Claude Bataille, passeur d’images et collectionneur

La guerre des boutons d' Yves Robert, 1962 "Dire que, quand nous serons grands, nous serons peut-être aussi bêtes qu'eux."

La guerre des boutons d’ Yves Robert, 1962
« Dire que, quand nous serons grands, nous serons peut-être aussi bêtes qu’eux. »

Tout commence par la découverte dans une brocante d’Amsterdam d’un lot d’anciennes plaques de lanternes magiques. Toute heureuse de cette nouvelle acquisition, je n’ai plus qu’une envie, les voir à nouveau projetées sur un mur. Un ami bien inspiré me met en relation avec Claude Bataille. Outre sa générosité à aider une néophyte handicapée de ses dix doigts, Claude est un homme au contact chaleureux … et il cause ! De coups de fil en coups de fil, cet homme passionné et passionnant raconte le fil d’une vie où l’amour des images et le désir de transmettre sont essentiels… En voici quelques extraits !

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Je suis en partie un autodidacte … Je dis souvent que j’ai été une «Madame Claude» de l’image, j’aime mettre les gens en relation, organiser, fédérer… J’aime le travail bien fait, engendrer du plaisir…

Qu’est-ce qui a été le plus formateur pour vous dans votre enfance ?

Mon maître de CM2, Monsieur Pierre, à l’école primaire d’Orsay. Il était généreux et exigeant. Mon premier souvenir sont les parties de foot avec lui, on jouait tous pieds nus parce qu’on n’avait pas de fric pour acheter des chaussures. Le deuxième souvenir important, est qu’il nous lisait à la fin de chaque semaine un épisode de « La Guerre des boutons » de Louis Pergaud. Mon oncle, qui distribuait « L’humanité dimanche » sur le marché d’Orsay, m’a offert le livre pour mes dix ans. Je le relis presque tous les ans. Il est pour moi un ouvrage de référence pour la vie réelle et mon engagement dans l’Education Populaire lui doit beaucoup.

Une image qui vous accompagne…

Un grand film en noir et blanc avec un pasteur joué par Robert Mitchum, « La nuit du chasseur ». C’est mon film fétiche, il ne se raconte pas, il se voit ! Lorsque j’ai été responsable d’une salle d’Art et Essais, je me suis fait engueuler lorsque j’ai voulu le programmer pour les enfants. A une époque, il était interdit au moins de 16 ans.

La nuit du chasseur de Charles Laughton, 1956

La nuit du chasseur de Charles Laughton, 1956

Quelle a été votre première rencontre avec le cinéma ?

En tant que spectateur, je crois que mon premier film était « Néron ». Je me souviens aussi d’avoir vu avec ma mère « Les diables de Guadalcanal » avec John Wayne, c’était au cinéma de Palaiseau, « Le Coucou ». J’étais effaré par ces mecs qui crânent dans le cockpit de leur Curtiss P 40.

Les diables du Guadalcanal de Nocholas Ray, 1951

Les diables du Guadalcanal de Nocholas Ray, 1951

Je ne suis pas un grand cinéphile. Je suis plutôt un technicien du cinéma. J’étais responsable au début des années 60, d’un club d’aéromodélisme dans la MJC intercommunale d’Orsay. On y a créé un ciné-club, comme je n’étais pas maladroit de mes  doigts et que je pouvais emprunter la 2 chevaux camionnette de mon père épicier, je suis devenu le projectionniste attitré. J’avais un projecteur 16 mm, un Debrie MB 216 que je transportais dans deux grosses valises en bois. J’assurais une séance de ciné-club dans chacune des communes de la vallée. Juste avant de partir à l’armée j’ai vu « Les tontons flingueurs » et lors de mon service militaire que j’ai effectué au Sahara, j’ai très vite remplacé le projectionniste ! Je voyais un film par jour, du « nanard » aux films d’Alexandre Nevski !

Quelle est votre formation initiale ?

Juste après le BEPC, mes parents m’ont inscrit au lycée technique Maximilien Perret à Vincennes. J’ai un brevet technique dans le chauffage central, aujourd’hui, nommé « génie thermique »…

Vous abandonnez très vite votre travail de chauffagiste…

Oui, au grand désespoir de ma mère ! Au retour de mon service militaire, une nouvelle MJC est créée à Bures-sur-Yvette. Je postule sur le poste de secrétaire que j’obtiens, je continue aussi à être projectionniste… J’avais un copain à la MJC de Palaiseau, il était responsable de la section voyage-découverte. Avec deux autres copains, nous avons traversé le Sahara en 2 chevaux.

La bande des quatre ! Claude est le plus grand ...

La bande des quatre ! Claude est le plus grand …

Avant de partir, j’ai acheté la caméra 16 mm de Jean-Claude Drouot (alias Thierry la Fronde). J’ai tourné un film d’une heure sur notre aventure. A notre retour, nous avons projeté notre film muet dans le grand amphi de maths de la fac d’Orsay, nous étions soutenus par la presse locale ! Nous en étions les bonimenteurs…

… puis vous quittez aussi la région parisienne !

En 1976, je deviens directeur de la MJC des Teppes à Annecy. J’ai à disposition un magnifique bâtiment conçu par les architectes Jacques Lévy et Maurice Novarina. Nous créons une salle de cinéma commerciale. Il faut dire qu’à cette époque les structures sociales et culturelles n’avaient le droit de projeter que du 16 mm (format substandard), nous nous sommes battus pour avoir accès au 35 mm (format standard). La salle fut baptisée au non de Jean Dasté, en sa présence et en référence au film « Zéro de conduite » de Jean Vigo. Nous faisions énormément d’entrées en pratiquant un prix très bas, nous étions aussi dans les premiers à avoir installé des fauteuils pour handicapés. J’attachais beaucoup d’importance à accueillir les enfants. Je ne me contentais pas de faire la programmation, j’étais aussi le monsieur qui accueille, qui donne un vrai billet à chaque enfant, qui est dans la cabine de projection…

Photogramme du film "Images en herbe"

Photogramme du film « Images en herbe »

J’ai développé un partenariat avec le lycée Gabriel Fauré, les lycéens ont réalisé un court métrage « Images en Herbe » sur l’accueil des enfants dans une salle de cinéma. J’ai aussi rejoint Ginette Dislaire, fondatrice de l’association « Les enfants de cinéma » qui fête ses 20 ans cette année…

Annecy, c’est aussi le festival international du film d’animation…

J’ai été administrateur du festival d’Annecy sous la direction de Jean-Luc Xiberras. C’était encore très artisanal, on ne dormait pas beaucoup pendant le festival ! J’allais chercher des hongrois, des tchèques, des russes à l’aéroport de Genève … J’ai organisé dans la salle de la MJC des rétrospectives et des rencontres qui m’ont marqué, Bruno Bozzetto, Karel Zeman, le studio La Fabrique de Jean-François Laguionie, Jan Swankmajer… C’est important de mettre face aux spectateurs les gens qui font le cinéma. Certains réalisateurs sont devenus des copains comme René Laloux. Je l’ai rencontré lors de sa rétrospective en 1989. Jean-Luc Xiberras avait réussi à rapatrier de Prague des originaux de tournage de « La Planète sauvage », nous lui avons offert un carton avec des dessins de Roland Topor, des petits bouts de papier découpé… Un peu plus tard, je lui ai trouvé une copie 35 mm de son court métrage « Les temps morts ». Ça crée des liens.

retrospective-bruno-bozzetto-annecy-juin-1985-de-colette-adam-1028650655_MLD’autres rencontres marquantes ?

J’ai rencontré le réalisateur Jean Odoutan lorsqu’il est venu présenter son premier long métrage, Barbecue Pejo dans le cadre du circuit de cinéma itinérant des Pays de Savoie (Cinébus). Lorsqu’il a créé  le festival Quintessence en 2003, il m’a invité à participer à cette aventure. Il m’a nommé expert du praxinoscope et j’ai animé pendant trois ans des ateliers sur le pré-cinéma. J’ai participé aussi au circuit de projection itinérante en plein air. Jean Odoutan avait pu obtenir des camions dont un côté était peint en blanc pour servir d’écran. Il a aussi créé une école de cinéma au nord de Cotonou.

affiche 2003

En 2008, le musée-château d’Annecy a organisé une grand exposition sur Emile Colh. A cette occasion, Maurice Corbet qui est attaché de conservation au musée m’a présenté Marc Faye qui est l’arrière-petit-fils de l’illustrateur O’ Galop, le créateur du Bibendum Michelin. Je venais de dénicher des plaques de lanterne dessinées par O’Galop. Il est venu les voir chez moi, il devait passer l’après-midi, il est resté trois jours… Marc a monté une société de production, Novanima, il a réalisé entre autre un documentaire animé sur Benjamin Rabier et sur Henri Gustave Jossot.

Image de G.H Jossot parue dans l’Assiette au beurre , N° 296, 1906 avec la légende : Et C’te soupe ? Fiche moi la paix, je lis Karl Marx.

Image de G.H Jossot parue dans l’Assiette au beurre , N° 296, 1906 avec la légende :
Et C’te soupe ?
Fiche moi la paix, je lis Karl Marx.

Comment avez-vous créé Praximage ?

Mon travail salarié était de plus en plus difficile. Mes employeurs de la fédération des MJC ont estimé que j’étais un mauvais gestionnaire, j’ai été muté. Depuis l’école primaire, j’ai des problèmes avec les maths, ça m’a poursuivi toute ma vie… Je suis devenu ensuite responsable d’une Maison de quartier dans la banlieue de Grenoble, à Saint-Martin-d’Hères. J’ai continué à développer le cinéma en direction des jeunes…mais au bout de quelques temps je suis licencié. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de me mettre à mon compte grâce à l’indemnité qui m’est allouée. Je suis très bricoleur. J’ai fabriqué une quarantaine de malles pédagogiques sur les lanternes magiques, les jouets optiques, le théâtre d’ombre… J’ai animé des ateliers, réalisé des expositions, participé à des conférences, restauré des appareils … C’est maintenant ma fille Sophie qui a pris le relais.

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Claude derrière un praxinoscope de sa fabrication, complexe cinéma à Roubaix

Et comment avez-vous commencé votre collection d’objets anciens sur le cinéma ?

J’ai monté ma collection par nécessité professionnelle quand j’ai créé Praximage. Avant, je n’avais qu’un ou deux appareils emblématiques. Lorsque j’ai préparé une grande exposition à Montbéliard, je me suis fait prêter de nombreux objets. Ensuite, j’ai commencé à explorer les vide-greniers, on attrape très vite la collectionnite aigüe. Pour moi, un appareil ne doit pas être inerte, il doit fonctionner. J’essaie de ne pas le dénaturer mais je n’hésite pas à le «moderniser» pour qu’il marche. J’essaie de ne pas accumuler, je n’hésite pas à vendre un objet pour en acheter un autre qui me paraît plus intéressant. J’essaie aussi de mettre mes compétences techniques au service des autres. J’ai rénové un projecteur 35 mm qui appartenait à Ladislas Starewitch, le Pathé-baby d’O’ Galop…

Et maintenant, quelles sont vos activités ?

Je suis retraité, j’aime être dans mon jardin, faire la sieste, bricoler des mobiles… L’image qui me touche le plus, c’est la belle image projetée par une lanterne magique pour le graphisme, la naïveté du propos, les couleurs autres que «Pantone». Je partage maintenant cette passion avec mes voisins en organisant des projections en plein air dans mon quartier…

Solweig von Kleist, artiste pluridisciplinaire

Dessin anamorphique /3D Street Art, Solweig Von Kleist, Septembre 2012

Dessin anamorphique /3D Street Art, Solweig Von Kleist, Septembre 2012

J’ai rencontré Solweig par le biais du cinéma d’animation. J’ai eu le privilège pendant un an de partager avec elle sa passion des images qui bougent. Elle animait tous les mardis soirs un atelier au local de l’association Kino à Issy les Moulineaux. Quelques années plus tard, des traces de pastel sur le trottoir ont attiré mon regard, un beau dessin anamorphique se déployait sous mes yeux. Il était signé S von Kleist. Envie d’en savoir un peu plus sur cet artiste éclectique.

Peux-tu te présenter en quelques mots ?

Solweig von Kleist, d’origine allemande, j’habite depuis 10 ans à Meudon. Je suis artiste, je n’aime pas le terme d’artiste plasticienne, je préfère artiste pluridisciplinaire ou multidisciplinaire. Je fais des peintures, des dessins, des films d’animation, des installations et je donne des cours de dessins. Je suis passionnée par ça, je trouve très important de transmettre ce que je sais faire.

Qu’est-ce qui a été le plus formateur pour toi dans ton enfance ?

Ma grand-mère qui dessinait en amateur. Lorsque je lui rendais visite, je copiais à ses côtés des cartes postales, des fleurs. J’ai appris à dessiner dès l’âge de 4 ans.

Une image qui t’accompagne.

Difficile de répondre, il y a eu des images différentes à chaque période de ma vie. J’ai longtemps accroché dans ma chambre la peinture de Jérôme Bosch « Le jardin des délices », j’en ai même copié quelques scènes.

"Le jardin des délices" de Jérôme Bosch, 1503-1504

« Le jardin des délices » (panneau central) de Jérôme Bosch, 1503-1504

Peux-tu nous parler de ta formation artistique ?

Je suis allée à l’école des Beaux-Arts de Berlin Ouest dans l’objectif de devenir professeur. Je n’avais pas le courage d’imaginer être une artiste, c’était trop exotique pour ma famille ! Il fallait un métier où l’on était assuré de pouvoir gagner sa vie… Au lycée, j’avais eu aussi une très bonne prof d’arts qui m’a encouragée dans cette voie. A l’école des Beaux-Arts, l’enseignement était très varié, j’ai travaillé le bois, le métal, la céramique, la gravure… Mais il n’y avait pas de cours sur le cinéma d’animation, j’ai commencé toute seule. Mon premier film était en noir et blanc, il durait 2 min, c’était en super 8. On y voyait des vêtements qui volaient sur une musique de jazz et qui atterrissaient sur une chaise qui réagissait à cet assaut… Je l’avais fait pour un examen, j’ai été encouragée à continuer. J’ai ensuite réalisé des installations de peinture dans l’espace avec des films super 8, et j’ai eu mon degré de maîtrise de l’école de Beaux arts, en plus de mon examen de prof en arts plastiques.

"Sous les pavés", Solweig von Kleist

« Sous les pavés », Solweig von Kleist

Mon travail sur les installations a été remarqué et m’a permis d’obtenir une bourse pour aller un an à CalArts, l’institut crée par Walt Disney en Californie.

C’est l’institut où s’est formé Tim Burton.

Il était là quelques années avant moi, dans le département « Cartoon ». J’étais dans le département « films expérimentaux ». J’ai énormément appris sur les techniques d’animation. J’ai commencé, entre autre, à gratter sur la pellicule noire de film 35 mm.

Solweig en train de graver sur pellicule

Solweig en train de graver sur pellicule

J’étais fascinée par le dessin et occupée à apprendre les techniques de l’animation, mais j’avais toujours des difficultés à raconter « une histoire » bien construite. Un évènement important plus personnel mais qui a eu des incidences dans mon travail, j’ai rencontré à CalArts mon futur mari, Thierry Verrier, qui suivait des cours dans le département « films de fiction ». Il a eu comme professeur Alexander MacKendrick qui a réalisé entre autres «The ladykillers ». Il a, lui, beaucoup travaillé la narration. Nous avons collaboré à mon premier film « Criminal Tango », j’avançais avec mes idées visuelles et le montage était assumé par Thierry. C’était un drame pour moi de devoir renoncer à certains dessins.

" Criminal Tango ", Solweig von Kleist, 1985

 » Criminal Tango « , Solweig von Kleist, 1985

Après l’année liée à ma bourse, je suis restée en Californie. Pour continuer à travailler sur mon film, je faisais du troc avec des étudiants, en échange de dessins, ils me réservaient la salle avec l’équipement pour pouvoir photographier les images dessinées, sur un appareil appelé « truca », et aussi pour la chambre noire où je développais les pellicules 16 mm tournées. Nous sommes revenus en France avant la fin du film, les images étaient terminées mais il n’avait pas encore de son. Je devais finir le générique avant de quitter la Californie alors  sur les indications de Thierry, j’ai indiqué le nom de Denis Mercier pour la création du son. Thierry et lui étaient ensemble à l’école Louis Lumière, on a fait le pari qu’il allait accepter ! Heureusement il a été d’accord, il a capté tous les sons dans la région parisienne puis j’ai réalisé moi même le montage son chez un ami, Stéphan Krésinski, qui est lui réalisateur et historien du cinéma. Le film a reçu un très bon accueil et de nombreux prix.

Avant de continuer sur tes réalisations, je voulais te demander si tu as des influences artistiques ?

Très modestement en peinture je me situe entre Bacon et Hopper ! J’aime créer des atmosphères, des perspectives étranges, des déformations. Je m’intéresse à la construction de l’espace. Ma peinture est figurative mais elle tend vers une certaine forme d’abstraction.

Peinture de Solweig von Kleist, Attente,

Peinture de Solweig von Kleist, Attente, 2007

C’est important qu’il y ait des « trous », des choses ouvertes pour laisser de la place à l’interprétation du « regardeur ». Une narration existe, sous-jacente, mais rien n’est clairement défini. J’ai été aussi influencée par l’expressionnisme allemand.

Une de tes premières oeuvres reconnues est ta participation au clip de David Bowie, pour la chanson Underground.                                                                       Peux-tu nous parler de cette collaboration ?

En 1986, j’ai reçu un coup de fil d’un producteur Londonien, il avait vu le film « Criminal Tango » et souhaitait me rencontrer pour me proposer un travail. Je me rends à Londres pour la première fois et là on m’annonce que j’ai été choisie pour participer à un clip de David Bowie. A l’annonce du nom, je n’ai aucune réaction, habituée à l’accent californien, je n’avais pas compris le nom du chanteur ! Comme test on me demande de dessiner le visage du chanteur sur de la pellicule, c’est lorsque l’on me donne le portrait à copier, que je réalise enfin ! David Bowie était passionné par l’expressionnisme allemand, notamment Emil Nolde. J’ai été très libre pour réaliser le story-board, j’avais l’image de début (le visage de David Bowie) et l’image de la fin (la boule de cristal) avec quelques indications sur les personnages qui devaient apparaître.

storyboard du clip              " Underground " Solweig von Kleist

storyboard du clip « Underground » Solweig von Kleist

« Underground » est la chanson titre du film « Labyrinthe » de 1986.

Y a-t-il pour toi des différences entre les travaux de commande et tes travaux personnels ?

Je souffre beaucoup lorsque je réalise un travail de commande, je suis angoissée ! Il y a un véritable conflit entre ce que je pense qu’on attend de moi et ce que je veux naturellement faire. Il y a eu tout de même des collaborations heureuses, je pense notamment à mes illustrations pour un magazine économique ou aux couvertures de livres policiers allemands.

illustrations pour le magazine " science & vie économie" N°54 octobre 1989

illustrations pour le magazine  » science & vie économie » N°54 octobre 1989

Tu as participé à deux résidences d’artiste, Folimage en 1997 et à l’abbaye de Fontevraud en 2008/2009.                                                                                              Que t’ont apportée ces dispositifs ?

J’aime beaucoup me déplacer, découvrir des lieux et rencontrer des gens. A Fontevraud, c’était extraordinaire, au mois d’août j’étais seule dans mon atelier mais dès que je regardais par la fenêtre je voyais un flot de touristes. C’était un état de travail très apaisant, être à la fois en retrait et entouré… Et puis, tu rentres aussi en un autre état par l’atmosphère du lieu, par la mémoire des murs…

J’aimerais aussi que tu me parles d’une oeuvre qui est pour moi énigmatique avec son titre à la Magritte,  « Ceci est un film ».

"Ceci est un film", Solweig von Kleist,

« Ceci est un film », Solweig von Kleist, 2008

C’est un projet que j’ai fait pour une exposition en hommage à Emile Cohl au musée d’Annecy en 2008. J’ai coulé dans un moule environ cinquante couches successives de ciment et sur chaque couche j’ai gravé une image de la séquence animée. Avant chaque nouvelle coulure de ciment j’ai pris une photo, ce qui a donné un petit film de 2 secondes, en boucle. On y voit un homme qui sort d’une spirale et plonge, puis il réapparaît et s’envole grâce à la spirale. L’oeuvre est donc composée d’un cube de ciment où les images du film ont été ensevelies : les dessins, les éléments concrets ont disparus, mais ils continuent d’exister sous forme virtuelle, comme film qui est projeté à côté du cube en béton… ( cube_10 ) C’est une commande de Maurice Corbet, conservateur au musée-château d’Annecy qui a écrit un beau texte sur mon travail.

Une calligraphie du mouvement 

Depuis quelques années tu réalises des performances que tu appelles « live animations ». Peux-tu nous en définir le principe et nous dire l’importance du regard du public dans le processus même de ton travail.

J’aime beaucoup les films d’animation, j’ai eu très envie de transmettre cette magie à faire bouger des images. Montrer un film terminé, c’est bien mais le spectateur n’est souvent qu’un consommateur. Inviter les gens à assister au processus même de la réalisation d’une séquence animé, cela peut provoquer de l’émerveillement de voir des dessins qui commencent à bouger… Au début, je réalisais un évènement-spectacle, c’était très stressant car on travaille sans filet, dans un laps de temps déterminé. En plus, on est à la merci de problèmes techniques divers, la caméra qui n’a pas bien enregistré, des changements de lumière… Maintenant je préfère faire mes interventions dans un lieu ouvert au public qui peut venir pour regarder puis partir à sa guise tout en suivant l’évolution du dessin. En 2010, j’étais jury au festival du film d’animation de Poznan (Pologne). Pendant deux heures par jour, j’investissais un bureau du musée d’art dans lequel travaillaient les organisateurs du festival. J’ai recouvert tous les vitrages peu à peu en dessinant avec du blanc de Meudon les éléments de mon film « Chaos ». Personne ne comprenait vraiment ce que j’étais en train de faire, les gens n’avaient pas le code d’accès.  A la fin, lorsque j’ai photographié chaque dessin dans le « bon » ordre et projeté l’animation, ce fut la révélation : les spectateurs ont découvert soudainement qu’un film était caché dans ces dessins éparpillés et chaotiques…

Tes projets actuels…

Trop de projets en même temps, et pas le temps pour les faire ! Depuis un certain temps, je n’ai plus fait de la peinture dont les sujets étaient plutôt psychologiques. Je m’intéresse énormément à la politique et j’ai envie de me confronter à la réalité du monde, mais avec un point de vue décalé d’artiste.

Depuis quelques années je suis en train de dessiner une mappemonde de grand format qui tente de visualiser des questions liées à la mondialisation capitaliste ultralibérale. Entreprise démesurée, la mappemonde est en perpétuelle évolution mais j’espère la finir pour cet été ! C’est aussi la base pour un scénario de film sur la même thématique, dont j’ai fini une première mouture bien trop longue ! Je vais essayer de trouver le temps pour  raccourcir ce scénario, ou le transformer en roman graphique…

Solweig travaille sur son projet de mappemonde.

Solweig travaille sur son projet de mappemonde.

Je m’intéresse aussi à l’apparition des traînées persistantes des avions qui blanchissent le ciel, un phénomène inquiétant pourtant très visuel, mais inaperçu par la plupart des gens ! Ils ont trop vissé leur regard sur leurs beaux écrans bleus… J’ai déjà réalisé plusieurs installations avec des films sur ce sujet, et au printemps je vais refaire un film animé en time lapse (en accéléré) sur ce sujet.

Je suis aussi passionnée par le dessin d’anamorphose et j’ai réalisé pendant les journées du patrimoine 2012 une première intervention de « 3D street art »  sous les arcades du RER à Issy-les-Moulineaux. Avec l’aide d’une jeune diplômée de l’ENSAD, Da-Hee Jeong, j’ai dessiné pendant deux jours un dessin anamorphique représentant les carrières d’extraction du blanc de Meudon (le thème de la manifestation étant « le patrimoine caché »). Lorsque le dessin a été terminé, le public était invité à chercher le point de vue qui rend compte de l’illusion optique. C’était très joyeux, les gens étaient très actifs en jouant avec le dessin et en prenant de nombreuses photographies. C’est un projet que j’ai envie de renouveler…

Solweig sur son dessin anamorphique, 2012

Solweig sur son dessin anamorphique, 2012