un travail très fastidieux mais qui permet de se mettre dans l’oeil du photographe, d’établir avec lui une certaine intimité.

Je vais jouer la curieuse mais je suis intriguée par votre double patronyme « Jamet-Vierny » ?

Non, Dina Vierny n’est pas ma mère. Par contre on a eu le même mari, Sacha Vierny. Dina et Sacha se sont mariés en 1939. Ils avaient 19 ans. Moi, je l’ai épousé en 1971, c’était un ami de mon père. Il avait 25 ans de plus que moi.                                                                        Ma mère, Ida Kliatchko, a quitté la Russie à 17 ans. Après un séjour à Berlin elle est arrivée en France. Elle s’est mariée avec un cinéaste communiste dont elle a eu une première fille. Elle a rencontré mon père en 1935, elle participait au Groupe Octobre avec les frères Prévert notamment. Mes parents étaient très amoureux cependant ma mère a suivi son mari cinéaste à Moscou… Leur histoire aurait pu s’arrêter là. Ma mère est revenue en 1938, ils ont vécu ensuite toute leur vie ensemble.

Quel genre de père était Pierre Jamet ?

On était très lié, c’était un père très aimant, j’étais sa fille unique. Il a toujours essayé de me rendre curieuse. Il disait toujours « ma fille, elle est parfaite ». Il disait ça quand je me comportais conformément à ses désirs. Avec le recul, j’ai le sentiment qu’il m’a un peu utilisée, qu’il ne m’a pas laissée complètement prendre mon envol.

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Pierre Jamet et sa fille Corinne devant leur maison de Belle-Île en Mer

 Avez-vous développé une pratique personnelle de la photographie et/ou du chant ?                                                                                                                                                                                                                                                                            Ni l’un ni l’autre. Je fais de la photo comme « Madame tout le monde ». Je n’ai aucune culture de la technique photographique. Certainement par réaction à l’envie de mon père de m’initier, j’ai refusé tout apprentissage avec lui. Par contre, j’ai baigné depuis toute petite dans ses photos, je pense très humblement que ça m’a donné un oeil photographique. C’est sans doute ce qui me permet aujourd’hui de faire ce travail.                                                          Je n’ai pas de voix non plus et je détestais écouter mon père chanter. C’était une épreuve pour moi, j’avais une horrible appréhension qu’il se trompe.Par contre, je fais de la musique. Je joue (très mal) du piano.

Les 4 barbus

Les quatre barbus, Pierre Jamet est en bas à droite

Pause musicale : Honneur aux barbus ! musique de Rossini, paroles de Pierre Dac et Francis Blanche

 J’aimerais parler « technique » avec vous : ses appareils photos, ses tirages…

Il a débuté avec des appareils bon marché puis en 33-35 il a pu acheter son premier Rolleiflex. C’est avec cet appareil qu’il a fait ses plus belles photos. Je ne sais pas vraiment pourquoi mais il a revendu son Rolleiflex en 55-56 pour un Leica. La nature des négatifs change totalement. Il a toujours tiré ses photos ; avant-guerre, il avait installé un labo sommaire dans sa cuisine. Il a fait de la photo en professionnel. Il faisait notamment des portraits d’enfants à domicile en ces temps où tout un chacun n’avait pas son appareil photo. Même si ensuite il est devenu chanteur professionnel dans le groupe vocal Les quatre barbus, il a toujours continué la photographie, c’était sa passion. En 43, il s’est installé un laboratoire en dehors de l’appartement familial, près de la gare Montparnasse. Ses photos, c’était son domaine privé. Il lui arrivait aussi de recadrer ses photos. Je me suis permise pour certaines d’entre elles de revenir au format initial.

Je n’ai vu que des photos en noir & blanc, a-t-il aussi photographié en couleur ?

Oui avec son Leica mais je n’ai pas encore vraiment abordé cette partie de son oeuvre. Il faisait essentiellement des photos de voyage à l’occasion de ses nombreuses tournées.     En 2010, j’ai organisé une exposition de photographies couleur dans le cadre du mois de la photo-off à Paris. Elle s’appelait « Changement de décor à Paris 14e -1944-1984 ». Il a été très marqué par la rénovation du quartier Maine Montparnasse et par la destruction de son premier laboratoire.

Affiche

Aviez-vous échangé avec votre père sur son désir de voir ses photos exposées ou publiées ?

Je n’ai jamais évoqué avec lui le devenir de son fonds photographique. Il m’a laissé une lettre avec des instructions post-mortem, aucune consigne concernant ses photographies n’y figurait. Mon père a très peu diffusé son travail, il doutait, il ne se rendait pas compte de la valeur historique et artistique de ses photos. De son vivant, la Fondation Nationale de la Photographie a organisé deux expositions. En 1990, une exposition « Trio pour une expo » réunissant mon père avec deux autres chanteurs photographes, Paul Tourenne des « Frères Jacques » et Fred Mela des « Compagnons de la chanson » a tourné en France. Les trois chanteurs-photographes se retrouvaient au moment des vernissages, ils avaient conçu un petit numéro de chansons. Un livre a été édité à partir de cette sélection, « Temps de pause ». Il est paru juste après la mort de mon père.

Temps-de-pause

Après la mort de mon père, j’ai laissé pendant plusieurs années son stock de photos dans mes combles, je n’y prêtais pas grande attention. Je me demandais surtout s’il était légitime de m’en mêler… Puis j’ai eu des sollicitations de personnes qui voulaient récupérer le fonds. Un déclic a eu lieu pendant l’exposition Willy Ronis à la mairie de Paris en 2006. Je me suis dit qu’il fallait que je fasse quelque chose… Au moins deux tiers de ses  photos étaient bien rangées, ses négatifs étaient classés dans des boîtes avec un inventaire manuscrit. Il y avait aussi des boîtes de tirages selon des thèmes précis : les enfants, les femmes, la mer, les dormeurs … Ma première idée a été de faire une exposition et un livre sur Belle-Île. Il m’avait passé le virus de cette île qu’il fréquentait depuis 1929 et où il avait acheté une maison en 1946. Je connaissais bien le sujet. Depuis les années 30, il avait pris beaucoup de photos de ses habitants, c’est un peu l’historien du village où se trouve notre maison ! Ma première exposition a donc été réalisée sur l’île et un petit éditeur breton a sorti un livre, il n’a pas eu une grande diffusion à l’échelon national, 70 % des ventes ont été réalisées à Belle-Île.

Et depuis 10 ans vous mettez beaucoup d’énergie à valoriser l’oeuvre photographique de votre père.

Ça n’est pas facile, le milieu de la photographie est très compétitif, je n’ai pas forcément tous les codes. Je sollicite beaucoup et parfois je fais de belles rencontres. Je continue de me bagarrer pour que le travail de mon père soit reconnu.

Actuellement, une très belle exposition du Centre Pompidou est consacrée à la photographie sociale et documentaire au début des années 30.                  Plusieurs photographies de votre père y sont exposées.

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Vue de l’exposition  « Photographie arme de classe », Centre Pompidou, 7 novembre 2018-4 février 2019

Il y a quelques années, j’ai été contactée par le Centre Pompidou qui préparait l’exposition « Voici Paris : modernités photographiques, 1920-1950 ». J’ai appris à cette occasion qu’un grand collectionneur, Christian Bouqueret, venait de céder son fonds au musée et qu’il y avait une trentaine de photographies de mon père dans sa collection. J’ai désiré rencontrer cet homme, il était très diminué, il venait d’avoir un AVC mais nous avons pu échanger très sympathiquement. Il se souvenait que j’étais présente lorsqu’il était venu choisir des photographies au labo de mon père.

L’exposition « Photographie, arme de classe », souligne l’engagement politique et social des hommes et des femmes qui prenaient ces photos. J’aimerais savoir quelles sont les valeurs que vous avez reçues en héritage de votre père…

Je vais revenir sur l’enfance de mon père, l’ambiance familiale n’était pas sereine. Un échappatoire important pour lui a été son intégration de 8 à 15 ans dans les éclaireurs de France du lycée Henri IV. C’est un mouvement scout laïque. Les valeurs qu’il a recherchées toute sa vie y sont liées ; amitié, fraternité, amour de la nature. Il est devenu végétarien alors que son père était charcutier. Il n’a jamais été encarté dans un parti mais il avait beaucoup d’amis communistes. Ça peut paraître contradictoire mais je le vois comme un individualiste très social ! Ce sont des valeurs de gauche qu’il m’a transmises ; l’honnêteté, l’écoute, la détestation de l’emprise de l’argent, l’attention à l’écologie, le désir d’un progrès social.

Très complémentaire de celle de Beaubourg, une prochaine exposition lui sera entièrement consacrée au château du Val Fleury de Gif-sur-Yvette en mars prochain, elle mettra quant à elle l’accent sur les années 30 avec notamment sa participation au développement des auberges de jeunesse et à son travail de directeur de colonies de vacances à Belle-Ile en Mer … Que représentait cette période de sa vie pour lui  ?

A cette période il a eu une vie formidable, une vie sociale très riche. À partir de 1933, il a été un membre très actif de l’Association des écrivains et des artistes révolutionnaires (AEAR) notamment de sa chorale.

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la section sport de l’AEAR, vers 1933 © Pierre Jamet

Il faisait aussi beaucoup de sport. Il a été animateur puis directeur d’une colonie de vacances à Belle-Île dès 1930. Une autre valeur qu’il m’a transmise est l’attention au corps. Il était très discipliné sur ce sujet, il prenait par exemple une douche froide tous les matins.

Votre regard sur l’homme et l’artiste a-t-il changé depuis que vous vous occupez du fonds photographique de votre père ?

Quand je regarde les photos de mon père c’est comme si j’étais en train de regarder à travers son oeil, il avait le désir de « sauver l’instant », je suis souvent émue. Ça, c’est sur l’homme. Sur le photographe, ce travail me permet d’intégrer le regard du public. Quand le public regarde et apprécie les photographies de mon père, c’est un regard objectif qui n’est pas encombré par ma propre subjectivité. Ce regard me conforte dans l’idée que mon père était un bon photographe.

Yan Volsy, musicien, compositeur et concepteur sonore…

Ciné-concert "En sortant de l'école", 26 avril 2017, Grand Logis de Bruz

Ciné-concert « En sortant de l’école », 26 avril 2017, Grand Logis de Bruz

Son nom apparaît au générique de trois courts métrages du programme  » Grand-Petit et petits-grands » créé pour le festival « Image par Image » du Val d’Oise. Il ne m’en fallait pas plus pour avoir envie de rencontrer cet homme-orchestre qui commence à avoir une sacrée réputation dans le monde de l’animation. Rendez-vous fut pris dans son studio perchoir de Montreuil…

Peux-tu te présenter en quelques mots ?

J’ai une petite formule qui me définit bien : « fabricant de musique et de son, spécialisé dans le cinéma d’animation ». J’aime bien le côté artisanal que ça évoque. « Faiseur de ritournelles », j’aime bien aussi.

Qu’est-ce qui a été le plus formateur pour toi dans ton enfance ?

Yan réfléchit … Je ne sais pas si c’est formateur, mais deux choses ont été importantes dans mon envie de raconter des histoires avec la musique. D’abord un pick-up 45 tours sur lequel je passais en boucle « Le Carnaval des animaux » de Camille Saint-Saëns. La légende familiale dit que je savais mettre des disques avant de savoir parler, et que je passais des heures à écouter de la musique. La seconde est le vieux piano Pleyel impossible à accorder dont mes parents avaient hérité. Personne n’en jouait chez moi, je ne suis pas d’une famille de musiciens. Mais c’est sur ce vieux piano que j’ai commencé à composer, enfant, des petites mélodies. La lecture, les livres, ont aussi  été une immense découverte.

Une image qui t’accompagne ?

Il y en a tellement ! Je choisis une image extraite de « Bandits Bandits » de Terry Gilliams, mon premier choc cinématographique. Celle du géant qui sort de l’eau avec le bateau sur la tête, bateau à bord duquel on vient de passer quelques temps !

Bandits, Bandits de Terry Gilliam, 1981

Bandits, Bandits de Terry Gilliam, 1981

Une musique qui t’accompagne ?

J’ai déjà parlé du « Carnaval des animaux », notamment le mouvement AquariumUn autre coup de coeur d’enfant est Titi et Gros minet aux sports d’hiver, j’assume totalement, c’est un vrai cartoon sonore !

Titi et Sylvestre à la neige, 1974

Titi et Sylvestre à la neige, 1974

Plus sérieusement, une musique découverte dans mon enfance que j’écoute toujours : le Köln Concert de Keith Jarret. J’ai découvert  le « Köln Concert » grâce à mon papa. Pour son travail, il est allé à Singapour. Il m’a rapporté tout un lot de cassettes pirates ! Essentiellement du piano, il y avait notamment Richard Claydermann qui était très à la mode dans les années 70 mais aussi le « Köln Concert ». Je prenais à cette époque des cours de piano, ça se passait très mal avec ma prof. Keith Jarret n’a pas arrangé nos relations. Je lui ai apporté un morceau de lui que je voulais apprendre à jouer, elle a refusé en disant qu’il jouait trop fort de la main gauche !

Comment la musique a-t-elle débarqué dans ta vie ?

Comme une évidence. Ce n’est pas lié à un contexte familial, c’est un besoin totalement personnel. Je n’ai par contre jamais pu rentrer dans le système traditionnel d’apprentissage de la musique.

Auditeur, joueur… deux faces d’une même passion ?

J’écoute et je joue de la musique en permanence. Un de mes morceaux s’appelle La Jalousie du MusicienIci c’est la jalousie de la musique de Yann Tiersenn. C’est totalement ça, une jalousie positive qui donne envie et qui te rend humble. Je ne suis pas un virtuose. Je n’ai pas d’ailleurs particulièrement d’habileté manuelle. La virtuosité est un don doublé d’une immense capacité de travail, mais moi je n’ai jamais eu envie de passer des heures sur un instrument pour devenir un interprète génial. Je ne suis pas à la recherche de cette perfection. Par contre je suis sensible à la virtuosité des autres musiciens, celle de Keith Jarret ou d’un griot africain peu importe, cette virtuosité peut m’emporter très loin, c’est hypnotique. Je crois aussi que de ne pas être virtuose me permet d’être un auditeur qui n’est pas blasé.

A quel moment as-tu décidé de faire un métier lié à la musique ?

Pendant mes études supérieures. J’ai suivi un cursus de réalisation audiovisuelle à l’université Stendhal de Grenoble. Pendant ces études, un de mes profs, André Targe, m’a fait comprendre que j’étais plus du côté de l’oreille que de l’oeil. Dans le cadre des films qu’on réalisait avec les étudiants, je m’occupais souvent du son.

Et ta rencontre avec le cinéma d’animation ?

Très brutale ! (rire) Je peux la dater très précisément : mars 2006, ma première collaboration avec l’école de La PoudrièreDepuis déjà une dizaine d’année je créais des bandes sons pour le jeu vidéo et le théâtre. Et puis j’ai eu l’occasion de travailler sur le film de fin d’étude de Julien Bisaro, « L’oeil du cyclone ». Et là, boum, l’évidence : « c’est ça que je veux faire. » Le cinéma d’animation d’auteur m’attirait déjà par les liens qu’il entretient avec le burlesque, les arts du cirque, Tati… Par ailleurs j’ai senti que de travailler dans le cinéma d’animation me permettrait de continuer à faire du son et de la musique. J’aime gérer des créations complètes, m’occuper à la fois du bruitage, des voix et de la musique. C’était de plus en plus dur, j’évoluais dans un milieu de plus en plus pro, où les différents métiers liés aux sons étaient très cloisonnés. Ça ne me convenait pas, je n’avais pas envie de faire des choix ! Avec l’animation, j’ai senti que je pouvais continuer à défendre mon statut « multi-casquettes ».

Ton nom apparaît dans trois courts métrages du programme « Grand-Petit et petits-grands »  …. Es-tu en passe de devenir le musicien incontournable du cinéma d’animation français ?

Rire – Ça ne me déplairait pas d’être le spécialiste français des « petits personnages ». J’ai d’ailleurs aussi travaillé avec Anna Chubinidze sur son court « Le petit bonhomme de poche ».

Le petit bonhomme de poche d’ Anna Chubinidze, 2017

Le petit bonhomme de poche d’ Anna Chubinidze, 2017

Plus sérieusement c’est un concours de circonstance, c’est le jeu de la programmation. Ce qu’il faut savoir c’est que faire le son d’un film, ça va vite, beaucoup plus vite que l’image. Pour un film de 3 ou 4 minutes, mon intervention va durer 3 ou 4 jours, alors que l’image a pris au moins trois ou quatre mois ! Pour en vivre, je suis donc obligé d’en faire beaucoup ! Mais ça me plaît, j’adore passer d’un projet à l’autre rapidement, et mon réseau professionnel s’est concentré sur ce type là de film. Mais je suis très loin d’être le monsieur musique de l’animation française !

Comment s’organise ta collaboration avec un réalisateur ?

J’interviens le plus tôt possible. Souvent on m’appelle au moment du scénario. Il est très rare que j’intervienne sur un film quasiment terminé. C’est d’ailleurs souvent mauvais signe ! Donc le plus souvent je rentre très tôt dans le projet. Au début c’est un travail informel : se voir autour d’un café, parler au téléphone, lire des choses… Je peux suivre les progrès du story board, de l’animatique, du tournage, et pour un film d’animation, c’est très long… Alors, quand arrive mon tour de faire des choses, ça vient très vite, parce que je suis déjà nourri de l’intimité qui s’est créée avec l’histoire et le réalisateur pendant tout ce temps de fabrication de l’image. Puis c’est un aller-retour de propositions entre le réalisateur et moi. Je propose des ambiances, un ou plusieurs thèmes. Il peut y avoir des tensions, parfois je dois faire comprendre au réalisateur qu’il fait fausse route. Dans 90% des cas, ça se passe bien ! Quelqu’un capable de passer deux, trois ans de sa vie à faire un court métrage de 10 minutes est forcément quelqu’un de passionné. Mais il a aussi développé un rapport d’hyper-contrôle sur son film : rien ne lui échappe, image par image ! Ou presque : la voix des personnages, les bruitages, la musique, font partie des choses sur lesquelles il ou elle est obligé de lâcher prise, parce qu’il maîtrise moins bien que l’image. Il faut donc savoir rassurer, mettre en confiance, pour faire accepter ce lâcher-prise. Mais ils ont aussi souvent des idées très fortes. Je continue d’apprendre au contact des réalisateurs, y compris des plus jeunes.

Est-ce qu’il est différent de travailler pour un film d’étudiant et un film pro ?

Non, il n’y a que les moyens qui changent. L’exigence est devenue très élevée pour les films d’étudiants, à cause de leur importance pour l’entrée dans le monde professionnel, et de l’effet « sélection en festival ». Presque trop à mon goût : c’est, parfois, au détriment de la créativité.

J’aimerais parler des trois films du programme « Grands-Petits » qui sont chacun lié à une économie particulière : un film d’étudiant, un premier film professionnel et une série TV…

Commençons par « Le vélo de l’éléphant », premier film professionnel d’Olesya Shchukina.

Je connaissais déjà bien Olesya, j’avais travaillé sur ses deux films de La Poudrière : Les Talons rouges et Mal de TerreJ’étais déjà totalement amoureux du travail et de l’univers de cette jeune femme, et j’avais déjà une petite idée de ce qu’elle attendait de notre collaboration. Ça n’a pas empêché que lorsque je lui ai envoyé une première proposition, ce n’était pas ça, elle souhaitait quelque chose de plus rythmé. Bon, le deuxième essai a été le bon ! J’ai travaillé avec plusieurs réalisateurs d’origine russe, ils ont une vraie culture de l’animation. Ils utilisent le son de manière percussive, très musicale, rythmique, avec des silences. Quand on travaille pour eux, retenir ses notes et ses envies de notes est essentiel. Quand il y a de la musique, elle est très présente, ce n’est pas un « tapis ». En fait je crois qu’ils ont un sens inné du burlesque. Or le burlesque cinématographique est né silencieux, je parle de Chaplin, Keaton… La musique et le son doivent-ils se faire remarquer dans un film ? Cette question soulève un vrai débat esthétique. Moi, j’aime quand ils se remarquent, mais quelquefois ça n’est pas justifié.

Et « Deux amis », film de fin d’étude de Natalia Chernysheva…

Je ne la connaissais pas quand on a travaillé ensemble. Mais bien qu’elle soit russe elle aussi, on a eu des problèmes de communication ! Au début je ne devais faire que le mixage, mais j’ai finalement dû refaire pas mal de bruitages, et adapter un de mes morceaux de musique pour la seule plage musicale du film. Franchement, je n’étais pas convaincu, et le temps nous a manqué ! Au final, on a un résultat très chouette, mais la création s’est faite un peu dans la douleur.

Et « L’homme le plus petit du monde », série TV de Juan Pablo Zaramella…

J’avais rencontré Juan Pablo à Buenos Aires (il est Argentin), on avait passé une bonne soirée ensemble. On s’est croisé plus tard au festival d’Annecy. Peu après, il m’appelle pour me proposer de faire la musique de sa série coproduite en France. Sa demande était très précise, il voulait le même morceau sur tous les épisodes, et m’a donné en référence un morceau d’orgue de Nino Rota, un morceau un peu kitch, mais bon, Nino Rota quand même ! Le temps passe, et rien ne me vient… La trouille de devoir faire mieux ! La veille du rendez-vous, j’écris deux ritournelles avec un son d’orgue rétro tout pourri. Je joue la première à Juan Pablo, il dit « nice, nice », genre « mouais…», avec son accent argentin.  Je passe à la deuxième, j’entends « That’s it !! Do not change anything !». Et voilà, j’ai fait quelques petites déclinaisons contextuelles de la musique pour certains épisodes. Puis j’ai prêté ma voix au Petit Homme, en en changeant la hauteur, j’ai fait aussi tous les bruitages. Il n’y a que le mixage qui a été fait par quelqu’un d’autre.

Le "Petit Homme" chef d'orchestre...

Le « Petit Homme » chef d’orchestre…

Entre la musique acoustique et la musique électronique ton coeur balance ?

Yan me montre un échantillon des instruments qui se trouvent dans son studio : piano, guitares, banjo, domra, ukulélé, bouzouki, multiples percussions, jouets d’enfants …

Je mélange toujours les deux. Je suis un enfant de l’audio-numérique, j’ai commencé ce métier avec l’ordinateur. Je ne suis pas un musicien « électro », ma musique ne sonne pas « électro », mais j’utilise les mêmes outils. J’ai besoin de sonorités acoustiques, c’est la matière que je retravaille avec l’ordinateur. Pour cela, j’enregistre souvent chaque instrument séparément, ce qui me permet ensuite de modifier, découper, recaler… Dans notre jargon je fais du « re-re » (re-recording). Par exemple, pour « Le vélo de l’éléphant », j’ai joué le piano et les sons synthétiques sur ordinateur,  puis je suis allé en studio pour enregistrer séparément un batteur, un trompettiste et une violoncelliste. C’est donc « acoustique », mais ce n’est pas « live », au sens où personne n’a joué en même temps, où il n’y a pas d’orchestre. Je travaille le plus souvent ainsi.

Lors du dernier festival de l’AFCA, tu as présenté avec trois musiciens complices un ciné-concert lié aux trois premières saisons d’« En sortant de l’école » … Peux-tu nous dire comment ce projet a vu le jour ?

Plusieurs éléments ont été déclencheurs, tout d’abord mon envie de refaire du live. A 47 ans je suis à nouveau à l’école, je prends des cours de piano, de percussion et de chant dans une école de jazz. Ça m’a redonné l’envie de jouer sur scène. Mais surtout j’ai eu un jour un appel de Mohamed Beyoud, le directeur artistique du FICAM de Meknès. Il se demandait si j’avais un ciné-concert à lui recommander pour son festival. Avant de raccrocher, il m’a dit que si un jour je faisais un ciné-concert, il serait intéressé…J’avais travaillé avec trois autres compositeurs à deux saisons d’« En sortant de l’école », pour lesquelles nous avions fait une résidence commune pour l’enregistrement des musiques. A nous quatre, nous formions un vrai petit orchestre. Il y avait une très bonne entente entre nous.  Alors je leur ai proposé de nous lancer dans ce projet de ciné-concert. Finalement, la première ne s’est pas faite à Meknès au Maroc, mais à Bruz en France avec l’AFCA.

Pour terminer, rêves-tu de t’évader des travaux de commande ?

Il n’y a pas de création sans contrainte et c’est pour moi un immense confort et une immense joie de travailler avec les contraintes de l’image. Donc a priori je n’éprouve pas ce besoin.                                                                                                                       Mais il y a des occasions : avec le compositeur Pablo Pico nous travaillons sur la série « La Cabane à Histoires » de Célia Rivière qui nous donne beaucoup d’autonomie.     

« La Cabane à Histoires » de Célia Rivière, 2016

« La Cabane à Histoires » de Célia Rivière, 2016

Nous partons des albums jeunesse pour faire une proposition musicale à Célia. La musique n’est pas liée au timing de la future image. La réalisatrice s’appuie sur elle pour  monter les épisodes. C’est  finalement assez proche de la démarche qu’avait développée Disney : la musique était créée en premier, les images animées dessusJ’ai aussi eu l’occasion d’écrire un album instrumental ,« Miniatures », qui propose aussi des musiques préexistantes aux images, et qui sert pour des productions audiovisuelles. Et puis j’ai déjà eu l’occasion de composer pour la chanson, dans le droit fil de mes petites ritournelles, et j’espère bien avoir l’occasion de creuser un peu plus de ce côté là !

Yulia Aronova, artiste et réalisatrice

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Photogramme du court métrage du festival « Image par image » 2017

Chaque année, le festival Image par Image invite un réalisateur à concevoir sa bande annonce et son affiche. C’est l’artiste russe, Yulia Aronova, qui a relevé ce défi pour l’édition 2017. Nous sommes véritablement saisis par la richesse de sa proposition. En moins d’une minute, une ferme-cinéma se crée sous nos yeux. C’est drôle et émouvant à la fois. Ce petit bijou animé qui ouvrira toutes les séances du festival célèbre le cinéma et l’intelligence des spectateurs.                                                                                                        Spectateurs qui pourront aussi découvrir dans le programme spécial du festival « Grand-Petit et petits-grands » son dernier court-métrage produit lors d’une résidence au studio Folimage, « One, two, tree… ». Ça pulse aussi !

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Je me définis plus comme une artiste que comme une réalisatrice. Même si j’adore raconter des histoires je n’ai pas l’assurance absolue d’être une bonne réalisatrice. Par contre je dessine depuis toujours et le style graphique est très important pour moi. C’est comme une signature. Je me sens à l’aise avec le « comment faire » alors que le « quoi dire » me pose toujours problème…

Qu’est-ce qui a été le plus formateur pour vous dans votre enfance ?

J’ai grandi dans une famille de médecins. Dès trois ans j’ai commencé à dessiner. J’étais souvent seule avec mes dessins. Je me créais un monde imaginaire. Mon père aurait voulu que je devienne dentiste mais il ne m’a pas empêchée de choisir une formation artistique. C’est après l’enfance, dans mon école d’art, que j’ai rencontré des professeurs qui ont été importants pour moi.

Une image qui vous accompagne…

Je change tous les jours… Aujourd’hui c’est le tableau qui est derrière vous, je suis fascinée par cette forme rouge. Hier c’était un portrait… Une photo de famille prise par mon père lorsque j’avais six ans est importante pour moi. Mon père m’a photographié avec ma soeur ainée et ma mère au bord de la mer. Chacune de nous trois a pris une pose différente qui représente son caractère. (Faute de voir la photo, Yulia me mime les trois poses, c’est très drôle ! Yulia a aussi des talents d’actrice !) Presque trente ans après nous avons refait cette photo en Inde en répétant les gestes de la photographie initiale.

Pouvez-vous nous parler de votre formation artistique ?

A l’adolescence j’ai intégré l’Institut National de la Cinématographie à Moscou (VGIK). J’ai choisi la section « cinéma de fiction » parce que c’était prestigieux. (Eclats de rire) Lorsque je me suis retrouvée seule sur un grand plateau avec des techniciens à diriger, j’ai vite compris que ça n’était pas pour moi. (Yulia mime alors un « technicien russe ». Hilarant ! J’aurais dû avoir une caméra avec moi !). J’ai échangé ma place avec un étudiant qui était dans la section « cinéma d’animation ». J’ai trouvé alors un monde dont l’échelle me correspondait mieux.

Connaissiez-vous alors le monde de l’animation ?

Non pas du tout. Ma seule référence était Wallace et Gromit. Je suis tombée amoureuse du cinéma d’animation en le faisant. A l’école on dessinait beaucoup, presque toute la journée ! J’ai fait mon premier film clandestinement dans un petit souterrain sous l’école avec un copain comme opérateur. Il racontait l’histoire d’un éléphant et d’un chien. Mes acteurs étaient des marionnettes. On l’a tourné avec une caméra argentique. On n’avait pas de retour sur l’animation avant de développer la pellicule. Le mouvement est très saccadé mais je garde précieusement ce film car grâce à lui, j’ai compris ce que je voulais faire… Faire de l’animation est pour moi une forme de méditation, un espace mental où je suis bien. Cependant je fais toujours mes films dans l’intention de les montrer…

Eskimo est-il votre film de fin d’études ?

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Eskimo de Yulia Aronova, 2004

Non, il n’y a pas de film de fin d’études à VGIK. En dernière année on doit présenter de grandes esquisses qui définissent un travail de préproduction, qui déterminent le style graphique, le design du film à venir. J’ai proposé des dessins à partir d’un texte de Marina Tsvetaeva sur sa relation à sa mère et à la musique (Yulia reprendra plus tard ce travail préparatoire pour réaliser son très beau court métrage Mother and Music). Pour la petite histoire, chaque étudiant à un parrain qui est souvent un professionnel reconnu, j’ai eu la chance d’avoir Youri Norstein. Ce dernier était très critique par rapport à l’enseignement donné à l’école. Face à mes grands dessins il disait toujours de dessiner plus petit, que c’était plus poétique… A la sortie de l’école, j’ai eu la moins bonne note de tous les étudiants en animation, je n’étais pas conforme à leurs attentes.

Comment avez-vous alors réalisé Eskimo ?

J’étais attirée par l’animation en volume. Tout en étant étudiante, j’ai rencontré des spécialistes de la marionnette dans des petits studios à Moscou. Ils m’ont beaucoup appris. Un étudiant canadien, Pierre Boulanger, suivait à VGIK des études de réalisation de films de fiction. C’est lui qui m’a donné l’idée du pingouin et du cirque. Après l’école, j’ai demandé à ma grand-mère de me prêter une pièce de son appartement, je l’ai transformée en un très beau studio. Pendant quatre mois avec un opérateur japonais, Makoto Sembon, qui était aussi étudiant à VGIK, nous avons réalisé le film. C’est un très bon souvenir.

Dès ce premier film vous avez collaboré avec le musicien Lev Slepner ?

C’est mon copain qui était spécialiste du son qui me l’a fait rencontrer. Je considère Lev comme mon co-auteur. J’adore son travail, nous nous comprenons…

Lev Slepner en concert

Lev Slepner en concert

Comment travaillez-vous ensemble ?

Lorsque l’animatique de mon film est prêt, je mets des morceaux de musique provisoires dessus. Ce sont des références. Ça donne l’ambiance, le rythme que je désire… Ensuite je donne cette maquette à Lev. Il me propose toujours une composition magnifique, il a un sacré talent. Nous discutons énormément. Il fait beaucoup de propositions. Le plus dur c’est de couper, de choisir dans sa musique. En plus d’être compositeur Lev est un musicien de jazz, il aime faire des concerts avec son groupe.
Presque tous vos films sont « sans parole », pourquoi ce choix ?
L’animation est déjà une langue en soi. C’est la langue des gestes, du rythme, du graphisme… Si je peux montrer quelque chose sans mot, je préfère. C’est l’école de Chaplin !
Eskimo a remporté plusieurs prix dans les festivals. Cette reconnaissance a-t-elle facilité votre intégration dans le monde du travail ?
Ça n’a pas été immédiat, il a fallu du temps pour que le film existe et soit connu. Mais Eskimo est une bonne expérience. Lorsque j’ai fait le tour des studios, c’était ma carte de visite. Je pouvais dire « je sais faire ça » ! Ce qui a compté pour moi c’est mon premier festival à Souzdal en Russie, j’ai reçu le prix Alexander Tatarsky et le prix du nouveau talent pour Eskimo en 2004.
Après Eskimo vous réalisez donc Beetle, boat, apricot dans les studios Animos puis Mother and Music. Ces deux films semblent deux parties d’une même oeuvre. Deux poèmes visuels assez nostalgiques où l’on voyage entre rêve et réalité…
Quand j’ai fait ces deux films j’étais très jeune, je voulais être prise au sérieux. Et pour ça je pensais qu’il fallait faire des choses très dramatiques, très poétiques, très artistiques ! (grands éclats de rire). Il m’était impossible alors de faire des choses simples, drôles, légères.
abricot

Beetle, boat, apricot de Yulia Aronova, 2005

Ces deux films se ressemblent aussi beaucoup au niveau de la technique utilisée. Elle rappelle l’ambiance des films de Youri Norstein. 

Je n’y ai pas pensé quand je les ai faits. J’ai effectivement utilisé une technique traditionnelle. Ce sont deux films tournés en pellicule sur un vrai banc titre avec des glaces. J’ai utilisé comme Youri Norstein la technique du papier découpé avec une texture d’aquarelle. Je suis à l’origine d’une rumeur amusante. Un journaliste me faisait remarquer, comme vous, la proximité de mon travail avec celui de Norstein. Pour rire je lui ai dit qu’il était mon oncle et qu’il était normal de préserver notre tradition familiale. Il m’a cru et la rumeur s’est répandue… Plus tard j’ai revu Youri Norstein lors d’un festival, il a beaucoup ri et m’a dit qu’il était très heureux d’avoir une nièce comme moi. C’est donc officiel, je suis la nièce de Youri Norstein !
Mother and music

Mother and Music de Yulia Aronova, 2006

A part votre parrain et oncle, avez-vous d’autres influences artistiques ?
C’est banal de dire Hayao Miyazaki mais son travail est génial ! J’adore aussi Swankmajer et les Frères Quay. En même temps, j’aime les séries comme les Simpson. Et bien sûr  Igor Kovalev. Lorsqu’il m’a donné un prix au festival Krok pour Мy mum is an Airplane, c’était magnifique !
Burd in the window d'Igor Kovalev, 1996

Bird in the window d’Igor Kovalev, 1996

Le film suivant, Camilla, est une véritable rupture par rapport à vos courts métrages précédents tant dans la forme que dans le fond. C’est un ovni cinématographique où vous mélangez diverses techniques d’animation avec de la prise de vue continue. Racontez-nous sa genèse.

Je n’aime pas ce film. Il est beaucoup trop long, pas assez rythmé. J’aimerais pouvoir refaire entièrement le montage. J’avais juste au début un personnage qui était un mix de 2D et de 3D. Sa tête, ses mains et ses bottes étaient en volume et ses bras et jambes étaient dessinés. Le scénario initial racontait l’histoire d’un oncle Fred qui allait pêcher. Ça ne marchait pas. Un jour j’avais la marionnette sur ma table et j’ai posé à côté d’elle un journal dans lequel il y avait une photo d’actrice. Le rapprochement entre la marionnette et la photo a fait tilt, j’avais mon histoire. Une histoire d’amour ! Pour faire ce film il y avait une grosse équipe, je ne pouvais pas improviser ni modifier les choses. On est vraiment libre que dans un film d’auteur et il faut que le film soit court !

Camille

Camilla de Yulia Aronova, 2008

Au début de la matinée vous m’avez dit que vous aviez du mal avec le « quoi dire » et pourtant vous devenez scénariste.

Oui, j’ai suivi des petits cours de scénariste pendant cinq mois après l’école VGIK. Mais là encore c’est en pratiquant que j’ai appris. Le studio Pchela a un projet intéressant, il réalise un almanach, une sorte de recueil de courts métrages fait par de jeunes réalisateurs. Chaque année ils ont besoin de huit à dix sujets. J’écris dans un carnet les idées qui me viennent, j’ai puisé dans ce fond. J’ai fait entre autre le scénario du court métrage On the wing de Vera Myakisheva. C’est dans ce studio que j’ai réalisé mon film Мy mum is an Airplane. C’était totalement nouveau pour moi de travailler pour les enfants. Мy mum is an Airplane est donc un film de commande. J’avais un petit budget et un délai très court. J’ai eu du mal à trouver l’histoire, j’avais écrit un petit poème de trois phrases avec des rimes. J’ai demandé à Sasha Nochin de m’aider à le continuer. Il a écrit un très grand texte, style rap, dans lequel j’ai choisi des extraits. Le tournage a été très rapide, le film est en 2D, il est fait sur ordinateur. Chaque histoire appelle sa technique. J’aime ne pas être enfermée dans un style, dans une technique.

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Мy mum is an Airplane de Yulia Aronova, 2013

J’aimerais publier un album jeunesse à partir de cette histoire. Ce n’est pas facile de trouver un éditeur russe. La maquette du livre est presque terminée, j’ai 26 dessins avec des petits poèmes. Je vais aller à la foire du livre de jeunesse de Bologne en avril prochain.

Votre dernier court métrage One, two, tree … a été réalisé lors d’une résidence à Folimage. Racontez-moi ça !

J’ai rencontré Zoia Trofimova à Annecy. Elle m’a expliqué le principe de la résidence à Folimage. Je devais concevoir un projet amusant pour les enfants d’une durée de 5 minutes maximum. J’ai associé deux mots, les mots « arbre et bottes » et mon imagination s’est emballée. Le dossier était très complet, je devais produire un scénario, un synopsis et un storyboard. Au dernier moment avant de l’envoyer j’ai ajouté dans le paquet des feuilles d’arbres que je venais de cueillir. Je ne sais pas si c’est ça qui m’a porté chance mais j’ai été choisie et là c’était le grand bonheur, comme dans un rêve ! Je suis arrivée à Valence au printemps, les arbres étaient en fleurs. On retrouve les cerisiers roses dans la séquence chez le coiffeur !

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One, two, tree de Yulia Aronova, 2015

J’avais neuf mois pour produire mon film, je travaillais du matin au soir. J’étais très motivée et très concentrée. J’ai changé très peu de choses dans l’histoire.

Ce court métrage est déjà sorti en France avec trois autres films choisis par Folimage sous le titre Neige et les arbres magiques. Il participe cette année à un autre programme conçu spécifiquement pour le festival Image par image, Grand-Petit et petits-grands. Que vous inspirent ces rapprochements avec le travail d’autres réalisateurs ?

Une fois que mes films sont terminés je ne les regarde pas. J’ai vu à Annecy le programme Neige et les arbres magiques lors d’une séance publique. C’était amusant de voir les réactions des enfants, ils semblaient heureux, ils répétaient les rythmes avec leurs mains, ils criaient. C’était très joyeux. Je n’ai pas encore vu Grand-Petit et petits-grands mais c’est pour très bientôt !

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Affiche réalisée par Nicolas Vong, stagiaire d’écrans VO

Vous avez aussi réalisé l’affiche et la bande-annonce pour le festival Image par image de cette année.

Yves Bouveret m’a fait cette proposition il y a plus d’un an. J’ai vraiment eu le temps d’imaginer, d’écrire et d’essayer des choses. J’étais très libre pour le thème. Yves m’avait juste demandé un court de 20 à 30 secondes. Je l’ai appelé régulièrement pour ajouter du temps, 35 secondes puis 40, puis presqu’une minute ! Je suis partie de deux personnages, une vieille dame et un robot. Au début j’avais plutôt une histoire dramatique, le robot aidait la vieille dame à se sentir vivante dans ses derniers jours.                   Eugène Boitsov s’est joint à moi et on a fait ensemble un brainstorming. On a écrit très vite l’histoire finale. On a animé chacun de notre côté, on se retrouvait sur Skype pour échanger.

Cette rencontre a pu se faire grâce à la présence de Yulia sur le festival « Image par image ». Elle y présente son court métrage « One, two, tree… » au public du programme « Grand-Petit et petits-grands ». Elle anime aussi toute la semaine un atelier avec un groupe d’enfants à Enghien !

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Atelier animé par Yulia Aronova, Enghien, février 2017

Constanza Aguirre, artiste peintre

Vue de l'atelier de Constanza Aguirre à Saint Denis

Vue de l’atelier de Constanza Aguirre à Saint Denis, cahiers noirs et toile de la série « Les voix du fleuve » toile en cours de réalisation… décembre 2015

La création artistique et la réalité du monde sont liées inexorablement. Constanza Aguirre n’a pas attendu les derniers évènements qui secouent notre société pour produire un art engagé. Rencontrée lors de la Biennale de Villeneuve la Garenne en 2010, j’avais été marquée par ses grandes silhouettes noires qui magnifient les gestes du travail. Son exposition « Errance dans le pays de l’oubli » était en cours de réalisation. Quelques années plus tard, j’ai eu envie de mieux connaître son parcours et de découvrir ce qui l’anime aujourd’hui.

Peux-tu te présenter en quelques mots ?

Colombienne vivant en France depuis presque 30 ans, mon histoire, dont mon parcours artistique est partiellement le reflet, s’inscrit dans cette double matrice géographique avec les particularités propres à mon pays et les liens qu’il entretient avec la violence et l’oubli. De part cette histoire, la violence et l’oubli sont des sujets qui m’accompagnent tout au long de ma production picturale.

Qu’est-ce qui a été le plus formateur pour toi dans ton enfance ?

J’ai grandi dans un quartier de Bogota conçu et réalisé sur les principes des citées radieuses créées par Le Corbusier : le Centro Nariño. Ce quartier, véritable village à la verticale avec ses rues intérieures, ses services (écoles, commerces, cinémas…), avait la qualité de permettre aux enfants de se retrouver sur de grands espaces verts, boisés … où l’on apprenait la liberté de se déplacer, de se balader partout, d’aller au cinéma, de grimper aux arbres….

Le Centro Nariño d'Antonio Narino

Le Centro Nariño d’Antonio Narino

En habitant jeune ce quartier, j’ai l’impression d’avoir grandi sans contrainte et d’avoir découvert en groupe des réalités nouvelles … Cette enfance m’a certainement donné le goût pour une certaine forme de liberté et la volonté d’assumer ses responsabilités, dans la vie, dans le travail, dans la façon de produire des œuvres.

Une image qui t’accompagne…

Je dirai plutôt des images liées à mes recherches plastiques, artistiques. Ce sont des images qui sont censées soulever autant de questions que de réponses formelles. Ce ne sont jamais des images seules, isolées, abstraites d’un contexte, mais plutôt des images qui établissent, par le regard que je porte sur elles, un rapport avec ma recherche artistique. Mais elles peuvent aussi être persistantes, revenir de façon récurrente dans mes travaux, parfois après plusieurs années d’effacement … des images qui changent, qui se modifient avec le sujet traité …

Maison en ruines, Tlaxcala, 1955, de Juan Rulfo

Maison en ruines, Tlaxcala de Juan Rulfo, 1955

Bogotá, archive photographique de Sady González, avril 1948 

Bogotá, archive photographique de Sady González, avril 1948

“Que viva Mexico” de  Sergueï Eisenstein,  1931

“Que viva Mexico” de  Sergueï Eisenstein, 1931

Quand as-tu décidé que tu allais te consacrer à une carrière artistique ?

Très jeune, le dessin a été pour moi, un moyen d’expression privilégié. C’est pourquoi, dès mes 13 ans, j’ai voulu travailler ma technique. A l’époque, à Bogota, il n’y avait pas beaucoup de moyens, entre autres de communications,  pour découvrir le monde artistique. Il y avait très peu de galeries d’art, les musées n’étaient pas très riches en collections d’art contemporain, les revues étaient peu nombreuses et difficilement accessibles aux jeunes générations. Il n’y avait pas internet … Mais, à ce moment, certains peintres colombiens, ouvraient leurs ateliers et enseignaient à de petits groupes de jeunes gens attirés par les pratiques artistiques. Ainsi,  j’ai pu intégrer l’atelier du peintre David Manzur, qui tout en nous apprenant les techniques de dessin (c’est un grand dessinateur), nous faisait connaître l’actualité artistique (expositions nationales, internationales, critiques …) et découvrir les œuvres, la vie des maîtres anciens, des contemporains … souvent en projetant des films chez lui. Cela a été pour moi, une formation importante, tant sur le plan technique que culturel, et je crois que cela m’a aidé à faire les choix professionnels et de vie que j’ai faits ensuite.

Carnaval de David Manzur

Carnaval de David Manzur

Quelle formation spécifique as-tu suivie ?

Justement, ma formation initiale en Colombie et la découverte des courants artistiques contemporains, m’ont donné l’envie de poursuivre ma formation à l’étranger. J’hésitais entre l’Europe, où l’Italie et la France m’attiraient particulièrement, et l’Amérique du Nord. J’avais donc postulé dans différentes écoles des Beaux-Arts dans des pays qui m’intéressaient. L’Ecole du Musée De Beaux-Arts De Boston (School Of The Museum Of Fine Arts) m’ayant rapidement répondu favorablement je suis partie pour les Etats Unis où j’ai donc vécu 4 ans. J’y ai rencontré, à l’ occasion des ateliers de l’école, des artistes comme  Franck Stella, Davis Hockney, Marina Abramonic et Ullay …

As-tu des influences artistiques ?

Bien sûr. Elles sont diverses et elles dépendent aussi des périodes de création. Je peux citer le rôle de l’expressionnisme allemand auquel j’étais très attachée au début de ma trajectoire artistique, comme un certain nombre d’artistes sud-américains d’ailleurs. J’ai beaucoup étudié et je regarde encore souvent des artistes comme Emil Nolde, Otto Dix, Max Beckmann, Munch… pour leur façon d’exprimer, au travers d’une vision critique, la réalité du monde. J’aime leur univers artistique, sombre, la façon d’aborder et de traiter la couleur, l’usage plastique des noirs, les représentations de la figure…

La nuit de Max Beckmann, 1918-19

La nuit de Max Beckmann, 1918-19

Je peux aussi évoquer le mouvement américain de l’expressionnisme abstrait avec Willem de Kooning, Robert Motherwell … Mon travail sur grand format, la gestuelle picturale, ma façon d’utiliser la peinture ont certainement été influencés par les œuvres de ces artistes.

Elégie à la République espagnole de Robert Motherwell, 1976

Elégie à la République espagnole de Robert Motherwell, 1976

Et puis il y a aussi, Goya, son trait extraordinaire y compris dans son économie, l’usage de la tâche, ses noirs, ses bruns, sa façon d’aller à l’essentiel, sa liberté d’esprit, son engagement, la puissance de son discours … La création d’un univers fantastique et monstrueux qui transcendent le temps et qui ouvrent le monde de la peinture à la modernité. Je pourrai citer beaucoup d’autres artistes, des peintres, des écrivains … des courants artistiques qui m’ont et m’influencent aujourd’hui. Mais je crois qu’il est important de souligner que ces influences sont souvent « recherchées », c’est-à-dire qu’elles aident à préciser, renforcer les recherches formelles, les thèmes picturaux qui me sont chers, et que j’essaye sans cesse d’énoncer dans ma peinture.

Dès ton arrivée en France, tu as participé à des collectifs d’artistes comme L’usine éphémère dans le 19 ième arrondissement. Peux-tu nous parler de tes débuts d’artiste parisienne …

A la fin de mes études à Boston, ne voulant pas rester aux USA, j’avais décidé de venir en Europe pour poursuivre ma confrontation à la production artistique contemporaine et aux « classiques ». En 1986 je suis donc arrivée à Paris, encore hésitante quant au pays où « m’installer » ; la France, l’Italie, l’Espagne ? Je n’avais évidemment pas d’atelier et je ne connaissais pratiquement personne, à l’exception de quelques peintres colombiens, comme Luis Caballero, qui vivaient depuis un certain temps ici.  Cependant, un ami, m’avait dit l’importance en France de certaines manifestations artistiques comme le prix international de peinture de Vitry : Novembre à Vitry. J’ai donc décidé de présenter mes travaux à la sélection de cette même année.  Le jury était alors composé de  Valerio Adami, Ernest Pignon Ernest, Antonio Segui, Corneille … entre autres artistes. J’ai obtenu le premier prix avec l’artiste japonais, Noburu Kurosu. Ce prix a été une reconnaissance importante pour mon travail et il m’a permis de réaliser  une première exposition personnelle en France à la galerie municipal Jean Collet et de voir une de mes œuvres intégrer une collection publique importante; celle de la ville de Vitry.

Sans titre de Constanza Aguirre, 1986

Sans titre de Constanza Aguirre, 1986

Mais, outre cette reconnaissance, le Prix de Vitry m’a permis de « rentrer » dans le milieu artistique français. J’ai pu alors trouver un atelier dans le 11ème arrondissement. C’était un grand hangar que nous partagions à plusieurs artistes. L’hiver, le travail y était très difficile, il n’y avait bien évidement pas de chauffage, mais cette proximité avec d’autres peintres était très bénéfique, nous discutions beaucoup entre nous, et souvent d’autres artistes venaient nous voir. C’est comme cela que j’ai rencontré Caroline Andrieux qui m’a demandé de participer à Palliss’Art , évènement qu’elle organisait alors. Elle m’a ensuite proposé un atelier à l’Usine Ephemère. L’Usine Ephémère, située à proximité de la Place des Fêtes dans le 19ème dans les locaux d’une ancienne usine chimique, était un lieu de création collective idéal pour une jeune artiste étrangère comme moi. S’y retrouvaient des artistes de toutes disciplines, des peintres, des sculpteurs, des graphistes, des musiciens… On y échangeait idées, ambitions, techniques, travaux … dans une ambiance très agréable de travail permanent qui n’empêchait pas la fête.   C’est là aussi que j’ai appris le français … celui de la ville et celui de la rue.

Catalogue Paliss’art, co-édition DARE DARE et Groupe SEERI, 1987

Photo extraite du catalogue Paliss’art, co-édition DARE DARE et Groupe SEERI, 1987

J’aimerais que tu nous expliques le rôle de tes fameux «cahiers noirs».

Les cahiers noirs participent pleinement de mon processus de création. Avant de commencer mon travail pictural, je me plonge dans une recherche iconographique et je crée des associations entre des images, des textes divers : ce sont mes cahiers. Les cahiers noirs sont des livres accordéons constitués de photocopies d’images en noir et blanc que j’associe. Ils sont mes « travaux d’atelier » et de recherche pour arriver aux résultats (œuvres) que je produis. Les images sont d’origines diverses, documentaires, historiques, artistiques…

cahier noir

Pour cette série Anonymes, oubliés, disparus, apparus…tu as aussi proposé, pour la première fois, à des artistes d’autres disciplines, en l’occurrence deux écrivains et un musicien de collaborer à ton travail. Quels étaient les enjeux de ce travail collectif ?

Je voudrais citer ici, Gilles Deleuze pour éclairer cette démarche :                                         « Quand on travaille, on est forcément dans une solitude absolue. On ne peut pas faire école, ni faire partie d’une école. Il n’y a de travail que noir, et clandestin. Seulement c’est une solitude extrêmement peuplée. Non pas peuplée de rêves, de fantasmes ni de projets, mais de rencontres. Une rencontre, c’est peut-être la même chose qu’un devenir ou des noces. C’est du fond de cette solitude qu’on peut faire n’importe quelle rencontre. On rencontre des gens (et parfois sans les connaître ni les avoir jamais vus), mais aussi bien des mouvements, des idées, des événements, des entités. »                                  Dialogues de Gilles Deleuze et Claire Parnet, Champs essais, Editions Flammarion, 2008

Pour ce projet, je ressentais la nécessité d’une rupture : rupture artistique, rupture humaine (ce qui n’a rien à voir avec des questions personnelles). Inscrit dans la perspective d’une trilogie narrative, « Anonymes, oubliés, disparus, apparus » devait être un travail artistique affirmant plastiquement une dimension sociologique et anthropologique. C’était une évolution à la fois formelle et conceptuelle de mon travail. Pour cela j’avais décidé de faire appel à des créateurs pour qu’ils participent à la formulation, la formalisation et la réalisation de ce projet artistique. Je me suis donc mise à lire beaucoup d’écrivains contemporains, en particuliers africains que j’ai ensuite sollicités. C’est ainsi que j’ai rencontré Sami Tchack, Raharimanana et Nourredine Boutella pour la dimension sonore et musicale de cette œuvre. Plus tard, et de façon différente, j’ai rencontré le photographe Pierre Trovel que je connaissais depuis longtemps pour la réalisation du second volet de cette trilogie.

De la même façon, tu associes souvent à la présentation de tes oeuvres, des temps d’ateliers, des activités de création que tu animes avec des enfants et des jeunes…

Dans la mesure de possible, j’essayais toujours de le faire… Ça me parait normal de socialiser le travail artistique aussi bien par des expositions  que par des temps de diffusion, de présentation et de réalisation d’ateliers … avec des publics qui souvent n’ont pas accès à la diversité des productions plastiques. Je trouve particulièrement importantes et intéressantes ces rencontres entre des œuvres et des publics « néophytes ». Souvent la participation de ces publics à une réflexion collective façonne des points de vue nouveaux sur les œuvres. C’est pour moi un apport important à ma production. Mais je dois dire, que ces échanges, sont de plus en plus difficiles. L’enfermement social, la frilosité des institutions et des établissements publics (scolaires …), l’uniformisation par ce que l’on appelle la « pensée » dominante, les fausses contraintes économiques sont des obstacles de plus en plus importants à ces indispensables activités.

Atelier lié à l’exposition au Musée d’Art et d’Histoire de Saint Denis, 2006  Photo Pierre Trovel

Atelier lié à l’exposition au Musée d’Art et d’Histoire de Saint Denis, 2006, photo Pierre Trovel

Tu t’es aussi lancé dans l’aventure de l’édition avec la publication de deux livres d’artistes. Désires-tu par ce nouveau support pérenniser tes oeuvres ?

C’est effectivement une forme pour le faire. Mais pas seulement. Le livre permet de dire quelque chose de nouveau. Ce n’est pas un travail de critique, un regard extérieur sur ton œuvre. C’est une lecture proposée par l’artiste sur son propre travail. L’artiste effectue une sélection des œuvres, il choisit de les montrer dans leur intégralité ou d’en souligner un détail, il réfléchit à leur composition… Pour « Anonymes, oubliés, disparus, apparus » le livre réalisé a permis de publier l’intégralité des textes écrits pour ce projet. Le dispositif retenu pour les expositions en France comme à l’étranger ne le permettait pas. Enfin, on peut souligner qu’un livre permet de « donner accès » à de véritables œuvres dans des conditions économiques souvent abordables.

Anonymes, oubliés, apparus, disparus de Constanza Aguirre est un ouvrage édité par Taller Arte Dos Gráfico de Bogotá (Colombie) et Jean-François Parent (France), 2012

Anonymes, oubliés, apparus, disparus de Constanza Aguirre est un ouvrage édité par Taller Arte Dos Gráfico de Bogotá (Colombie) et Jean-François Parent (France), 2012

Tes projets actuels ?

Je mène de front deux projets. Je travaille à la production du dernier volet de la trilogie que j’ai commencé avec « Anonymes, oubliés, disparus, apparus ». La série « Errance dans le pays de l’oubli » est aujourd’hui terminée mais elle n’a été que partiellement exposée à la Biennale de Villeneuve la Garenne.

Errance dans le pays de l’oubli  de Constanza Aguirre

Errance dans le pays de l’oubli de Constanza Aguirre

Elle doit maintenant être vue dans sa totalité, et le troisième livre d’artiste correspondant doit être édité. C’est un gros travail, mais j’aimerais particulièrement l’exposer dans le cadre d’un festival de cinéma sur le travail, faire résonner mes tableaux avec des films comme « Riz amer » de Giuseppe de Santis par exemple.

Riz amer de Giuseppe de Santis, 1949

Riz amer de Giuseppe de Santis, 1949

Depuis un an je travaille sur un nouveau projet, « Les voix du fleuve », qui a pour « thème » les fleuves. Je suis dans mes cahiers noirs … où s’accumulent des images, des extraits de films, des dessins recueillis durant les différents voyages effectués sur le fleuve Atrato en Colombie. C’est une période de préparation, d’organisation, mais aussi de production. Mon retour à l’atelier, après chaque voyage, me permet de retrouver l’univers de la peinture. Ce projet, qui s’inscrit dans la continuité de ma démarche et de mon engagement artistique, est aussi une expérience nouvelle. La remontée du fleuve depuis l’embouchure à proximité du Panama, jusqu’à la capitale régionale Quibdo, m’a permis de réinterroger certaines façons d’aborder  des questions fondamentales du devenir de l’homme. Questions géopolitiques, politiques, sociales, environnementales … liées à l’histoire de mon pays mais surtout universelles. Tu peux voir, sur cette toile en chantier… ces corps charriés par le fleuve, cadavres sans noms, parfois bourreaux, parfois victimes, auxquels les habitants des villages donnent une sépulture ; arbres arrachés, … est-ce seulement l’histoire nationale colombienne ? Pour ce projet comme pour les précédents, je veux associer un écrivain chroniqueur, pour raconter l’actualité de ces territoires.

Une dernière question qui me semble importante pour comprendre les enjeux de ton travail, l’art et l’engagement social sont-ils indissociables pour toi ?

Je pense que la fonction de l’esprit, sa nature même, est d’être engagé, c’est-à-dire d’être critique (savoir faire le tri), de ne pas accepter d’être asservi ou aveuglé par ce que le monde renvoie. En ce sens, je crois être une artiste engagée, ce qui ne signifie pas être activiste. L’artiste n’est pas en dehors du monde qui l’environne, dans lequel il vit. Ce monde a donc une influence sur lui, sur son œuvre. Cette réalité, s’il en a conscience, l’oblige simultanément à se positionner, autant dans le monde que dans le rapport à l’histoire, dans le rapport qu’établit son œuvre avec l’histoire de l’art. Cet engagement, qui est le mien, je ne peux pas l’envisager en dehors du langage artistique que j’ai choisi pour m’exprimer, la peinture. C’est le langage qui me permet le mieux d’agir et de participer à la transformation de cet environnement qu’est le monde.

Isabelle Duval, auteure et réalisatrice

Isabelle en plein tournage "Des devinettes de Reinette"

Isabelle en plein tournage « Des devinettes de Reinette »

Le festival Image par image du Val d’Oise prépare sa 16 ème édition. A Goussainville, les écoles et les centres aérés vont découvrir ou redécouvrir la superbe série animée, Les devinettes de Reinette. Chargée de la rédaction du dossier pédagogique, j’ai eu envie de connaître la réalisatrice qui se cache derrière ce projet original. Quand l’imagination et le plaisir sont à la source de la connaissance…

Peux-tu te présenter en quelques mots ?

Je suis auteure de bible graphique et littéraire, scénariste et réalisatrice de séries télévisées en animation volume.

Qu’est-ce qui a été le plus formateur pour toi dans ton enfance ?

Petite, j’avais peu d’activités extra-scolaires. J’ai beaucoup regardé la télé. Ça m’a formée. Les petites séries en volume m’ont particulièrement marquée comme «Le manège enchanté» ou «Aglaë et Sidonie». J’adorais aussi l’ours Colargol, c’est une série magnifique. J’aime son univers poétique.

Aglaë et Sidonie d’André Joanny- 1969-1973

Aglaë et Sidonie d’André Joanny- 1969-1973

J’aimais également beaucoup l’oiseau Antivol et la série en stopmotion Albert et Barnabé qui se passait dans l’île aux enfants mais j’adorais aussi Ernest et Bart des Muppets show. D’ailleurs j’ai réalisé il y a peu que Twini et Twiki, les personnages de Kiwi, leur ressemblaient un peu (un petit orange et un grand jaune). Je dessinais beaucoup aussi. Ma soeur aînée inventait des histoires. On développait ensemble tout un monde imaginaire. Je réalisais des petites planches de BD très naïves. J’étais fan du Journal de Mickey, des Pieds Nickelés… J’aimais déjà l’humour absurde.

Une image qui t’accompagne …

Depuis au moins une quinzaine d’années, c’est une photographie du Petit Loup en papier découpé du « Conte des contes » de Youri Norstein qui m’accompagne. Le personnage est blotti dans la main de son créateur. « Le conte des contes » est le film le plus personnel de Youri Norstein. Il évoque des souvenirs de sa petite enfance. Le petit loup gris a un regard tendre et triste. Youri Norstein dit : « il y a perpétuellement en moi ce mélange d’émerveillement et de tristesse ». Il dit aussi : « le bonheur c’est chaque jour de paix ». 

contedescontes

En septembre dernier, j’ai participé au festival international du film d’animation, Krok. Je présentais un épisode de la série des Kiwis, «Petit Robot». Ce festival a la particularité de prendre la forme d’une croisière entre Moscou et Saint Petersbourg. J’ai rencontré à cette occasion Youri Norstein qui m’a dédicacé mon image fétiche.

Croisière Krok d’ Isabelle Duval, Septembre 2015

Croisière Krok d’ Isabelle Duval, Septembre 2015

A quel moment décides-tu de suivre une formation artistique ?

Je suis surtout autodidacte. Je n’ai pas été très sérieuse lors de mes dernières années de lycée. Je n’ai pas passé mon bac. Ma mère, inquiète pour sa fille, m’a inscrite à des cours de sténo-dactylo. J’ai abandonné au bout d’un trimestre mais je sais très bien taper ! Cela a été utile pour faire des missions d’intérimaire dans le secrétariat, j’ai fait pas mal de boulot alimentaire. Assez tôt, j’ai su que je voulais faire du modelage, de la sculpture. Avec une amie, j’ai modelé notamment des pièces de jeux d’échec. Nous faisions aussi des bijoux qui étaient exposés dans une vitrine des Bains Douches. Je connaissais Marylin, la physionomiste de la boîte ! Une étape importante pour moi a été un séjour d’un an aux Etats-Unis, j’ai travaillé dans le parc Disney d’Orlando. J’y ai fêté mes 20 ans. A mon retour, j’étais déterminée à reprendre des études. Mais sans le bac, ça n’est pas facile ! Je me suis inscrite aux cours du soir de l’école supérieure des Arts Appliqués DupérréJ’ai suivi des cours de BD et de modelage.

Quels ont été tes premiers pas dans le cinéma d’animation ?

Mon frère Florian, a organisé pendant une petite dizaine d’années un festival de films amateurs au cinéma Le Trianon de Romainville. Il collectionnait des caméras 8 mm et 16 mm qu’il prêtait aux apprentis-réalisateurs. C’est dans ce cadre que j’ai réalisé mon premier film en pâte à modeler avec une caméra 16 mm. Il s’agissait d’un festival où un début de scénario était imposé, les réalisateurs devaient inventer la suite. Une année par exemple, nous avions proposé l’histoire suivante : le personnage principal est en train de prendre une douche lorsqu’on sonne à la porte, il va ouvrir et trouve une lettre ou un paquet sur son paillasson. Les films faisaient entre 3 et 15 minutes. J’ai ensuite fait une bande démo que j’ai montrée à un autre festival d’animation à Bruxelles, AnimaJ’ai rencontré une des personnes responsable de l’habillage d’Arte. Ma démo lui a plu. Elle m’a demandé de réaliser plusieurs bandes annonces pour le magazine Thema. J’ai ensuite démarché TF1 pour laquelle j’ai réalisé trois logos animés. J‘ai fait aussi pas mal d’illustrations en pâte à modeler pour des magazines dont « Je lis déjà », « Les p’tites sorcières », « Ville et vélo » et des affiches pour Arte et le festival Voix d’Étoiles.

affichefestivalEn parallèle, j’ai rejoint mon frère Florian qui venait de créer sa boîte d’infographie pour la presse. Nous avons développé ensemble un pôle animation qui est maintenant l’activité principale.

Quelle est ta référence en matière de cinéma d’animation en volume ?

J’en ai plusieurs ! J’adore Ladislas Starewitch, ses marionnettes sont extraordinaires. Les films de Swankmajer, les animations en pâte à modeler de Garri Bardine et les magnifiques films en stopmotion de Barry Purves. Je suis aussi très admirative des films des studios Aardman, bien sûr ! Un de mes derniers coups de coeur est le réalisateur australien, Adam Elliot. J’ai adoré «Mary et Max», l’histoire est émouvante, on croit à l’existence de ces deux personnages inclassables.

Mary et Max d’Adam Elliot, 2009

Mary et Max d’Adam Elliot, 2009

Qu’est-ce qui te plaît dans cette technique d’animation ?

La matière, la pâte à modeler, est très présente et pourtant on l’oublie pour être embarqué dans l’histoire. C’est magique de donner vie à une matière qui était inerte au départ. Pour moi, l’animation en volume est la synthèse des deux activités que j’aimais lorsque j’étais ado, la BD et le modelage. Parfois, les personnages, leurs comportements nous échappent. Il n’y a pas d’images clés. Lorsque je décompose un mouvement en pâte à modeler, il y a une partie improvisée. C’est ce qui m’intéresse, j’aime être surprise par la matière.

Tu aimes travailler en famille ?

Je travaille avec mon frère Florian depuis 20 ans. On est naturellement complémentaire.    Il a lui aussi suivi les cours de l’école supérieure des Arts Appliqués Dupérré, mais ceux du jour ! Il a du flair, il a cru à l’idée «Des devinettes de Reinette». Il nous a donné les moyens de développer les six premiers épisodes de la série pour pouvoir mieux démarcher les TV. Il est devenu producteur parce qu’aucun autre producteur n’était intéressé par notre série. Il a envie aussi de mettre la main à la pâte. Pour Reinette, c’est lui qui a fait l’armature de toutes les marionnettes. Pour Kiwi, il a développé des personnages secondaires. De mon côté, en parallèle au travail artistique, je fais aussi de la prospection. C’est ma fille Eloïse qui fait la voix de Reinette et qui chante…

Florian Duval en plein travail !

Florian Duval en plein travail !

Pourquoi as-tu choisi une grenouille comme héroïne ? Pour la rime ? Pour sa grande bouche ?

Je ne sais plus ! Tout est parti d’un jeu auquel je jouais avec mes enfants… «Et si j’étais tel animal…» La rime «Reinette- devinette» a dû jouer, c’est sûr ! La création du personnage principal est une étape importante. Reinette évoque pour moi une petite reine, elle est installée, majestueuse, sur sa feuille de nénuphar. De plus, elle est simple à modeler, toute ronde !

Tu as décliné le concept des Devinettes de Reinette dans des albums de jeunesse,  que t’apporte ce nouveau support ?

Ça n’a pas bien marché ! D’autres numéros étaient prévus mais on s’est arrêté au volume deux. Dans chaque volume, il y a trois devinettes originales. La structure est identique au court métrage animé. J’ai fait depuis avec les éditions Actes Sud, un album jeunesse original, «Le nouveau de la classe». J’avais envie d’utiliser des marionnettes, du papier découpé….

Le nouveau de la classe d’Isabelle Duval, 2013

Le nouveau de la classe d’Isabelle Duval, 2013, Actes Sud Junior

Tout est fait sur ordinateur à partir de scan. Composer une image fixe est un travail très minutieux, je passe beaucoup de temps sur une page. J’ai d’autres propositions mais pas le temps pour l’instant de les développer…

Les fans des Devinettes de Reinette peuvent-ils espérer une troisième saison ?

Tout est prêt ! J’ai écris les scénarios, choisis les nouveaux personnages, écris les chansons… Si un responsable de programmation jeunesse d’une chaîne TV est intéressé….

Tu développes une nouvelle série pour France 5, Kiwi, qui marche bien.  As-tu envie d’explorer d’autres formats ?

Oui, je viens justement de terminer un synopsis pour un spécial TV de 26 minutes. On retrouvera les deux héros de Kiwi, Twini et Twiki mais ils évolueront dans un vrai décor… Kiwi est une série qui mélange deux techniques d’animation: la stop-motion pour les marionnettes des Kiwi, les objets et les personnages qu’ils rencontrent, et l’animation numérique pour les lettres des mots-images. Il y a d’une part une dimension pédagogique, de découverte d’une langue étrangère, et d’autre part une dimension narrative, puisque chaque épisode est avant tout une aventure de nos deux héros à la découverte du monde. L’idée n’est pas de proposer un cours mais un éveil à l’anglais par le biais de petites histoires drôles et loufoques, une première sensibilisation à la langue, pour habituer l’oreille des enfants à d’autres sons et leur offrir de découvrir en substance quelques mots en anglais qu’ils prendront plaisir à répéter.

KIWI

Les Kiwis, Isabelle Duval, 2013

Tu as des projets pour un public adulte ?

J’ai imaginé plusieurs séries « Ma meilleure amie» en 2D ou «Psychocat» et «Les Potofeu de l’amour» en volume. Ce sont des parodies. Il existe un pilote pour chacune de ses séries, une histoire à suivre j’espère… Mais pour l’instant j’aime travailler pour les enfants. J’aime à la fois le côté ludique et le côté pédagogique que l’on peut développer dans une série pour les petits. Apprendre en jouant, je trouve ça superbe ! Et puis c’est un public que j’aime rencontrer, la réaction des enfant est motivante, on a une vraie reconnaissance de son travail.

Pour finir, une question très personnelle, quel est ton animal préféré ?

Mon gros chat ! Je n’en ai qu’un.

Après vérification, aucun épisode n’est consacré à cet animal. Pourquoi ?

Le premier épisode pilote « Des devinettes de Reinette » était consacré au chat !

Photogramme du pilote "Les devinettes de Reinette"

Photogramme du pilote « Les devinettes de Reinette »