Tout commence par la découverte dans une brocante d’Amsterdam d’un lot d’anciennes plaques de lanternes magiques. Toute heureuse de cette nouvelle acquisition, je n’ai plus qu’une envie, les voir à nouveau projetées sur un mur. Un ami bien inspiré me met en relation avec Claude Bataille. Outre sa générosité à aider une néophyte handicapée de ses dix doigts, Claude est un homme au contact chaleureux … et il cause ! De coups de fil en coups de fil, cet homme passionné et passionnant raconte le fil d’une vie où l’amour des images et le désir de transmettre sont essentiels… En voici quelques extraits !
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis en partie un autodidacte … Je dis souvent que j’ai été une «Madame Claude» de l’image, j’aime mettre les gens en relation, organiser, fédérer… J’aime le travail bien fait, engendrer du plaisir…
Qu’est-ce qui a été le plus formateur pour vous dans votre enfance ?
Mon maître de CM2, Monsieur Pierre, à l’école primaire d’Orsay. Il était généreux et exigeant. Mon premier souvenir sont les parties de foot avec lui, on jouait tous pieds nus parce qu’on n’avait pas de fric pour acheter des chaussures. Le deuxième souvenir important, est qu’il nous lisait à la fin de chaque semaine un épisode de « La Guerre des boutons » de Louis Pergaud. Mon oncle, qui distribuait « L’humanité dimanche » sur le marché d’Orsay, m’a offert le livre pour mes dix ans. Je le relis presque tous les ans. Il est pour moi un ouvrage de référence pour la vie réelle et mon engagement dans l’Education Populaire lui doit beaucoup.
Une image qui vous accompagne…
Un grand film en noir et blanc avec un pasteur joué par Robert Mitchum, « La nuit du chasseur ». C’est mon film fétiche, il ne se raconte pas, il se voit ! Lorsque j’ai été responsable d’une salle d’Art et Essais, je me suis fait engueuler lorsque j’ai voulu le programmer pour les enfants. A une époque, il était interdit au moins de 16 ans.
Quelle a été votre première rencontre avec le cinéma ?
En tant que spectateur, je crois que mon premier film était « Néron ». Je me souviens aussi d’avoir vu avec ma mère « Les diables de Guadalcanal » avec John Wayne, c’était au cinéma de Palaiseau, « Le Coucou ». J’étais effaré par ces mecs qui crânent dans le cockpit de leur Curtiss P 40.
Je ne suis pas un grand cinéphile. Je suis plutôt un technicien du cinéma. J’étais responsable au début des années 60, d’un club d’aéromodélisme dans la MJC intercommunale d’Orsay. On y a créé un ciné-club, comme je n’étais pas maladroit de mes doigts et que je pouvais emprunter la 2 chevaux camionnette de mon père épicier, je suis devenu le projectionniste attitré. J’avais un projecteur 16 mm, un Debrie MB 216 que je transportais dans deux grosses valises en bois. J’assurais une séance de ciné-club dans chacune des communes de la vallée. Juste avant de partir à l’armée j’ai vu « Les tontons flingueurs » et lors de mon service militaire que j’ai effectué au Sahara, j’ai très vite remplacé le projectionniste ! Je voyais un film par jour, du « nanard » aux films d’Alexandre Nevski !
Quelle est votre formation initiale ?
Juste après le BEPC, mes parents m’ont inscrit au lycée technique Maximilien Perret à Vincennes. J’ai un brevet technique dans le chauffage central, aujourd’hui, nommé « génie thermique »…
Vous abandonnez très vite votre travail de chauffagiste…
Oui, au grand désespoir de ma mère ! Au retour de mon service militaire, une nouvelle MJC est créée à Bures-sur-Yvette. Je postule sur le poste de secrétaire que j’obtiens, je continue aussi à être projectionniste… J’avais un copain à la MJC de Palaiseau, il était responsable de la section voyage-découverte. Avec deux autres copains, nous avons traversé le Sahara en 2 chevaux.
Avant de partir, j’ai acheté la caméra 16 mm de Jean-Claude Drouot (alias Thierry la Fronde). J’ai tourné un film d’une heure sur notre aventure. A notre retour, nous avons projeté notre film muet dans le grand amphi de maths de la fac d’Orsay, nous étions soutenus par la presse locale ! Nous en étions les bonimenteurs…
… puis vous quittez aussi la région parisienne !
En 1976, je deviens directeur de la MJC des Teppes à Annecy. J’ai à disposition un magnifique bâtiment conçu par les architectes Jacques Lévy et Maurice Novarina. Nous créons une salle de cinéma commerciale. Il faut dire qu’à cette époque les structures sociales et culturelles n’avaient le droit de projeter que du 16 mm (format substandard), nous nous sommes battus pour avoir accès au 35 mm (format standard). La salle fut baptisée au non de Jean Dasté, en sa présence et en référence au film « Zéro de conduite » de Jean Vigo. Nous faisions énormément d’entrées en pratiquant un prix très bas, nous étions aussi dans les premiers à avoir installé des fauteuils pour handicapés. J’attachais beaucoup d’importance à accueillir les enfants. Je ne me contentais pas de faire la programmation, j’étais aussi le monsieur qui accueille, qui donne un vrai billet à chaque enfant, qui est dans la cabine de projection…
J’ai développé un partenariat avec le lycée Gabriel Fauré, les lycéens ont réalisé un court métrage « Images en Herbe » sur l’accueil des enfants dans une salle de cinéma. J’ai aussi rejoint Ginette Dislaire, fondatrice de l’association « Les enfants de cinéma » qui fête ses 20 ans cette année…
Annecy, c’est aussi le festival international du film d’animation…
J’ai été administrateur du festival d’Annecy sous la direction de Jean-Luc Xiberras. C’était encore très artisanal, on ne dormait pas beaucoup pendant le festival ! J’allais chercher des hongrois, des tchèques, des russes à l’aéroport de Genève … J’ai organisé dans la salle de la MJC des rétrospectives et des rencontres qui m’ont marqué, Bruno Bozzetto, Karel Zeman, le studio La Fabrique de Jean-François Laguionie, Jan Swankmajer… C’est important de mettre face aux spectateurs les gens qui font le cinéma. Certains réalisateurs sont devenus des copains comme René Laloux. Je l’ai rencontré lors de sa rétrospective en 1989. Jean-Luc Xiberras avait réussi à rapatrier de Prague des originaux de tournage de « La Planète sauvage », nous lui avons offert un carton avec des dessins de Roland Topor, des petits bouts de papier découpé… Un peu plus tard, je lui ai trouvé une copie 35 mm de son court métrage « Les temps morts ». Ça crée des liens.
D’autres rencontres marquantes ?
J’ai rencontré le réalisateur Jean Odoutan lorsqu’il est venu présenter son premier long métrage, Barbecue Pejo dans le cadre du circuit de cinéma itinérant des Pays de Savoie (Cinébus). Lorsqu’il a créé le festival Quintessence en 2003, il m’a invité à participer à cette aventure. Il m’a nommé expert du praxinoscope et j’ai animé pendant trois ans des ateliers sur le pré-cinéma. J’ai participé aussi au circuit de projection itinérante en plein air. Jean Odoutan avait pu obtenir des camions dont un côté était peint en blanc pour servir d’écran. Il a aussi créé une école de cinéma au nord de Cotonou.
En 2008, le musée-château d’Annecy a organisé une grand exposition sur Emile Colh. A cette occasion, Maurice Corbet qui est attaché de conservation au musée m’a présenté Marc Faye qui est l’arrière-petit-fils de l’illustrateur O’ Galop, le créateur du Bibendum Michelin. Je venais de dénicher des plaques de lanterne dessinées par O’Galop. Il est venu les voir chez moi, il devait passer l’après-midi, il est resté trois jours… Marc a monté une société de production, Novanima, il a réalisé entre autre un documentaire animé sur Benjamin Rabier et sur Henri Gustave Jossot.
Comment avez-vous créé Praximage ?
Mon travail salarié était de plus en plus difficile. Mes employeurs de la fédération des MJC ont estimé que j’étais un mauvais gestionnaire, j’ai été muté. Depuis l’école primaire, j’ai des problèmes avec les maths, ça m’a poursuivi toute ma vie… Je suis devenu ensuite responsable d’une Maison de quartier dans la banlieue de Grenoble, à Saint-Martin-d’Hères. J’ai continué à développer le cinéma en direction des jeunes…mais au bout de quelques temps je suis licencié. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de me mettre à mon compte grâce à l’indemnité qui m’est allouée. Je suis très bricoleur. J’ai fabriqué une quarantaine de malles pédagogiques sur les lanternes magiques, les jouets optiques, le théâtre d’ombre… J’ai animé des ateliers, réalisé des expositions, participé à des conférences, restauré des appareils … C’est maintenant ma fille Sophie qui a pris le relais.
Et comment avez-vous commencé votre collection d’objets anciens sur le cinéma ?
J’ai monté ma collection par nécessité professionnelle quand j’ai créé Praximage. Avant, je n’avais qu’un ou deux appareils emblématiques. Lorsque j’ai préparé une grande exposition à Montbéliard, je me suis fait prêter de nombreux objets. Ensuite, j’ai commencé à explorer les vide-greniers, on attrape très vite la collectionnite aigüe. Pour moi, un appareil ne doit pas être inerte, il doit fonctionner. J’essaie de ne pas le dénaturer mais je n’hésite pas à le «moderniser» pour qu’il marche. J’essaie de ne pas accumuler, je n’hésite pas à vendre un objet pour en acheter un autre qui me paraît plus intéressant. J’essaie aussi de mettre mes compétences techniques au service des autres. J’ai rénové un projecteur 35 mm qui appartenait à Ladislas Starewitch, le Pathé-baby d’O’ Galop…
Et maintenant, quelles sont vos activités ?
Je suis retraité, j’aime être dans mon jardin, faire la sieste, bricoler des mobiles… L’image qui me touche le plus, c’est la belle image projetée par une lanterne magique pour le graphisme, la naïveté du propos, les couleurs autres que «Pantone». Je partage maintenant cette passion avec mes voisins en organisant des projections en plein air dans mon quartier…