Ciné-concert « En sortant de l’école », 26 avril 2017, Grand Logis de Bruz
Son nom apparaît au générique de trois courts métrages du programme » Grand-Petit et petits-grands » créé pour le festival « Image par Image » du Val d’Oise. Il ne m’en fallait pas plus pour avoir envie de rencontrer cet homme-orchestre qui commence à avoir une sacrée réputation dans le monde de l’animation. Rendez-vous fut pris dans son studio perchoir de Montreuil…
Peux-tu te présenter en quelques mots ?
J’ai une petite formule qui me définit bien : « fabricant de musique et de son, spécialisé dans le cinéma d’animation ». J’aime bien le côté artisanal que ça évoque. « Faiseur de ritournelles », j’aime bien aussi.
Qu’est-ce qui a été le plus formateur pour toi dans ton enfance ?
Yan réfléchit … Je ne sais pas si c’est formateur, mais deux choses ont été importantes dans mon envie de raconter des histoires avec la musique. D’abord un pick-up 45 tours sur lequel je passais en boucle « Le Carnaval des animaux » de Camille Saint-Saëns. La légende familiale dit que je savais mettre des disques avant de savoir parler, et que je passais des heures à écouter de la musique. La seconde est le vieux piano Pleyel impossible à accorder dont mes parents avaient hérité. Personne n’en jouait chez moi, je ne suis pas d’une famille de musiciens. Mais c’est sur ce vieux piano que j’ai commencé à composer, enfant, des petites mélodies. La lecture, les livres, ont aussi été une immense découverte.
Une image qui t’accompagne ?
Il y en a tellement ! Je choisis une image extraite de « Bandits Bandits » de Terry Gilliams, mon premier choc cinématographique. Celle du géant qui sort de l’eau avec le bateau sur la tête, bateau à bord duquel on vient de passer quelques temps !
Bandits, Bandits de Terry Gilliam, 1981
Une musique qui t’accompagne ?
J’ai déjà parlé du « Carnaval des animaux », notamment le mouvement Aquarium. Un autre coup de coeur d’enfant est Titi et Gros minet aux sports d’hiver, j’assume totalement, c’est un vrai cartoon sonore !
Titi et Sylvestre à la neige, 1974
Plus sérieusement, une musique découverte dans mon enfance que j’écoute toujours : le Köln Concert de Keith Jarret. J’ai découvert le « Köln Concert » grâce à mon papa. Pour son travail, il est allé à Singapour. Il m’a rapporté tout un lot de cassettes pirates ! Essentiellement du piano, il y avait notamment Richard Claydermann qui était très à la mode dans les années 70 mais aussi le « Köln Concert ». Je prenais à cette époque des cours de piano, ça se passait très mal avec ma prof. Keith Jarret n’a pas arrangé nos relations. Je lui ai apporté un morceau de lui que je voulais apprendre à jouer, elle a refusé en disant qu’il jouait trop fort de la main gauche !
Comment la musique a-t-elle débarqué dans ta vie ?
Comme une évidence. Ce n’est pas lié à un contexte familial, c’est un besoin totalement personnel. Je n’ai par contre jamais pu rentrer dans le système traditionnel d’apprentissage de la musique.
Auditeur, joueur… deux faces d’une même passion ?
J’écoute et je joue de la musique en permanence. Un de mes morceaux s’appelle La Jalousie du Musicien. Ici c’est la jalousie de la musique de Yann Tiersenn. C’est totalement ça, une jalousie positive qui donne envie et qui te rend humble. Je ne suis pas un virtuose. Je n’ai pas d’ailleurs particulièrement d’habileté manuelle. La virtuosité est un don doublé d’une immense capacité de travail, mais moi je n’ai jamais eu envie de passer des heures sur un instrument pour devenir un interprète génial. Je ne suis pas à la recherche de cette perfection. Par contre je suis sensible à la virtuosité des autres musiciens, celle de Keith Jarret ou d’un griot africain peu importe, cette virtuosité peut m’emporter très loin, c’est hypnotique. Je crois aussi que de ne pas être virtuose me permet d’être un auditeur qui n’est pas blasé.
A quel moment as-tu décidé de faire un métier lié à la musique ?
Pendant mes études supérieures. J’ai suivi un cursus de réalisation audiovisuelle à l’université Stendhal de Grenoble. Pendant ces études, un de mes profs, André Targe, m’a fait comprendre que j’étais plus du côté de l’oreille que de l’oeil. Dans le cadre des films qu’on réalisait avec les étudiants, je m’occupais souvent du son.
Et ta rencontre avec le cinéma d’animation ?
Très brutale ! (rire) Je peux la dater très précisément : mars 2006, ma première collaboration avec l’école de La Poudrière. Depuis déjà une dizaine d’année je créais des bandes sons pour le jeu vidéo et le théâtre. Et puis j’ai eu l’occasion de travailler sur le film de fin d’étude de Julien Bisaro, « L’oeil du cyclone ». Et là, boum, l’évidence : « c’est ça que je veux faire. » Le cinéma d’animation d’auteur m’attirait déjà par les liens qu’il entretient avec le burlesque, les arts du cirque, Tati… Par ailleurs j’ai senti que de travailler dans le cinéma d’animation me permettrait de continuer à faire du son et de la musique. J’aime gérer des créations complètes, m’occuper à la fois du bruitage, des voix et de la musique. C’était de plus en plus dur, j’évoluais dans un milieu de plus en plus pro, où les différents métiers liés aux sons étaient très cloisonnés. Ça ne me convenait pas, je n’avais pas envie de faire des choix ! Avec l’animation, j’ai senti que je pouvais continuer à défendre mon statut « multi-casquettes ».
Ton nom apparaît dans trois courts métrages du programme « Grand-Petit et petits-grands » …. Es-tu en passe de devenir le musicien incontournable du cinéma d’animation français ?
Rire – Ça ne me déplairait pas d’être le spécialiste français des « petits personnages ». J’ai d’ailleurs aussi travaillé avec Anna Chubinidze sur son court « Le petit bonhomme de poche ».
Le petit bonhomme de poche d’ Anna Chubinidze, 2017
Plus sérieusement c’est un concours de circonstance, c’est le jeu de la programmation. Ce qu’il faut savoir c’est que faire le son d’un film, ça va vite, beaucoup plus vite que l’image. Pour un film de 3 ou 4 minutes, mon intervention va durer 3 ou 4 jours, alors que l’image a pris au moins trois ou quatre mois ! Pour en vivre, je suis donc obligé d’en faire beaucoup ! Mais ça me plaît, j’adore passer d’un projet à l’autre rapidement, et mon réseau professionnel s’est concentré sur ce type là de film. Mais je suis très loin d’être le monsieur musique de l’animation française !
Comment s’organise ta collaboration avec un réalisateur ?
J’interviens le plus tôt possible. Souvent on m’appelle au moment du scénario. Il est très rare que j’intervienne sur un film quasiment terminé. C’est d’ailleurs souvent mauvais signe ! Donc le plus souvent je rentre très tôt dans le projet. Au début c’est un travail informel : se voir autour d’un café, parler au téléphone, lire des choses… Je peux suivre les progrès du story board, de l’animatique, du tournage, et pour un film d’animation, c’est très long… Alors, quand arrive mon tour de faire des choses, ça vient très vite, parce que je suis déjà nourri de l’intimité qui s’est créée avec l’histoire et le réalisateur pendant tout ce temps de fabrication de l’image. Puis c’est un aller-retour de propositions entre le réalisateur et moi. Je propose des ambiances, un ou plusieurs thèmes. Il peut y avoir des tensions, parfois je dois faire comprendre au réalisateur qu’il fait fausse route. Dans 90% des cas, ça se passe bien ! Quelqu’un capable de passer deux, trois ans de sa vie à faire un court métrage de 10 minutes est forcément quelqu’un de passionné. Mais il a aussi développé un rapport d’hyper-contrôle sur son film : rien ne lui échappe, image par image ! Ou presque : la voix des personnages, les bruitages, la musique, font partie des choses sur lesquelles il ou elle est obligé de lâcher prise, parce qu’il maîtrise moins bien que l’image. Il faut donc savoir rassurer, mettre en confiance, pour faire accepter ce lâcher-prise. Mais ils ont aussi souvent des idées très fortes. Je continue d’apprendre au contact des réalisateurs, y compris des plus jeunes.
Est-ce qu’il est différent de travailler pour un film d’étudiant et un film pro ?
Non, il n’y a que les moyens qui changent. L’exigence est devenue très élevée pour les films d’étudiants, à cause de leur importance pour l’entrée dans le monde professionnel, et de l’effet « sélection en festival ». Presque trop à mon goût : c’est, parfois, au détriment de la créativité.
J’aimerais parler des trois films du programme « Grands-Petits » qui sont chacun lié à une économie particulière : un film d’étudiant, un premier film professionnel et une série TV…
Commençons par « Le vélo de l’éléphant », premier film professionnel d’Olesya Shchukina.
Je connaissais déjà bien Olesya, j’avais travaillé sur ses deux films de La Poudrière : Les Talons rouges et Mal de Terre. J’étais déjà totalement amoureux du travail et de l’univers de cette jeune femme, et j’avais déjà une petite idée de ce qu’elle attendait de notre collaboration. Ça n’a pas empêché que lorsque je lui ai envoyé une première proposition, ce n’était pas ça, elle souhaitait quelque chose de plus rythmé. Bon, le deuxième essai a été le bon ! J’ai travaillé avec plusieurs réalisateurs d’origine russe, ils ont une vraie culture de l’animation. Ils utilisent le son de manière percussive, très musicale, rythmique, avec des silences. Quand on travaille pour eux, retenir ses notes et ses envies de notes est essentiel. Quand il y a de la musique, elle est très présente, ce n’est pas un « tapis ». En fait je crois qu’ils ont un sens inné du burlesque. Or le burlesque cinématographique est né silencieux, je parle de Chaplin, Keaton… La musique et le son doivent-ils se faire remarquer dans un film ? Cette question soulève un vrai débat esthétique. Moi, j’aime quand ils se remarquent, mais quelquefois ça n’est pas justifié.
Et « Deux amis », film de fin d’étude de Natalia Chernysheva…
Je ne la connaissais pas quand on a travaillé ensemble. Mais bien qu’elle soit russe elle aussi, on a eu des problèmes de communication ! Au début je ne devais faire que le mixage, mais j’ai finalement dû refaire pas mal de bruitages, et adapter un de mes morceaux de musique pour la seule plage musicale du film. Franchement, je n’étais pas convaincu, et le temps nous a manqué ! Au final, on a un résultat très chouette, mais la création s’est faite un peu dans la douleur.
Et « L’homme le plus petit du monde », série TV de Juan Pablo Zaramella…
J’avais rencontré Juan Pablo à Buenos Aires (il est Argentin), on avait passé une bonne soirée ensemble. On s’est croisé plus tard au festival d’Annecy. Peu après, il m’appelle pour me proposer de faire la musique de sa série coproduite en France. Sa demande était très précise, il voulait le même morceau sur tous les épisodes, et m’a donné en référence un morceau d’orgue de Nino Rota, un morceau un peu kitch, mais bon, Nino Rota quand même ! Le temps passe, et rien ne me vient… La trouille de devoir faire mieux ! La veille du rendez-vous, j’écris deux ritournelles avec un son d’orgue rétro tout pourri. Je joue la première à Juan Pablo, il dit « nice, nice », genre « mouais…», avec son accent argentin. Je passe à la deuxième, j’entends « That’s it !! Do not change anything !». Et voilà, j’ai fait quelques petites déclinaisons contextuelles de la musique pour certains épisodes. Puis j’ai prêté ma voix au Petit Homme, en en changeant la hauteur, j’ai fait aussi tous les bruitages. Il n’y a que le mixage qui a été fait par quelqu’un d’autre.
Le « Petit Homme » chef d’orchestre…
Entre la musique acoustique et la musique électronique ton coeur balance ?
Yan me montre un échantillon des instruments qui se trouvent dans son studio : piano, guitares, banjo, domra, ukulélé, bouzouki, multiples percussions, jouets d’enfants …
Je mélange toujours les deux. Je suis un enfant de l’audio-numérique, j’ai commencé ce métier avec l’ordinateur. Je ne suis pas un musicien « électro », ma musique ne sonne pas « électro », mais j’utilise les mêmes outils. J’ai besoin de sonorités acoustiques, c’est la matière que je retravaille avec l’ordinateur. Pour cela, j’enregistre souvent chaque instrument séparément, ce qui me permet ensuite de modifier, découper, recaler… Dans notre jargon je fais du « re-re » (re-recording). Par exemple, pour « Le vélo de l’éléphant », j’ai joué le piano et les sons synthétiques sur ordinateur, puis je suis allé en studio pour enregistrer séparément un batteur, un trompettiste et une violoncelliste. C’est donc « acoustique », mais ce n’est pas « live », au sens où personne n’a joué en même temps, où il n’y a pas d’orchestre. Je travaille le plus souvent ainsi.
Lors du dernier festival de l’AFCA, tu as présenté avec trois musiciens complices un ciné-concert lié aux trois premières saisons d’« En sortant de l’école » … Peux-tu nous dire comment ce projet a vu le jour ?
Plusieurs éléments ont été déclencheurs, tout d’abord mon envie de refaire du live. A 47 ans je suis à nouveau à l’école, je prends des cours de piano, de percussion et de chant dans une école de jazz. Ça m’a redonné l’envie de jouer sur scène. Mais surtout j’ai eu un jour un appel de Mohamed Beyoud, le directeur artistique du FICAM de Meknès. Il se demandait si j’avais un ciné-concert à lui recommander pour son festival. Avant de raccrocher, il m’a dit que si un jour je faisais un ciné-concert, il serait intéressé…J’avais travaillé avec trois autres compositeurs à deux saisons d’« En sortant de l’école », pour lesquelles nous avions fait une résidence commune pour l’enregistrement des musiques. A nous quatre, nous formions un vrai petit orchestre. Il y avait une très bonne entente entre nous. Alors je leur ai proposé de nous lancer dans ce projet de ciné-concert. Finalement, la première ne s’est pas faite à Meknès au Maroc, mais à Bruz en France avec l’AFCA.
Pour terminer, rêves-tu de t’évader des travaux de commande ?
Il n’y a pas de création sans contrainte et c’est pour moi un immense confort et une immense joie de travailler avec les contraintes de l’image. Donc a priori je n’éprouve pas ce besoin. Mais il y a des occasions : avec le compositeur Pablo Pico nous travaillons sur la série « La Cabane à Histoires » de Célia Rivière qui nous donne beaucoup d’autonomie.
« La Cabane à Histoires » de Célia Rivière, 2016
Nous partons des albums jeunesse pour faire une proposition musicale à Célia. La musique n’est pas liée au timing de la future image. La réalisatrice s’appuie sur elle pour monter les épisodes. C’est finalement assez proche de la démarche qu’avait développée Disney : la musique était créée en premier, les images animées dessus. J’ai aussi eu l’occasion d’écrire un album instrumental ,« Miniatures », qui propose aussi des musiques préexistantes aux images, et qui sert pour des productions audiovisuelles. Et puis j’ai déjà eu l’occasion de composer pour la chanson, dans le droit fil de mes petites ritournelles, et j’espère bien avoir l’occasion de creuser un peu plus de ce côté là !