Olesya Shchukina, illustratrice et cinéaste d’animation

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Il y a des films qui vous font une impression durable. Ce fut le cas du premier court métrage professionnel réalisé par la talentueuse Olesya Shchukina, « Le vélo de l’éléphant ». Comment ne pas être touché par ce personnage à l’énergie incroyable qui s’enferme entre ses quatre murs lorsque l’objet de tous ses désirs ne lui correspond pas ? Le nouveau programme    « Les animaux en folie » présenté lors du dernier festival « Image par image » » du Val d’Oise me donne l’occasion de découvrir un nouveau court métrage d’Olesya Shchukina, « La Luge ». Minimaliste, il met en scène un petit écureuil qui nous transmet sa curiosité et son élan face à l’inconnu. Il ne m’en fallait pas plus pour avoir très envie de rencontrer celle qui insuffle aussi bien la vie à ses personnages de fiction.

Peux-tu te présenter en quelques mots ?

Je suis réalisatrice et illustratrice, le plus souvent pour des projets à destination des enfants.

 Qu’est-ce qui a été le plus formateur pour toi dans ton enfance ?

J’ai eu la chance que mes parents m’emmènent dans des musées tous les week-end.  J’habitais à Saint-Pétersbourg, j’allais très souvent à l’Hermitage. Je me sens chez moi dans les musées. Je pense que c’est une des raisons de mon installation à Paris, les occasions de voir des expositions ne manquent pas.

Une image qui t’accompagne …

Un paysage vide avec la mer. C’est là où j’ai grandi. J’aime toujours les mers froides, pas pour me baigner mais pour me promener. C’est ce qui me manque à Paris, il n’y a pas de mer.

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http://femmesdanim.fr/fiche/54/Shchukina-Olesya

Comment t’es-tu intéressée au cinéma d’animation ?

J’ai toujours regardé des courts métrages d’animation à la télévision. C’est par mon petit frère que j’ai eu envie d’en faire. C’est lui le premier qui a acheté un logiciel pour faire des films d’animation et moi je l’aidais dans ses projets.  A 17 ans, je me suis cassée la jambe lors d’une séance de ski avec l’école, j’ai été immobilisée pendant deux mois à la maison. Je m’ennuyais ferme, je me suis mise à faire des petites animations personnelles de quelques secondes. Au début je voulais être architecte, je ne pensais pas qu’on pouvait faire des études dans le cinéma d’animation. Je me suis présentée à l’université dans ces deux domaines. J’ai été prise dans le cinéma. J’avais utilisé les petits films réalisés lors de mon immobilisation pour créer mon portfolio.

Avant de parler de ta formation à l’université, j’aimerais savoir quels sont les films qui ont marqué ton enfance.

Les films soviétiques qui passaient à la télévision ; Les épisodes de « Winnie l’ourson » de Fiodor Khitruk, les adaptations du « Livre de la Jungle » par Roman Davydov. J’aimais aussi les séries américaines comme « Les Simpson » ou la série japonaise « Sailor Moon ».

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Mowgli, Roman Davidov, 1973

Tu intègres donc l’université du cinéma et de la télévision de Saint Pétersbourg en 2009, qu’est-ce qui a été important dans la formation que tu y as reçu ?

J’ai eu la chance d’avoir de très bons profs. Je pense aux deux réalisateurs russes, Konstantin Bronzit et Dmitry Vysotsiy. Ce sont deux réalisateurs expérimentés qui sont dans la pratique, ils ne sont pas seulement théoriciens. Ils nous ont accompagnés dans nos projets. Ils sont honnêtes, ils disent les choses quand ça ne va pas, ils ont un regard pointu, chaque détail compte. J’ai suivi aussi des cours de théâtre avec la méthode Stanislavsky. Nous travaillions à partir d’extraits de Tchekhov étant à tour de rôle metteur en scène ou comédien. J’ai appris que l’acting des personnages vient de l’émotion. J’ai eu aussi des cours sur l’histoire du cinéma. J’ai regardé beaucoup de films sur des cassettes VHS. Les conditions de projection n’étaient pas superbes mais j’ai été marquée par des films comme « Les nuits de Cabiria » de Fellini, « Citizen Kane » d’Orson Welles, « Le cabinet du docteur Caligari » de Robert Wiene. Les films muets de Chaplin et de Keaton ont été aussi très importants.

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Giulietta Masina dans Les nuits de Cabiria de Fellini, 1957

Sur ta chaîne Vimeo on peut voir un de tes premiers film Bouillie de semoule, tu peux nous en parler ?

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Mannaya kasha (bouillie de semoule), 2007

  J’ai fait ce film quand j’étais à l’université mais sans en parler aux profs. Il faut dire qu’à l’université on n’avait pas de lieu pour travailler nos projets. On faisait tout à l’extérieur et on montrait seulement l’avancée de notre travail aux profs. Là, je n’ai rien dit avant de montrer le film terminé. Il est plein de défauts mais j’avais envie de suivre mes idées sans interférence. Les profs m’ont encouragé quand ils l’ont découvert. Il a été sélectionné au festival Krok. Cette participation a été très importante pour moi, j’ai vu plein de courts métrages qui m’ont confirmé que je voulais travailler dans ce domaine. J’y ai surtout rencontré Benjamin Renner qui venait présenter son film de fin d’étude La queue de la souris. C’est lui qui m’a parlé de l’école de la Poudrière. Au final c’est grâce à Bouillie de semoule que je suis là !

Tu intègres l’école de la Poudrière juste après l’université ?

Non, pendant un an, j’ai travaillé en freelance à Saint-Pétersbourg dans le domaine de l’illustration et de l’animation. J’ai déposé un dossier à la Poudrière avec un portfolio et une lettre de motivation. J’ai été chanceuse, j’ai été prise. Les promos sont composées d’une dizaine d’étudiants, deux promos se côtoient à la Poudrière. Nous sommes peu nombreux. La particularité de cette école est que la théorie est au service de la pratique. Tous les profs sont des professionnels. Le travail en commun est essentiel, les portes ne sont jamais fermées, on regarde comment les copains travaillent, comment ils résolvent des problèmes que l’on rencontre aussi.

Des profs t’ont marquée ?

Oui, j’aime beaucoup l’univers graphique de Carles Porta, c’est un illustrateur et animateur espagnol. Il a une approche douce, non envahissante. Il nous a accompagnés pendant une semaine afin de réaliser la bande annonce pour l’édition 2012 de Cartoon Movie.

séance de travail à la Poudrière,Carles Porta, 2012

Photo prise lors d’une séance de travail avec Carles Porta, 2012

Nous avons aussi eu un atelier d’une semaine avec Piotr Dumala, c’est un réalisateur et animateur polonais. Tous ces films sont différents. On a travaillé avec lui au banc titre. C’est à la Poudrière que j’ai commencé à faire du papier découpé.

Justement mis à part Bouillie de semoule réalisé en pixilation, tes autres films sont réalisés en animation 2D numérique ou avec la technique traditionnelle du papier découpé. Comment choisis-tu ta technique ? 

Même quand je travaille sur ordinateur, je traite mon image comme du papier découpé. C’est une technique qui correspond au style de mes personnages. J’anime bien les éléments plats et géométriques. J’aime affronter les contraintes liées à cette technique.

Tu peux nous en dire plus ?

Travailler à plat ne permet pas de jouer avec la perspective. Par exemple, il est impossible de faire venir les personnages du fond de l’image. On doit sans cesse inventer : comment dire la même chose mais différemment.

 Tu as réalisé ton premier film professionnel, Le vélo de l’éléphant avec les studios Folimage. Comment s’est passé votre collaboration ?

Nous étions voisins. Je suis allée déposer un dossier avec le projet du film. Il cherchait à ce moment des films pour composer un programme de courts métrages à destination des enfants, Folimômes. A partir du synopsis et d’un bout du storyboard, mon projet a été accepté. A l’origine, je n’avais pas pensé faire un film pour les enfants. L’idée de ce film vient de loin, je l’avais en tête avant la Poudrière. En Russie, je l’aurais réalisé en animation 2D numérique. C’est après la Poudrière que j’ai eu envie de le faire en papiers découpés.

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Photo du making-of du « Vélo de l’éléphant »

C’est très agréable de travailler avec du papier, c’est très tactile. Le réalisateur russe, Yuri Norstein, utilise cette technique mais ça ne se voit pas, on a l’impression que c’est du dessin animé. Ma manière de travailler est plus visible. J’aime quand le spectateur se rend compte que c’est fictif mais qu’il l’oublie peu à peu quand il entre dans l’histoire. J’aime aussi que chaque spectateur participe au film avec son imagination. L’artiste lettone Signe Baumane qui a réalisé le film Rocks in my pockets m’a dit après avoir vu Le vélo de l’éléphant que j’avais réussi à parler aux enfants de cette maladie grave qu’est la dépression.

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Rocks in my pockets, Signe Baumane, 2014

Et pour ton court métrage La luge qui est présent dans le programme Les animaux en folie ?

Pour la luge c’est un choix déterminé d’utiliser l’animation 2D numérique. Tout est parti d’une carte postale que j’avais créée auparavant. J’aime, entre deux projets d’animation, faire des illustrations. Ça me repose, on a un résultat plus rapide. J’aime aussi m’exprimer avec une seule image.SLED_02

J’avais créé cette carte pour mes amis à l’occasion des fêtes de fin d’année. J’ai utilisé le Risographe pour la fabriquer. C’est une machine qui permet une technique de reproduction par pochoir. Beaucoup d’illustrateurs l’utilisent. On imprime les couleurs les unes après les autres. J’ai travaillé uniquement avec du bleu et du rouge. Le blanc est celui du papier, le noir est réalisé en mélangeant le bleu et le rouge. Le directeur artistique du studio russe Soyuzmultfilm a vu la carte sur ma page Facebook. Il connaissait Le vélo de l’éléphant, il m’a contacté et m’a demandé de faire un film à partir de cette image. J’ai aimé travailler sur cet univers minimaliste. Les idées de mes scénarios arrivent souvent comme ça : j’ai une image en tête et j’essaie de voir ce qu’il y a avant et après. La luge s’inscrit dans une collection qui existe depuis la fin des années 60, Vesyolaya Karusel qu’on peut traduire par Le carrousel amusant. Cette collection a été créée par Anatoly Petrov et Galina Barinova pour le studio Soyuzmultfilm. Elle met en valeur des courts métrages expérimentaux de jeunes réalisateurs. Le film n’a pas été réalisé dans les murs du studio qui est à Moscou, l’essentiel de l’animation a été faite à Paris par Chenghua Yang qui est une amie.

Quelle importance donnes-tu à la musique dans tes films ?

Le son et en particulier la musique sont très importants pour moi. C’est ce que j’ai le plus de mal à gérer dans mes films. C’est un autre artiste qui intervient alors. Je ne peux pas être autoritaire à 100 %, je dois le guider mais aussi lui laisser une marge de liberté.                  Yan Volsy  intervient à la Poudrière. Il m’a proposé de faire la musique de mon premier court Les talons rouges.

Nous avons aimé travailler ensemble, et grâce à cette première collaboration, il m’a accompagné sur Mal de terre et Le vélo de l’éléphant. On a une bonne entente, Yann a une vision globale du film. Il comprend ce que je veux tout en me faisant des propositions. Pour lui comme pour moi, la musique n’est pas une illustration, elle participe pleinement à la dramaturgie.

Pour La luge tu as collaboré avec le musicien Lev Slepner.

Oui, c’est moi qui l’aie choisi. J’adore les films qu’il a fait avec Yulia Aronova. Lorsque j’ai composé l’animatique, j’avais en tête des références musicales : Pierre et le loup de Prokofiev et une musique de Rachmaninov. Il m’a proposé une musique dans cet esprit. Lev ne travaille pas de la même manière que Yann. Yann compose et montre une maquette avec la mélodie et aussi les instruments en lien avec les images. Lev lui conçoit les mélodies en écrivant une partition. Je lui ai fait confiance car ses propositions étaient abstraites pour moi.  La musique finale je l’ai découverte quand c’était enregistré et fini.

Tu as aussi réalisé la bande annonce très dynamique du festival « image par image » du Val d’Oise.

J’aime bien les projets de commande. Tu peux tester des choses dans ce contexte et Yves Bouveret m’a donné carte blanche. Pour le montage dynamique j’avais en tête des jeux vidéos comme Mario et aussi des séries télévisées. L’idée était de proposer un voyage en quelques secondes. Je suis partie de l’image des trois montagnes qui chantent.

Yves m’ a demandé d’ajouter un animal pour faire un lien avec le programme des Animaux en folie. J’ai choisi le chat. C’est pour moi comme un voyage à travers la nuit pour que le matin puisse arriver.

Tu travailles aussi pour des films qui ne sont pas les tiens…Je pense à Ma vie de courgette de Claude Barras ou la série Mirou, Mirou de Haruna Kishi et Mathilde Maraninchi. Qu’est-ce que ces collaborations t’apportent ?

J’ai adoré le trailer de Ma vie de courgette de Claude Barras. J’avais envie de participer à cette aventure. Cécile Milazzo qui a fait la Poudrière un an avant moi a été nommée responsable de la peinture et des décors. Elle m’a proposé de rentrer dans son équipe. J’ai été sa petite main. Claude Barras m’a aussi confié la réalisation des dessins d’enfants dont ceux de Courgette. J’ai travaillé alors comme illustrateur, j’ai fait tous les posters que l’on voit sur les murs, le tableau de la météo des enfants, la typographie…

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« Ma vie de Courgette » , Claude Barras, 2016

Pour Mirou, Mirou, j’étais aussi dans l’équipe décors, nous développions l’univers graphique de Haruna Kishi. C’était très intéressant de voir de l’intérieur comment fonctionne la production d’une série.

J’ai vu sur internet que tu avais aussi donné des cours en Arménie avec l’école Tumo.

J’aime bien faire des ateliers de temps en temps. Ça me permet de structurer des choses. Les résultats sont souvent surprenants. J’ai travaillé cet été deux semaines avec des adolescents en Arménie. C’est un centre qui a été créé pour des jeunes de 12 à 18 ans. Les activités sont gratuites et les adolescents ont à leur disposition du matériel professionnel. Chacun a fait un petit film pour illustrer des expressions de base en arménien comme dire bonjour ou demander le prix de quelque chose

Pour finir, une question traditionnelle, sur quoi travailles-tu actuellement ?

Je travaille beaucoup pour des sites internet en Russie comme Chevostik, qui est une encyclopédie multimédia pour les enfants. Je fais des illustrations et des mini animations.        Je suis aussi sur un projet de long métrage qui s’appelle Le Noël des animaux produit par la société Les Valseurs. Le film est organisé en 5 chapitres, chaque chapitre est sous la responsabilité d’une réalisatrice différente.

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Le dernier arbre de Noël, Olesya Shchukina, en fabrication

Yan Volsy, musicien, compositeur et concepteur sonore…

Ciné-concert "En sortant de l'école", 26 avril 2017, Grand Logis de Bruz

Ciné-concert « En sortant de l’école », 26 avril 2017, Grand Logis de Bruz

Son nom apparaît au générique de trois courts métrages du programme  » Grand-Petit et petits-grands » créé pour le festival « Image par Image » du Val d’Oise. Il ne m’en fallait pas plus pour avoir envie de rencontrer cet homme-orchestre qui commence à avoir une sacrée réputation dans le monde de l’animation. Rendez-vous fut pris dans son studio perchoir de Montreuil…

Peux-tu te présenter en quelques mots ?

J’ai une petite formule qui me définit bien : « fabricant de musique et de son, spécialisé dans le cinéma d’animation ». J’aime bien le côté artisanal que ça évoque. « Faiseur de ritournelles », j’aime bien aussi.

Qu’est-ce qui a été le plus formateur pour toi dans ton enfance ?

Yan réfléchit … Je ne sais pas si c’est formateur, mais deux choses ont été importantes dans mon envie de raconter des histoires avec la musique. D’abord un pick-up 45 tours sur lequel je passais en boucle « Le Carnaval des animaux » de Camille Saint-Saëns. La légende familiale dit que je savais mettre des disques avant de savoir parler, et que je passais des heures à écouter de la musique. La seconde est le vieux piano Pleyel impossible à accorder dont mes parents avaient hérité. Personne n’en jouait chez moi, je ne suis pas d’une famille de musiciens. Mais c’est sur ce vieux piano que j’ai commencé à composer, enfant, des petites mélodies. La lecture, les livres, ont aussi  été une immense découverte.

Une image qui t’accompagne ?

Il y en a tellement ! Je choisis une image extraite de « Bandits Bandits » de Terry Gilliams, mon premier choc cinématographique. Celle du géant qui sort de l’eau avec le bateau sur la tête, bateau à bord duquel on vient de passer quelques temps !

Bandits, Bandits de Terry Gilliam, 1981

Bandits, Bandits de Terry Gilliam, 1981

Une musique qui t’accompagne ?

J’ai déjà parlé du « Carnaval des animaux », notamment le mouvement AquariumUn autre coup de coeur d’enfant est Titi et Gros minet aux sports d’hiver, j’assume totalement, c’est un vrai cartoon sonore !

Titi et Sylvestre à la neige, 1974

Titi et Sylvestre à la neige, 1974

Plus sérieusement, une musique découverte dans mon enfance que j’écoute toujours : le Köln Concert de Keith Jarret. J’ai découvert  le « Köln Concert » grâce à mon papa. Pour son travail, il est allé à Singapour. Il m’a rapporté tout un lot de cassettes pirates ! Essentiellement du piano, il y avait notamment Richard Claydermann qui était très à la mode dans les années 70 mais aussi le « Köln Concert ». Je prenais à cette époque des cours de piano, ça se passait très mal avec ma prof. Keith Jarret n’a pas arrangé nos relations. Je lui ai apporté un morceau de lui que je voulais apprendre à jouer, elle a refusé en disant qu’il jouait trop fort de la main gauche !

Comment la musique a-t-elle débarqué dans ta vie ?

Comme une évidence. Ce n’est pas lié à un contexte familial, c’est un besoin totalement personnel. Je n’ai par contre jamais pu rentrer dans le système traditionnel d’apprentissage de la musique.

Auditeur, joueur… deux faces d’une même passion ?

J’écoute et je joue de la musique en permanence. Un de mes morceaux s’appelle La Jalousie du MusicienIci c’est la jalousie de la musique de Yann Tiersenn. C’est totalement ça, une jalousie positive qui donne envie et qui te rend humble. Je ne suis pas un virtuose. Je n’ai pas d’ailleurs particulièrement d’habileté manuelle. La virtuosité est un don doublé d’une immense capacité de travail, mais moi je n’ai jamais eu envie de passer des heures sur un instrument pour devenir un interprète génial. Je ne suis pas à la recherche de cette perfection. Par contre je suis sensible à la virtuosité des autres musiciens, celle de Keith Jarret ou d’un griot africain peu importe, cette virtuosité peut m’emporter très loin, c’est hypnotique. Je crois aussi que de ne pas être virtuose me permet d’être un auditeur qui n’est pas blasé.

A quel moment as-tu décidé de faire un métier lié à la musique ?

Pendant mes études supérieures. J’ai suivi un cursus de réalisation audiovisuelle à l’université Stendhal de Grenoble. Pendant ces études, un de mes profs, André Targe, m’a fait comprendre que j’étais plus du côté de l’oreille que de l’oeil. Dans le cadre des films qu’on réalisait avec les étudiants, je m’occupais souvent du son.

Et ta rencontre avec le cinéma d’animation ?

Très brutale ! (rire) Je peux la dater très précisément : mars 2006, ma première collaboration avec l’école de La PoudrièreDepuis déjà une dizaine d’année je créais des bandes sons pour le jeu vidéo et le théâtre. Et puis j’ai eu l’occasion de travailler sur le film de fin d’étude de Julien Bisaro, « L’oeil du cyclone ». Et là, boum, l’évidence : « c’est ça que je veux faire. » Le cinéma d’animation d’auteur m’attirait déjà par les liens qu’il entretient avec le burlesque, les arts du cirque, Tati… Par ailleurs j’ai senti que de travailler dans le cinéma d’animation me permettrait de continuer à faire du son et de la musique. J’aime gérer des créations complètes, m’occuper à la fois du bruitage, des voix et de la musique. C’était de plus en plus dur, j’évoluais dans un milieu de plus en plus pro, où les différents métiers liés aux sons étaient très cloisonnés. Ça ne me convenait pas, je n’avais pas envie de faire des choix ! Avec l’animation, j’ai senti que je pouvais continuer à défendre mon statut « multi-casquettes ».

Ton nom apparaît dans trois courts métrages du programme « Grand-Petit et petits-grands »  …. Es-tu en passe de devenir le musicien incontournable du cinéma d’animation français ?

Rire – Ça ne me déplairait pas d’être le spécialiste français des « petits personnages ». J’ai d’ailleurs aussi travaillé avec Anna Chubinidze sur son court « Le petit bonhomme de poche ».

Le petit bonhomme de poche d’ Anna Chubinidze, 2017

Le petit bonhomme de poche d’ Anna Chubinidze, 2017

Plus sérieusement c’est un concours de circonstance, c’est le jeu de la programmation. Ce qu’il faut savoir c’est que faire le son d’un film, ça va vite, beaucoup plus vite que l’image. Pour un film de 3 ou 4 minutes, mon intervention va durer 3 ou 4 jours, alors que l’image a pris au moins trois ou quatre mois ! Pour en vivre, je suis donc obligé d’en faire beaucoup ! Mais ça me plaît, j’adore passer d’un projet à l’autre rapidement, et mon réseau professionnel s’est concentré sur ce type là de film. Mais je suis très loin d’être le monsieur musique de l’animation française !

Comment s’organise ta collaboration avec un réalisateur ?

J’interviens le plus tôt possible. Souvent on m’appelle au moment du scénario. Il est très rare que j’intervienne sur un film quasiment terminé. C’est d’ailleurs souvent mauvais signe ! Donc le plus souvent je rentre très tôt dans le projet. Au début c’est un travail informel : se voir autour d’un café, parler au téléphone, lire des choses… Je peux suivre les progrès du story board, de l’animatique, du tournage, et pour un film d’animation, c’est très long… Alors, quand arrive mon tour de faire des choses, ça vient très vite, parce que je suis déjà nourri de l’intimité qui s’est créée avec l’histoire et le réalisateur pendant tout ce temps de fabrication de l’image. Puis c’est un aller-retour de propositions entre le réalisateur et moi. Je propose des ambiances, un ou plusieurs thèmes. Il peut y avoir des tensions, parfois je dois faire comprendre au réalisateur qu’il fait fausse route. Dans 90% des cas, ça se passe bien ! Quelqu’un capable de passer deux, trois ans de sa vie à faire un court métrage de 10 minutes est forcément quelqu’un de passionné. Mais il a aussi développé un rapport d’hyper-contrôle sur son film : rien ne lui échappe, image par image ! Ou presque : la voix des personnages, les bruitages, la musique, font partie des choses sur lesquelles il ou elle est obligé de lâcher prise, parce qu’il maîtrise moins bien que l’image. Il faut donc savoir rassurer, mettre en confiance, pour faire accepter ce lâcher-prise. Mais ils ont aussi souvent des idées très fortes. Je continue d’apprendre au contact des réalisateurs, y compris des plus jeunes.

Est-ce qu’il est différent de travailler pour un film d’étudiant et un film pro ?

Non, il n’y a que les moyens qui changent. L’exigence est devenue très élevée pour les films d’étudiants, à cause de leur importance pour l’entrée dans le monde professionnel, et de l’effet « sélection en festival ». Presque trop à mon goût : c’est, parfois, au détriment de la créativité.

J’aimerais parler des trois films du programme « Grands-Petits » qui sont chacun lié à une économie particulière : un film d’étudiant, un premier film professionnel et une série TV…

Commençons par « Le vélo de l’éléphant », premier film professionnel d’Olesya Shchukina.

Je connaissais déjà bien Olesya, j’avais travaillé sur ses deux films de La Poudrière : Les Talons rouges et Mal de TerreJ’étais déjà totalement amoureux du travail et de l’univers de cette jeune femme, et j’avais déjà une petite idée de ce qu’elle attendait de notre collaboration. Ça n’a pas empêché que lorsque je lui ai envoyé une première proposition, ce n’était pas ça, elle souhaitait quelque chose de plus rythmé. Bon, le deuxième essai a été le bon ! J’ai travaillé avec plusieurs réalisateurs d’origine russe, ils ont une vraie culture de l’animation. Ils utilisent le son de manière percussive, très musicale, rythmique, avec des silences. Quand on travaille pour eux, retenir ses notes et ses envies de notes est essentiel. Quand il y a de la musique, elle est très présente, ce n’est pas un « tapis ». En fait je crois qu’ils ont un sens inné du burlesque. Or le burlesque cinématographique est né silencieux, je parle de Chaplin, Keaton… La musique et le son doivent-ils se faire remarquer dans un film ? Cette question soulève un vrai débat esthétique. Moi, j’aime quand ils se remarquent, mais quelquefois ça n’est pas justifié.

Et « Deux amis », film de fin d’étude de Natalia Chernysheva…

Je ne la connaissais pas quand on a travaillé ensemble. Mais bien qu’elle soit russe elle aussi, on a eu des problèmes de communication ! Au début je ne devais faire que le mixage, mais j’ai finalement dû refaire pas mal de bruitages, et adapter un de mes morceaux de musique pour la seule plage musicale du film. Franchement, je n’étais pas convaincu, et le temps nous a manqué ! Au final, on a un résultat très chouette, mais la création s’est faite un peu dans la douleur.

Et « L’homme le plus petit du monde », série TV de Juan Pablo Zaramella…

J’avais rencontré Juan Pablo à Buenos Aires (il est Argentin), on avait passé une bonne soirée ensemble. On s’est croisé plus tard au festival d’Annecy. Peu après, il m’appelle pour me proposer de faire la musique de sa série coproduite en France. Sa demande était très précise, il voulait le même morceau sur tous les épisodes, et m’a donné en référence un morceau d’orgue de Nino Rota, un morceau un peu kitch, mais bon, Nino Rota quand même ! Le temps passe, et rien ne me vient… La trouille de devoir faire mieux ! La veille du rendez-vous, j’écris deux ritournelles avec un son d’orgue rétro tout pourri. Je joue la première à Juan Pablo, il dit « nice, nice », genre « mouais…», avec son accent argentin.  Je passe à la deuxième, j’entends « That’s it !! Do not change anything !». Et voilà, j’ai fait quelques petites déclinaisons contextuelles de la musique pour certains épisodes. Puis j’ai prêté ma voix au Petit Homme, en en changeant la hauteur, j’ai fait aussi tous les bruitages. Il n’y a que le mixage qui a été fait par quelqu’un d’autre.

Le "Petit Homme" chef d'orchestre...

Le « Petit Homme » chef d’orchestre…

Entre la musique acoustique et la musique électronique ton coeur balance ?

Yan me montre un échantillon des instruments qui se trouvent dans son studio : piano, guitares, banjo, domra, ukulélé, bouzouki, multiples percussions, jouets d’enfants …

Je mélange toujours les deux. Je suis un enfant de l’audio-numérique, j’ai commencé ce métier avec l’ordinateur. Je ne suis pas un musicien « électro », ma musique ne sonne pas « électro », mais j’utilise les mêmes outils. J’ai besoin de sonorités acoustiques, c’est la matière que je retravaille avec l’ordinateur. Pour cela, j’enregistre souvent chaque instrument séparément, ce qui me permet ensuite de modifier, découper, recaler… Dans notre jargon je fais du « re-re » (re-recording). Par exemple, pour « Le vélo de l’éléphant », j’ai joué le piano et les sons synthétiques sur ordinateur,  puis je suis allé en studio pour enregistrer séparément un batteur, un trompettiste et une violoncelliste. C’est donc « acoustique », mais ce n’est pas « live », au sens où personne n’a joué en même temps, où il n’y a pas d’orchestre. Je travaille le plus souvent ainsi.

Lors du dernier festival de l’AFCA, tu as présenté avec trois musiciens complices un ciné-concert lié aux trois premières saisons d’« En sortant de l’école » … Peux-tu nous dire comment ce projet a vu le jour ?

Plusieurs éléments ont été déclencheurs, tout d’abord mon envie de refaire du live. A 47 ans je suis à nouveau à l’école, je prends des cours de piano, de percussion et de chant dans une école de jazz. Ça m’a redonné l’envie de jouer sur scène. Mais surtout j’ai eu un jour un appel de Mohamed Beyoud, le directeur artistique du FICAM de Meknès. Il se demandait si j’avais un ciné-concert à lui recommander pour son festival. Avant de raccrocher, il m’a dit que si un jour je faisais un ciné-concert, il serait intéressé…J’avais travaillé avec trois autres compositeurs à deux saisons d’« En sortant de l’école », pour lesquelles nous avions fait une résidence commune pour l’enregistrement des musiques. A nous quatre, nous formions un vrai petit orchestre. Il y avait une très bonne entente entre nous.  Alors je leur ai proposé de nous lancer dans ce projet de ciné-concert. Finalement, la première ne s’est pas faite à Meknès au Maroc, mais à Bruz en France avec l’AFCA.

Pour terminer, rêves-tu de t’évader des travaux de commande ?

Il n’y a pas de création sans contrainte et c’est pour moi un immense confort et une immense joie de travailler avec les contraintes de l’image. Donc a priori je n’éprouve pas ce besoin.                                                                                                                       Mais il y a des occasions : avec le compositeur Pablo Pico nous travaillons sur la série « La Cabane à Histoires » de Célia Rivière qui nous donne beaucoup d’autonomie.     

« La Cabane à Histoires » de Célia Rivière, 2016

« La Cabane à Histoires » de Célia Rivière, 2016

Nous partons des albums jeunesse pour faire une proposition musicale à Célia. La musique n’est pas liée au timing de la future image. La réalisatrice s’appuie sur elle pour  monter les épisodes. C’est  finalement assez proche de la démarche qu’avait développée Disney : la musique était créée en premier, les images animées dessusJ’ai aussi eu l’occasion d’écrire un album instrumental ,« Miniatures », qui propose aussi des musiques préexistantes aux images, et qui sert pour des productions audiovisuelles. Et puis j’ai déjà eu l’occasion de composer pour la chanson, dans le droit fil de mes petites ritournelles, et j’espère bien avoir l’occasion de creuser un peu plus de ce côté là !