Sans Titre, Rero, 2010, exposition « Au delà du Street Art » Musée de la poste 28/11/12-30/03/13
Aller au musée avec sa classe peut être une belle aventure ou le pire des cauchemars ! Un des critères pour la réussite de cette sortie culturelle est la qualité de l’accueil reçue. Hakima Benabderrahmane a fait de cette question le coeur de sa pratique et de sa réflexion professionnelle. Pendant une dizaine d’années, au musée Albert Kahn, elle a permis a de nombreux enfants et adultes de vivre avec plaisir et intérêt une expérience unique : découvrir un ailleurs par le biais des images collectées par Albert Kahn, les fameuses Archives de la planète. Depuis quelques mois, c’est au musée de la Poste qu’elle poursuit son travail, l’occasion pour nous de l’interroger sur son parcours et ses motivations.
Se présenter en quelques mots…
Je suis médiatrice culturelle, actuellement chef du service des publics au musée de la poste après dix ans passés au musée Albert Kahn.
Qu’est-ce qui a été le plus formateur pour toi dans ton enfance ?
Je pense que c’est la lecture. J’ai appris à lire très vite. Je lisais tout et n’importe quoi, même des bouquins incompréhensibles. Mes parents étant analphabètes, la lecture a été structurante pour moi, j’ai lu et je continue de lire avec frénésie.
Une image qui t’accompagne …
C’est un tableau de Friedrich, le peintre romantique allemand. Il représente un homme seul en haut d’une montagne. Je pourrai passer des heures devant ce tableau; la solitude, la grandeur de la nature, le néant, le vide… Beaucoup de choses émergent de ce tableau. C’est vraiment une belle image !
« Le voyageur au dessus de la mer de nuage » Caspar David Friedrich, 1818
Lors de tes études universitaires tu t’es spécialisée dans l’histoire de l’Antiquité grecque. Qu’est-ce qui te fascine, passionne dans cette période ?
Tout a commencé par la mythologie. Je te parlais tout à l’heure de frénésie de lecture, j’ai lu avec passion tous les bouquins que je pouvais trouver sur la mythologie grecque, romaine et égyptienne. Ma soeur ainée m’a emmenée très tôt dans des musées. Et en classe de quatrième, j’ai fait un voyage scolaire en Grèce. Mon destin était scellé, j’ai été fasciné par ce pays et cette culture. J’ai eu un coup de foudre, notamment pour Delphes. Pour les Grecs, c’est le nombril du monde, je suis d’accord avec eux. J’y retourne tous les ans, cette culture fait partie de moi.
Nous nous sommes rencontrés lorsque tu travaillais au service jeune public au musée Albert Kahn. Peux-tu nous parler du travail de médiatrice culturelle que tu effectuais alors ?
Mon rôle était essentiellement d’accueillir les classes et de concevoir des supports pédagogiques pour les élèves et les enseignants. Mon parcours universitaire m’a donné le goût de la transmission. Mais paradoxalement, je ne me suis jamais dit que je voulais être enseignante. J’ai découvert le milieu des musées très tôt, par les visites avec ma grande soeur, puis des stages et les cours de l’école du Louvre.
J’ai eu la chance de trouver un premier job au musée Albert Kahn comme hôtesse d’accueil, je vendais les billets d’entrées. La conservatrice de l’époque, Jeanne Beausoleil, a appris que j’étais helléniste, elle m’a alors orientée vers le service des publics. J’ai appris mon métier sur le terrain. La vulgarisation de la culture, j’adore ça ! Je trouve génial de voir des enfants faire des découvertes, j’ai aussi adoré travailler avec des profs même si c’est dur parfois.
Parallèlement à ton travail au musée, tu as participé à une revue spécialisée d’histoire. Que signifie pour toi cette autre forme de médiation ?
C’était un moyen de faire découvrir l’Antiquité à un public élargi. J’associais mon goût de la vulgarisation à ma passion de l’Histoire. J’ai présenté les grandes figures de la Grèce Antique : Homère, Périclès, Zeus. J’ai fait aussi un article sur les jeux panhelléniques.
Couverture de la revue « Histoire Antique » Sep-Oct 2005
Tu as contribué pendant une dizaine d’années à la valorisation de l’oeuvre d’Albert Kahn. Peux-tu nous partager des découvertes, des coups de coeur que tu as pu avoir dans sa très riche collection ?
La préparation à l’exposition sur le Japon a été pour moi une vraie révélation. J’ai découvert une culture, des images que je ne connaissais pas. J’ai eu aussi beaucoup de plaisir à partager cette découverte.
Affiche de l’exposition « Clichés Japonais » Nov 2010-Août 2011
Mais le problème à Albert Kahn est que le temps d’exposition est trop long, il est difficile de garder sa fraicheur, son enthousiasme sur un si long temps.
Quelles actions, quels projets, ont été les plus importants pour toi au cours de ces 10 années ?
Ce dont je suis le plus fière c’est le développement du plan de formation des enseignants. Je suis vraiment très fière d’avoir porté ça, d’avoir valorisé aussi le travail des enseignants. Je pense que cette action, l’accueil des classes, a contribué au succès du musée. Je viens aussi d’apprendre que le musée a reçu le label : « Tourisme et Handicap ». J’y ai travaillé pendant trois ans, c’est un peu mon bébé. J’en suis très fière !
Depuis cet automne, tu as changé de lieu de travail, tu travailles maintenant au musée de la poste en tant que responsable du service des publics. Peux-tu nous définir tes principales missions ?
De façon très concrète, je gère le service au quotidien ! Je dois aussi définir la politique du service et mettre en place des projets de développement à l’attention de tous les publics (handicap, enseignants, scolaires, séniors, adultes, champs social…), en leur proposant à chaque fois des solutions de médiation adaptées. Cela peut également passer par des partenariats institutionnels pour diversifier nos actions, toujours dans l’objectif d’accueillir tous les publics. Par exemple, nous avons mis en place un partenariat avec l’hôpital Necker pour faire découvrir nos collections et nos animations aux enfants malades. Je mets également en place la programmation culturelle et les animations sur les collections permanentes et les expositions temporaires. Le socle de mon travail reste l’accueil des scolaires, pour moi, un musée qui n’a pas de public scolaire est un musée mort. C’est vraiment le coeur de notre métier.
Quels ont été les premiers défis que tu as eus à relever lorsque tu as pris tes fonctions au musée de la poste ?
Ma chef m’a donné le temps de prendre mes marques, c’était très agréable de ne pas commencer dans le stress. J’ai commencé mon travail au musée de la poste deux semaines avant le début de l’exposition « Au delà du Street Art » qui remporte un grand succès. Mon premier défi a été de gérer le flux des personnes, notamment les queues sur le trottoir ! Et puis je dois gérer l’imprévu ! Pour la saison culturelle autour de l’exposition du Street Art, nous avons des nocturnes à animer. Nous avons eu un désistement pour la soirée slam quelques jours avant la date programmée. J’ai dû trouver un slameur au dernier moment. Nico K et ses accompagnateurs, Pina et Quentin Laffont ont assuré !
Affiche de l’exposition « Au delà du Street Art » Nov 2012-Mars 2013
Peux-tu nous dire quelques mots sur la prochaine exposition ?
Elle portera sur deux grands artistes de l’Art Brut : Gaston Chaissac et Jean Dubuffet. Le fil conducteur sera leur correspondance croisée. Nous travaillons avec le musée de l’abbaye Sainte Croix des Sables d’Olonne. Elle se déroulera du 27 mai au 28 septembre 2013.
Le 23 février s’ouvre la 13 ème édition du festival « Image par image » dans le Val d’Oise, rendez-vous devenu incontournable pour tous les passionnés du cinéma d’animation. Depuis les origines, Yves Bouveret est au coeur de son organisation. Sa curiosité, son enthousiasme, son sens du partage et de la convivialité ont permis de fédérer autour de lui de nombreux partenaires. Des institutions au monde culturel, chacun se sent engagé pour que cet évènement rencontre un public toujours plus varié et nombreux ! Yves a accepté le temps d’un entretien d’être sous le feu des projecteurs.
Peux-tu te présenter en quelques mots…
Je suis Yves Bouveret, je m’occupe d’une structure associative Ecrans VO depuis 10 ans. Cette association met en réseau 20 cinémas du Val d’Oise pour un travail d’action culturelle.
Qu’est-ce qui a été le plus formateur pour toi dans ton enfance ?
Le plus formateur dans mon enfance, ça n’a pas été l’école mais c’est lorsque j’ai été scout de France. Cette activité m’a donné beaucoup de liberté par rapport à ma famille et à l’école. Ce n’était ni l’idéologie religieuse qui était importante, ni bien sûr l’uniforme, car on était en jean, mais une forme d’«utopie réaliste» incarnée par des projets où le «vivre ensemble» était fondamental. A 15 ans j’ai fait un voyage de plusieurs semaines en Israël-Palestine, nous étions une dizaine d’adolescents encadrés par des jeunes de 20 ans. Nous nous déplacions en stop. C’était en 1982, pendant la guerre du Liban. L’été suivant nous partions en Corse faire une tournée avec la pièce de Bernard Shaw, « Androcles et le lion ». Ces expériences ont été fondatrices pour moi de l’importance d’être acteur et non spectateur dans certaines situations !
Une image qui t’accompagne …
La première image qui me vient est un rêve heureux récurent de mon enfance. Après une poursuite en forêt, je tombe lentement dans une salle de bal digne de celle du Guépard de Visconti. Je me réveille juste au moment de l’atteindre. Ce rêve me fait aussi penser aux films du réalisateur suisse Georges Schwizgebel.
Claudia Cardinale et Burt Lancaster dans le Guépard de Visconti, 1963
J’ai été aussi marqué par un livre de photographies du vingtième siècle. Si mes souvenirs sont bons, on voyait sur la couverture Eisntein tirer la langue.
Einstein photographié par Arthur Sasse, 1951
Après le bac, tu as suivi des études de gestion. Avais-tu le projet, dès ce moment-là, de travailler dans le milieu culturel et plus particulièrement dans le cinéma ?
Non, pas du tout. Je ne savais pas ce que j’allais faire. Mon orientation est plus liée à un réflexe sociologique qu’à un véritable choix. Mon grand-père s’occupait d’une grosse mutuelle, mon père avait fait HEC… J’ai fait un IUT de commerce international, puis j’ai travaillé dans une boulangerie pendant 6 mois à Londres. A mon retour, l’armée m’attendait et lorsque j’ai été libéré de mes obligations militaires j’ai fait une école de gestion en 3 ans. Pendant la deuxième année, j’ai été responsable d’une association d’étudiants «le Raid Africain des Grandes Ecoles». C’était un projet d’envergure, nous apportions en Afrique de l’Ouest des 504 pick-up. Au delà de l’apport matériel, le projet, sous l’égide de l’UNICEF, était théoriquement humanitaire mais en réalité nous avons pu développer un réel échange culturel avec les gens que nous rencontrions. En troisième année, j’ai fait un stage de 10 mois chez Nestlé-Findus, j’ai commencé à savoir ce que je n’avais pas envie de faire. Au delà de gagner ma vie, j’avais besoin que mon travail ait un sens. A ma sortie de l’école j’ai fait un boulot alimentaire à mi-temps à la Maison Européenne de la photo.
Puis, tu es devenu pendant 9 ans (1993-2002) directeur-programmateur au cinéma Les Toiles de Saint Gratien dans le Val d’Oise. Comment cela s’est-il passé ?
Le cinéma «Les Toiles» existait à Saint Gratien depuis 1974, il avait été implanté au fond d’un forum. En 1992, il avait fait faillite et était fermé depuis 6 mois. Je connaissais le chef de cabinet du maire, François Busnel. Nous avions travaillé ensemble sur le Raid Africain des Grandes Ecoles, il en assurait la couverture médiatique pour RFI. On est resté en contact et il m’a proposé de déposer un dossier pour prendre la direction du cinéma avec un projet de reprise des 3 salles. Notre projet reposait sur une programmation de films «Art et Essai», nous avions comme modèle le fonctionnement proposé par les salles Utopia basé sur la multi programmation. Nous programmions 10 films par semaine sur les 3 salles du cinéma. Les spectateurs prenaient rendez-vous avec une oeuvre ! Nous voulions qu’un lien culturel se crée entre les spectateurs et la salle de cinéma. Nous avons aussi supprimé la publicité, la confiserie et nous avons mis systématiquement des courts-métrages en première partie. Pendant 5 ans, nous avons fonctionné avec une équipe de 3 personnes, nous étions des militants ! Pendant la journée, nous assurions le travail administratif, la programmation, la rédaction d’une brochure avec un éditorial, l’accueil des scolaires… et le soir, une semaine sur trois, nous tenions la caisse. Nous avons été soutenu par le maire, François Scellier.
Les Toiles au forum de Saint Gratien
Le succès a été au rendez-vous, nous sommes passés de 30 000 spectateurs à 72 000 spectateurs en 10 ans, le bouche à oreille a bien fonctionné, nous avons répondu à une attente. Le cinéma a eu un retentissement sur les villes voisines, le lieu était fortement identifié, nous sommes rentrés dans un cercle vertueux. Dès le début, nous avons été sensibles au jeune public et avons développé une action vis à vis des scolaires. Nous avons participé très tôt aux dispositifs nationaux, « école et cinéma » et «collège au cinéma». Nous étions très souples, très à l’écoute des demandes des enseignants dans le choix de notre programmation. ll était important que l’accès au cinéma soit simple et à l’écoute du terrain.
Un événement marquant de cette période …
Tous les réalisateurs qui sont venus rencontrer notre public. Bertrand Tavernier a été le premier avec « Capitaine Conan ». Il est revenu plusieurs fois, les débats pouvaient durer jusqu’à deux heures du matin. Je me souviens aussi de la venue de Patrice Leconte pour « Ridicule ». Pendant la projection du film, nous sommes allés manger au Mac Do en 2 CV. Leconte était en train de réaliser des pubs pour Mac Donald… Une des plus belles rencontres que j’ai faite aux Toiles a été la venue d’Emmanuel Finckiel pour son film « Voyages ».
« Voyages » d’Emmanuel Finckiel, 1999
Combien de films vois-tu par an ? Ton regard de spectateur a-t-il évolué ?
Lorsque j’étais directeur des Toiles je voyais entre 200 et 250 films par an. Nous faisions un choix collégial de programmation, nous allions au festival de Cannes , à Annecy, à la Rochelle… Quand tu regardes un film dans l’objectif de programmer, ton regard est forcément critique… Maintenant, j’ai retrouvé la position hédoniste du spectateur, je choisis les films que j’ai envie de voir, je ne suis plus dans la position du programmateur. Mon rapport aux films est essentiellement lié à l’envie, au plaisir.
Quelle est l’année de naissance de l’association Ecrans VO ? J’ai trouvé deux dates, 1995 et 2002 … Peux-tu nous dire ce qui a été à l’origine de cette création ?
1995, c’est le centenaire du cinéma. Le Conseil Général du Val d’Oise a demandé aux salles d’organiser des petits évènements pour fêter cet anniversaire. Nous avons donc créer l’association Ecrans VO dans le but de fédérer l’action des salles de cinéma du Val d’Oise. Ensuite l’association est tombée en sommeil jusqu’en 2002. Entre-temps, les premiers multiplexes sont apparus, le Mégarama de Villeneuve la Garenne est créé en 1996. C’est un total bouleversement du paysage cinématographique. Le maire de Saint Gratien est devenu président du Conseil Général. Il décide d’appliquer une politique d’aide aux salles. En 2000 un poste de chargé de mission «images et cinéma» est créé puis en 2002 je deviens directeur de l’association Ecrans VO qui renaît de ses cendres. Le dénominateur commun aux salles est l’accueil du «jeune public», l’une des premières missions de l’association a donc été d’organiser avec l’Education Nationale et la DRAC des actions telles que «école et cinéma» et «collège au cinéma». Les projets développés avec les salles sont à géométrie variable. Chaque cinéma a une histoire, une situation et des locaux spécifiques. L’association est un lieu de débat où des problématiques communes sont discutées ( régulation des multiplexes, passage au numérique, nouveaux rythmes scolaires…). L’association permet de faire vivre un réseau qui est bénéfique à tous.
Une autre mission essentielle d’ Ecrans VO est l’organisation du festival «Image par image» qui en est cette année à sa treizième édition.
Dès 1996 nous avons organisé un mini festival d’animation à Saint Gratien à la demande de directeurs d’école qui souhaitaient que leurs élèves puissent se construire une réelle culture cinématographique. Nous avons été rejoints très vite par le cinéma d’ Argenteuil pour l’organisation de ce festival à destination essentiellement des scolaires. Avec la nomination d’un chargé de mission «images et cinéma» au Conseil Général, une dynamique territorial s’installe. Le cinéma « Les toiles » bénéficie d’une subvention pour élargir le festival à tout le Val d’Oise. Lors de la première édition, en 2001, 10 salles de cinéma sont concernées. Le festival devient donc départemental et « tout public ». Nos premiers invités sont les réalisateurs belges, Vincent Patar et Stéphane Aubier pour leur série de courts métrages « Pic Pic André Shows ».
» Pic Pic André » Vincent Patar et Stéphane Aubier
Le chargé de mission, Olivier Millot, organise en parallèle du festival, une grosse exposition à l’abbaye de Montbuisson sur le cinéma d’animation. Lorsque je deviens directeur d’Ecrans VO en 2002, l’organisation du festival revient à l’association.
L’une de ses particularités est d’être un festival sans prix, je ne vais donc pas te demander d’établir un palmarès. Toutefois y a t-il eu des rencontres particulièrement mémorables au cours de ces treize années ?
Oui, bien sûr, les noms de Jean-François Laguionie et d’Isao Takahata me viennent tout de suite à l’esprit. Mais ce dont je me souviens surtout c’est le sentiment de grande liberté que je ressens lors du festival. J’accompagne les réalisateurs sur les routes du Val d’Oise à la rencontre du public. On est dans le concret, j’ai besoin de ça. Je me souviens particulièrement d’une rencontre entre des scolaires et les réalisateurs suédois, Uzi et Lotta Geffenblad. Un programme de courts métrages était proposé aux enfants de maternelle. Le matin nous étions à Villiers le Bel, lors de l’échange avec la salle, on demande aux enfants quels sont ceux qui sont déjà allés au cinéma. Sur une centaine d’enfants, un seul doigt se lève ! On demande à l’enfant quel film il avait vu. Il nous répond «La même chose qu’aujourd’hui, c’était hier avec le centre de loisirs».
» Les pierres d’Aston » d’Uzi et Lotta Geffenblad, 2007
Au fil des années, un lien de fidélité s’établit, je pense notamment à Pierre Luc Granjon, j’ai toujours un immense plaisir à le retrouver. Je me souviens aussi de l’émotion ressentie par Koji Yamamura lors d’une projection scolaire, c’était la première fois qu’il voyait son film avec un public enfantin.
Par tes engagements multiples, professionnels ou bénévoles, tu es devenu une figure reconnue du monde de l’animation. Comment est née cette passion de l’image animée ?
Il y avait plusieurs ciné clubs en 16 mm à Noisy-le Roi et Bailly où j’ai découvert dans des salles combles beaucoup de films comme les « 7 samourais » de Kurosawa ou « Les dents de la mer » de Steven Spielberg. Peu de films d’animation passaient au cinéma et c’est surtout par le biais de la télévision que je les ai découverts : le clip « Love is all » des studios Halas et Batchelor, les aventures de l’ours Colargol, «La traversée de l’Atlantique à la rame» de Laguionie…
Mon premier film en salle a été comme beaucoup d’enfants un Disney, Robin des bois. Mais c’est quand j’étais directeur des Toiles, que j’ai commencé à me construire une culture liée au cinéma d’animation. Dès 1994, je suis allé au festival d’Annecy, c’était très ressourçant, réjouissant de découvrir de nombreuses oeuvres essentiellement en format court. Il y avait aussi le festival de l’AFCA à Auch puis à Bruz… Ce que j’aime dans le cinéma d’animation c’est son aspect poétique, onirique. Je fais le parallèle avec le cinéma muet, notamment les burlesques, les mots laissent de la place aux mouvements, à la musique…Le champ des possibles est ouvert, j’aime ce qui est décalé, absurde, surréaliste. Je suis fan des intermèdes animés des Monty Python mais aussi tout le cinéma d’animation britannique, du studio Aardman à Mark Baker, Joanna Quinn …
» Girls’ Night Out » de Joanna Quinn, 1987
J’ai le sentiment que les films d’animation formatent moins les spectateurs en devenir que sont les enfants. Et puis dans le cinéma en prise de vue réelle, le star-system trouble le discours. Pour moi, le cinéma, ce n’est pas uniquement les acteurs. Je suis sensible à la mise en scène, aux auteurs, aux réalisateurs.
Le festival « image par image » c’est trois semaines de programmation, d’évènements organisés dans 20 lieux différents. J’imagine que la préparation se fait très en amont. As-tu des lignes directrices pour t’aider dans son organisation ?
Le maître mot est l’anticipation. La programmation se fait par strate. La rencontre avec un auteur peut aboutir quelques années plus tard à la mise en valeur de son oeuvre lors du festival. C’est aussi un travail «main dans la main» avec les distributeurs et les producteurs, une relation de confiance s’est établie au fil des années. Notre année de travail est très rythmée, c’est un travail saisonnier. A la rentrée, en septembre-octobre, nous lançons les dispositifs nationaux d’éducation au cinéma puis à partir de novembre, nous mettons toutes nos forces dans la préparation du festival. Après le festival, nous préparons l’assemblée générale, nous réalisons les dossiers de subventions… Le travail administratif prend beaucoup de temps, on essaie de le «modéliser» pour que l’action culturelle soit la plus riche possible. Tout au long de l’année, il est important de se nourrir, de rencontrer des gens, de prendre des contacts. J’aime que mon action soit confrontée au principe de réalité, on n’est pas dans une économie de luxe.
Je ne vais pas te demander de commenter toute la programmation du prochain festival. Très arbitrairement j’ai sélectionné deux évènements sur lesquels j’aimerais que tu nous en dises un peu plus.
Le premier c’est la carte blanche au distributeur «Lardux films».
Après 10 années de fonctionnement, on était à un tournant et on a voulu donner toute son importance au travail des maisons de production. Mon engagement auprès de l’AFCA m’a fait connaître aussi d’autres problématiques de l’animation. Il existe en France une petite vingtaine de producteurs d’animation. Ils ont souvent un lien fort avec leurs auteurs. Après «Je suis bien content», «Les films de l’Arlequin» et «Autour de minuit», c’est au tour de «Lardux films» d’être à l’honneur avec une carte blanche lors de la soirée d’ouverture mais aussi avec la présence de deux auteurs, Anne Laure Daffis et Léo Marchand qui vont partager leurs secrets de fabrication sur leur nouveau film à venir « La Vie sans truc ».
« La vie sans truc » d’Anne Laure Daffis et Léo Marchand
Le deuxième est le choix de Co Hoedeman comme invité d’honneur.
Nous ne sommes pas dans une course à la nouveauté même si nous proposons quelques avant-premières et des travaux en cours. Il est aussi intéressant de ralentir le temps pour appréhender l’oeuvre d’un auteur. Il est important de refaire découvrir ce genre de réalisateur. Nous avons préparé un programme contemplatif avec Co Hoedeman et sa présence prend tout son sens par rapport à notre engagement pour les tout petits.
Co Hoedeman et Ludovic
Des projets ?
Je suis content de faire ce que je fais, je n’ai pas d’usure. Je travaille avec une équipe solide, j’aime le contact avec les élus, les spectateurs, les enseignants … Il est important aussi d’être capable de transmettre, que les choses que l’on construit puissent rester même si vous n’êtes plus là … Parallèlement à mon activité, j’envisage de faire un master de didactique de l’image à Paris 3 en 2013-2014. Il est important pour moi d’étayer par un cursus universitaire toute la connaissance pratique acquise pendant toutes ces années. Je m’intéresse particulièrement aux propositions en matière de cinéma faites aux tout petits. A terme, monter une boîte de production me tente …
Dessin anamorphique /3D Street Art, Solweig Von Kleist, Septembre 2012
J’ai rencontré Solweig par le biais du cinéma d’animation. J’ai eu le privilège pendant un an de partager avec elle sa passion des images qui bougent. Elle animait tous les mardis soirs un atelier au local de l’association Kino à Issy les Moulineaux. Quelques années plus tard, des traces de pastel sur le trottoir ont attiré mon regard, un beau dessin anamorphique se déployait sous mes yeux. Il était signé S von Kleist. Envie d’en savoir un peu plus sur cet artiste éclectique.
Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Solweig von Kleist, d’origine allemande, j’habite depuis 10 ans à Meudon. Je suis artiste, je n’aime pas le terme d’artiste plasticienne, je préfère artiste pluridisciplinaire ou multidisciplinaire. Je fais des peintures, des dessins, des films d’animation, des installations et je donne des cours de dessins. Je suis passionnée par ça, je trouve très important de transmettre ce que je sais faire.
Qu’est-ce qui a été le plus formateur pour toi dans ton enfance ?
Ma grand-mère qui dessinait en amateur. Lorsque je lui rendais visite, je copiais à ses côtés des cartes postales, des fleurs. J’ai appris à dessiner dès l’âge de 4 ans.
Une image qui t’accompagne.
Difficile de répondre, il y a eu des images différentes à chaque période de ma vie. J’ai longtemps accroché dans ma chambre la peinture de Jérôme Bosch « Le jardin des délices », j’en ai même copié quelques scènes.
« Le jardin des délices » (panneau central) de Jérôme Bosch, 1503-1504
Peux-tu nous parler de ta formation artistique ?
Je suis allée à l’école des Beaux-Arts de Berlin Ouest dans l’objectif de devenir professeur. Je n’avais pas le courage d’imaginer être une artiste, c’était trop exotique pour ma famille ! Il fallait un métier où l’on était assuré de pouvoir gagner sa vie… Au lycée, j’avais eu aussi une très bonne prof d’arts qui m’a encouragée dans cette voie. A l’école des Beaux-Arts, l’enseignement était très varié, j’ai travaillé le bois, le métal, la céramique, la gravure… Mais il n’y avait pas de cours sur le cinéma d’animation, j’ai commencé toute seule. Mon premier film était en noir et blanc, il durait 2 min, c’était en super 8. On y voyait des vêtements qui volaient sur une musique de jazz et qui atterrissaient sur une chaise qui réagissait à cet assaut… Je l’avais fait pour un examen, j’ai été encouragée à continuer. J’ai ensuite réalisé des installations de peinture dans l’espace avec des films super 8, et j’ai eu mon degré de maîtrise de l’école de Beaux arts, en plus de mon examen de prof en arts plastiques.
« Sous les pavés », Solweig von Kleist
Mon travail sur les installations a été remarqué et m’a permis d’obtenir une bourse pour aller un an à CalArts, l’institut crée par Walt Disney en Californie.
C’est l’institut où s’est formé Tim Burton.
Il était là quelques années avant moi, dans le département « Cartoon ». J’étais dans le département « films expérimentaux ». J’ai énormément appris sur les techniques d’animation. J’ai commencé, entre autre, à gratter sur la pellicule noire de film 35 mm.
Solweig en train de graver sur pellicule
J’étais fascinée par le dessin et occupée à apprendre les techniques de l’animation, mais j’avais toujours des difficultés à raconter « une histoire » bien construite. Un évènement important plus personnel mais qui a eu des incidences dans mon travail, j’ai rencontré à CalArts mon futur mari, Thierry Verrier, qui suivait des cours dans le département « films de fiction ». Il a eu comme professeur Alexander MacKendrick qui a réalisé entre autres «The ladykillers ». Il a, lui, beaucoup travaillé la narration. Nous avons collaboré à mon premier film « Criminal Tango », j’avançais avec mes idées visuelles et le montage était assumé par Thierry. C’était un drame pour moi de devoir renoncer à certains dessins.
» Criminal Tango « , Solweig von Kleist, 1985
Après l’année liée à ma bourse, je suis restée en Californie. Pour continuer à travailler sur mon film, je faisais du troc avec des étudiants, en échange de dessins, ils me réservaient la salle avec l’équipement pour pouvoir photographier les images dessinées, sur un appareil appelé « truca », et aussi pour la chambre noire où je développais les pellicules 16 mm tournées. Nous sommes revenus en France avant la fin du film, les images étaient terminées mais il n’avait pas encore de son. Je devais finir le générique avant de quitter la Californie alors sur les indications de Thierry, j’ai indiqué le nom de Denis Mercier pour la création du son. Thierry et lui étaient ensemble à l’école Louis Lumière, on a fait le pari qu’il allait accepter ! Heureusement il a été d’accord, il a capté tous les sons dans la région parisienne puis j’ai réalisé moi même le montage son chez un ami, Stéphan Krésinski, qui est lui réalisateur et historien du cinéma. Le film a reçu un très bon accueil et de nombreux prix.
Avant de continuer sur tes réalisations, je voulais te demander si tu as des influences artistiques ?
Très modestement en peinture je me situe entre Bacon et Hopper ! J’aime créer des atmosphères, des perspectives étranges, des déformations. Je m’intéresse à la construction de l’espace. Ma peinture est figurative mais elle tend vers une certaine forme d’abstraction.
Peinture de Solweig von Kleist, Attente, 2007
C’est important qu’il y ait des « trous », des choses ouvertes pour laisser de la place à l’interprétation du « regardeur ». Une narration existe, sous-jacente, mais rien n’est clairement défini. J’ai été aussi influencée par l’expressionnisme allemand.
Une de tes premières oeuvres reconnues est ta participation au clip de David Bowie, pour la chanson Underground. Peux-tu nous parler de cette collaboration ?
En 1986, j’ai reçu un coup de fil d’un producteur Londonien, il avait vu le film « Criminal Tango » et souhaitait me rencontrer pour me proposer un travail. Je me rends à Londres pour la première fois et là on m’annonce que j’ai été choisie pour participer à un clip de David Bowie. A l’annonce du nom, je n’ai aucune réaction, habituée à l’accent californien, je n’avais pas compris le nom du chanteur ! Comme test on me demande de dessiner le visage du chanteur sur de la pellicule, c’est lorsque l’on me donne le portrait à copier, que je réalise enfin ! David Bowie était passionné par l’expressionnisme allemand, notamment Emil Nolde. J’ai été très libre pour réaliser le story-board, j’avais l’image de début (le visage de David Bowie) et l’image de la fin (la boule de cristal) avec quelques indications sur les personnages qui devaient apparaître.
storyboard du clip « Underground » Solweig von Kleist
« Underground » est la chanson titre du film « Labyrinthe » de 1986.
Y a-t-il pour toi des différences entre les travaux de commande et tes travaux personnels ?
Je souffre beaucoup lorsque je réalise un travail de commande, je suis angoissée ! Il y a un véritable conflit entre ce que je pense qu’on attend de moi et ce que je veux naturellement faire. Il y a eu tout de même des collaborations heureuses, je pense notamment à mes illustrations pour un magazine économique ou aux couvertures de livres policiers allemands.
illustrations pour le magazine » science & vie économie » N°54 octobre 1989
Tu as participé à deux résidences d’artiste, Folimage en 1997 et à l’abbaye de Fontevraud en 2008/2009. Que t’ont apportée ces dispositifs ?
J’aime beaucoup me déplacer, découvrir des lieux et rencontrer des gens. A Fontevraud, c’était extraordinaire, au mois d’août j’étais seule dans mon atelier mais dès que je regardais par la fenêtre je voyais un flot de touristes. C’était un état de travail très apaisant, être à la fois en retrait et entouré… Et puis, tu rentres aussi en un autre état par l’atmosphère du lieu, par la mémoire des murs…
J’aimerais aussi que tu me parles d’une oeuvre qui est pour moi énigmatique avec son titre à la Magritte, « Ceci est un film ».
« Ceci est un film », Solweig von Kleist, 2008
C’est un projet que j’ai fait pour une exposition en hommage à Emile Cohl au musée d’Annecy en 2008. J’ai coulé dans un moule environ cinquante couches successives de ciment et sur chaque couche j’ai gravé une image de la séquence animée. Avant chaque nouvelle coulure de ciment j’ai pris une photo, ce qui a donné un petit film de 2 secondes, en boucle. On y voit un homme qui sort d’une spirale et plonge, puis il réapparaît et s’envole grâce à la spirale. L’oeuvre est donc composée d’un cube de ciment où les images du film ont été ensevelies : les dessins, les éléments concrets ont disparus, mais ils continuent d’exister sous forme virtuelle, comme film qui est projeté à côté du cube en béton… ( cube_10 ) C’est une commande de Maurice Corbet, conservateur au musée-château d’Annecy qui a écrit un beau texte sur mon travail.
Depuis quelques années tu réalises des performances que tu appelles « live animations ». Peux-tu nous en définir le principe et nous dire l’importance du regard du public dans le processus même de ton travail.
J’aime beaucoup les films d’animation, j’ai eu très envie de transmettre cette magie à faire bouger des images. Montrer un film terminé, c’est bien mais le spectateur n’est souvent qu’un consommateur. Inviter les gens à assister au processus même de la réalisation d’une séquence animé, cela peut provoquer de l’émerveillement de voir des dessins qui commencent à bouger… Au début, je réalisais un évènement-spectacle, c’était très stressant car on travaille sans filet, dans un laps de temps déterminé. En plus, on est à la merci de problèmes techniques divers, la caméra qui n’a pas bien enregistré, des changements de lumière… Maintenant je préfère faire mes interventions dans un lieu ouvert au public qui peut venir pour regarder puis partir à sa guise tout en suivant l’évolution du dessin. En 2010, j’étais jury au festival du film d’animation de Poznan (Pologne). Pendant deux heures par jour, j’investissais un bureau du musée d’art dans lequel travaillaient les organisateurs du festival. J’ai recouvert tous les vitrages peu à peu en dessinant avec du blanc de Meudon les éléments de mon film « Chaos ». Personne ne comprenait vraiment ce que j’étais en train de faire, les gens n’avaient pas le code d’accès. A la fin, lorsque j’ai photographié chaque dessin dans le « bon » ordre et projeté l’animation, ce fut la révélation : les spectateurs ont découvert soudainement qu’un film était caché dans ces dessins éparpillés et chaotiques…
Tes projets actuels…
Trop de projets en même temps, et pas le temps pour les faire ! Depuis un certain temps, je n’ai plus fait de la peinture dont les sujets étaient plutôt psychologiques. Je m’intéresse énormément à la politique et j’ai envie de me confronter à la réalité du monde, mais avec un point de vue décalé d’artiste.
Depuis quelques années je suis en train de dessiner une mappemonde de grand format qui tente de visualiser des questions liées à la mondialisation capitaliste ultralibérale. Entreprise démesurée, la mappemonde est en perpétuelle évolution mais j’espère la finir pour cet été ! C’est aussi la base pour un scénario de film sur la même thématique, dont j’ai fini une première mouture bien trop longue ! Je vais essayer de trouver le temps pour raccourcir ce scénario, ou le transformer en roman graphique…
Solweig travaille sur son projet de mappemonde.
Je m’intéresse aussi à l’apparition des traînées persistantes des avions qui blanchissent le ciel, un phénomène inquiétant pourtant très visuel, mais inaperçu par la plupart des gens ! Ils ont trop vissé leur regard sur leurs beaux écrans bleus… J’ai déjà réalisé plusieurs installations avec des films sur ce sujet, et au printemps je vais refaire un film animé en time lapse (en accéléré) sur ce sujet.
Je suis aussi passionnée par le dessin d’anamorphose et j’ai réalisé pendant les journées du patrimoine 2012 une première intervention de « 3D street art » sous les arcades du RER à Issy-les-Moulineaux. Avec l’aide d’une jeune diplômée de l’ENSAD, Da-Hee Jeong, j’ai dessiné pendant deux jours un dessin anamorphique représentant les carrières d’extraction du blanc de Meudon (le thème de la manifestation étant « le patrimoine caché »). Lorsque le dessin a été terminé, le public était invité à chercher le point de vue qui rend compte de l’illusion optique. C’était très joyeux, les gens étaient très actifs en jouant avec le dessin et en prenant de nombreuses photographies. C’est un projet que j’ai envie de renouveler…