Il y a des films qui vous font une impression durable. Ce fut le cas du premier court métrage professionnel réalisé par la talentueuse Olesya Shchukina, « Le vélo de l’éléphant ». Comment ne pas être touché par ce personnage à l’énergie incroyable qui s’enferme entre ses quatre murs lorsque l’objet de tous ses désirs ne lui correspond pas ? Le nouveau programme « Les animaux en folie » présenté lors du dernier festival « Image par image » » du Val d’Oise me donne l’occasion de découvrir un nouveau court métrage d’Olesya Shchukina, « La Luge ». Minimaliste, il met en scène un petit écureuil qui nous transmet sa curiosité et son élan face à l’inconnu. Il ne m’en fallait pas plus pour avoir très envie de rencontrer celle qui insuffle aussi bien la vie à ses personnages de fiction.
Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je suis réalisatrice et illustratrice, le plus souvent pour des projets à destination des enfants.
Qu’est-ce qui a été le plus formateur pour toi dans ton enfance ?
J’ai eu la chance que mes parents m’emmènent dans des musées tous les week-end. J’habitais à Saint-Pétersbourg, j’allais très souvent à l’Hermitage. Je me sens chez moi dans les musées. Je pense que c’est une des raisons de mon installation à Paris, les occasions de voir des expositions ne manquent pas.
Une image qui t’accompagne …
Un paysage vide avec la mer. C’est là où j’ai grandi. J’aime toujours les mers froides, pas pour me baigner mais pour me promener. C’est ce qui me manque à Paris, il n’y a pas de mer.
Comment t’es-tu intéressée au cinéma d’animation ?
J’ai toujours regardé des courts métrages d’animation à la télévision. C’est par mon petit frère que j’ai eu envie d’en faire. C’est lui le premier qui a acheté un logiciel pour faire des films d’animation et moi je l’aidais dans ses projets. A 17 ans, je me suis cassée la jambe lors d’une séance de ski avec l’école, j’ai été immobilisée pendant deux mois à la maison. Je m’ennuyais ferme, je me suis mise à faire des petites animations personnelles de quelques secondes. Au début je voulais être architecte, je ne pensais pas qu’on pouvait faire des études dans le cinéma d’animation. Je me suis présentée à l’université dans ces deux domaines. J’ai été prise dans le cinéma. J’avais utilisé les petits films réalisés lors de mon immobilisation pour créer mon portfolio.
Avant de parler de ta formation à l’université, j’aimerais savoir quels sont les films qui ont marqué ton enfance.
Les films soviétiques qui passaient à la télévision ; Les épisodes de « Winnie l’ourson » de Fiodor Khitruk, les adaptations du « Livre de la Jungle » par Roman Davydov. J’aimais aussi les séries américaines comme « Les Simpson » ou la série japonaise « Sailor Moon ».
Tu intègres donc l’université du cinéma et de la télévision de Saint Pétersbourg en 2009, qu’est-ce qui a été important dans la formation que tu y as reçu ?
J’ai eu la chance d’avoir de très bons profs. Je pense aux deux réalisateurs russes, Konstantin Bronzit et Dmitry Vysotsiy. Ce sont deux réalisateurs expérimentés qui sont dans la pratique, ils ne sont pas seulement théoriciens. Ils nous ont accompagnés dans nos projets. Ils sont honnêtes, ils disent les choses quand ça ne va pas, ils ont un regard pointu, chaque détail compte. J’ai suivi aussi des cours de théâtre avec la méthode Stanislavsky. Nous travaillions à partir d’extraits de Tchekhov étant à tour de rôle metteur en scène ou comédien. J’ai appris que l’acting des personnages vient de l’émotion. J’ai eu aussi des cours sur l’histoire du cinéma. J’ai regardé beaucoup de films sur des cassettes VHS. Les conditions de projection n’étaient pas superbes mais j’ai été marquée par des films comme « Les nuits de Cabiria » de Fellini, « Citizen Kane » d’Orson Welles, « Le cabinet du docteur Caligari » de Robert Wiene. Les films muets de Chaplin et de Keaton ont été aussi très importants.
Sur ta chaîne Vimeo on peut voir un de tes premiers film Bouillie de semoule, tu peux nous en parler ?
J’ai fait ce film quand j’étais à l’université mais sans en parler aux profs. Il faut dire qu’à l’université on n’avait pas de lieu pour travailler nos projets. On faisait tout à l’extérieur et on montrait seulement l’avancée de notre travail aux profs. Là, je n’ai rien dit avant de montrer le film terminé. Il est plein de défauts mais j’avais envie de suivre mes idées sans interférence. Les profs m’ont encouragé quand ils l’ont découvert. Il a été sélectionné au festival Krok. Cette participation a été très importante pour moi, j’ai vu plein de courts métrages qui m’ont confirmé que je voulais travailler dans ce domaine. J’y ai surtout rencontré Benjamin Renner qui venait présenter son film de fin d’étude La queue de la souris. C’est lui qui m’a parlé de l’école de la Poudrière. Au final c’est grâce à Bouillie de semoule que je suis là !
Tu intègres l’école de la Poudrière juste après l’université ?
Non, pendant un an, j’ai travaillé en freelance à Saint-Pétersbourg dans le domaine de l’illustration et de l’animation. J’ai déposé un dossier à la Poudrière avec un portfolio et une lettre de motivation. J’ai été chanceuse, j’ai été prise. Les promos sont composées d’une dizaine d’étudiants, deux promos se côtoient à la Poudrière. Nous sommes peu nombreux. La particularité de cette école est que la théorie est au service de la pratique. Tous les profs sont des professionnels. Le travail en commun est essentiel, les portes ne sont jamais fermées, on regarde comment les copains travaillent, comment ils résolvent des problèmes que l’on rencontre aussi.
Des profs t’ont marquée ?
Oui, j’aime beaucoup l’univers graphique de Carles Porta, c’est un illustrateur et animateur espagnol. Il a une approche douce, non envahissante. Il nous a accompagnés pendant une semaine afin de réaliser la bande annonce pour l’édition 2012 de Cartoon Movie.
Nous avons aussi eu un atelier d’une semaine avec Piotr Dumala, c’est un réalisateur et animateur polonais. Tous ces films sont différents. On a travaillé avec lui au banc titre. C’est à la Poudrière que j’ai commencé à faire du papier découpé.
Justement mis à part Bouillie de semoule réalisé en pixilation, tes autres films sont réalisés en animation 2D numérique ou avec la technique traditionnelle du papier découpé. Comment choisis-tu ta technique ?
Même quand je travaille sur ordinateur, je traite mon image comme du papier découpé. C’est une technique qui correspond au style de mes personnages. J’anime bien les éléments plats et géométriques. J’aime affronter les contraintes liées à cette technique.
Tu peux nous en dire plus ?
Travailler à plat ne permet pas de jouer avec la perspective. Par exemple, il est impossible de faire venir les personnages du fond de l’image. On doit sans cesse inventer : comment dire la même chose mais différemment.
Tu as réalisé ton premier film professionnel, Le vélo de l’éléphant avec les studios Folimage. Comment s’est passé votre collaboration ?
Nous étions voisins. Je suis allée déposer un dossier avec le projet du film. Il cherchait à ce moment des films pour composer un programme de courts métrages à destination des enfants, Folimômes. A partir du synopsis et d’un bout du storyboard, mon projet a été accepté. A l’origine, je n’avais pas pensé faire un film pour les enfants. L’idée de ce film vient de loin, je l’avais en tête avant la Poudrière. En Russie, je l’aurais réalisé en animation 2D numérique. C’est après la Poudrière que j’ai eu envie de le faire en papiers découpés.
C’est très agréable de travailler avec du papier, c’est très tactile. Le réalisateur russe, Yuri Norstein, utilise cette technique mais ça ne se voit pas, on a l’impression que c’est du dessin animé. Ma manière de travailler est plus visible. J’aime quand le spectateur se rend compte que c’est fictif mais qu’il l’oublie peu à peu quand il entre dans l’histoire. J’aime aussi que chaque spectateur participe au film avec son imagination. L’artiste lettone Signe Baumane qui a réalisé le film Rocks in my pockets m’a dit après avoir vu Le vélo de l’éléphant que j’avais réussi à parler aux enfants de cette maladie grave qu’est la dépression.
Et pour ton court métrage La luge qui est présent dans le programme Les animaux en folie ?
Pour la luge c’est un choix déterminé d’utiliser l’animation 2D numérique. Tout est parti d’une carte postale que j’avais créée auparavant. J’aime, entre deux projets d’animation, faire des illustrations. Ça me repose, on a un résultat plus rapide. J’aime aussi m’exprimer avec une seule image.
J’avais créé cette carte pour mes amis à l’occasion des fêtes de fin d’année. J’ai utilisé le Risographe pour la fabriquer. C’est une machine qui permet une technique de reproduction par pochoir. Beaucoup d’illustrateurs l’utilisent. On imprime les couleurs les unes après les autres. J’ai travaillé uniquement avec du bleu et du rouge. Le blanc est celui du papier, le noir est réalisé en mélangeant le bleu et le rouge. Le directeur artistique du studio russe Soyuzmultfilm a vu la carte sur ma page Facebook. Il connaissait Le vélo de l’éléphant, il m’a contacté et m’a demandé de faire un film à partir de cette image. J’ai aimé travailler sur cet univers minimaliste. Les idées de mes scénarios arrivent souvent comme ça : j’ai une image en tête et j’essaie de voir ce qu’il y a avant et après. La luge s’inscrit dans une collection qui existe depuis la fin des années 60, Vesyolaya Karusel qu’on peut traduire par Le carrousel amusant. Cette collection a été créée par Anatoly Petrov et Galina Barinova pour le studio Soyuzmultfilm. Elle met en valeur des courts métrages expérimentaux de jeunes réalisateurs. Le film n’a pas été réalisé dans les murs du studio qui est à Moscou, l’essentiel de l’animation a été faite à Paris par Chenghua Yang qui est une amie.
Quelle importance donnes-tu à la musique dans tes films ?
Le son et en particulier la musique sont très importants pour moi. C’est ce que j’ai le plus de mal à gérer dans mes films. C’est un autre artiste qui intervient alors. Je ne peux pas être autoritaire à 100 %, je dois le guider mais aussi lui laisser une marge de liberté. Yan Volsy intervient à la Poudrière. Il m’a proposé de faire la musique de mon premier court Les talons rouges.
Nous avons aimé travailler ensemble, et grâce à cette première collaboration, il m’a accompagné sur Mal de terre et Le vélo de l’éléphant. On a une bonne entente, Yann a une vision globale du film. Il comprend ce que je veux tout en me faisant des propositions. Pour lui comme pour moi, la musique n’est pas une illustration, elle participe pleinement à la dramaturgie.
Pour La luge tu as collaboré avec le musicien Lev Slepner.
Oui, c’est moi qui l’aie choisi. J’adore les films qu’il a fait avec Yulia Aronova. Lorsque j’ai composé l’animatique, j’avais en tête des références musicales : Pierre et le loup de Prokofiev et une musique de Rachmaninov. Il m’a proposé une musique dans cet esprit. Lev ne travaille pas de la même manière que Yann. Yann compose et montre une maquette avec la mélodie et aussi les instruments en lien avec les images. Lev lui conçoit les mélodies en écrivant une partition. Je lui ai fait confiance car ses propositions étaient abstraites pour moi. La musique finale je l’ai découverte quand c’était enregistré et fini.
Tu as aussi réalisé la bande annonce très dynamique du festival « image par image » du Val d’Oise.
J’aime bien les projets de commande. Tu peux tester des choses dans ce contexte et Yves Bouveret m’a donné carte blanche. Pour le montage dynamique j’avais en tête des jeux vidéos comme Mario et aussi des séries télévisées. L’idée était de proposer un voyage en quelques secondes. Je suis partie de l’image des trois montagnes qui chantent.
Yves m’ a demandé d’ajouter un animal pour faire un lien avec le programme des Animaux en folie. J’ai choisi le chat. C’est pour moi comme un voyage à travers la nuit pour que le matin puisse arriver.
Tu travailles aussi pour des films qui ne sont pas les tiens…Je pense à Ma vie de courgette de Claude Barras ou la série Mirou, Mirou de Haruna Kishi et Mathilde Maraninchi. Qu’est-ce que ces collaborations t’apportent ?
J’ai adoré le trailer de Ma vie de courgette de Claude Barras. J’avais envie de participer à cette aventure. Cécile Milazzo qui a fait la Poudrière un an avant moi a été nommée responsable de la peinture et des décors. Elle m’a proposé de rentrer dans son équipe. J’ai été sa petite main. Claude Barras m’a aussi confié la réalisation des dessins d’enfants dont ceux de Courgette. J’ai travaillé alors comme illustrateur, j’ai fait tous les posters que l’on voit sur les murs, le tableau de la météo des enfants, la typographie…
Pour Mirou, Mirou, j’étais aussi dans l’équipe décors, nous développions l’univers graphique de Haruna Kishi. C’était très intéressant de voir de l’intérieur comment fonctionne la production d’une série.
J’ai vu sur internet que tu avais aussi donné des cours en Arménie avec l’école Tumo.
J’aime bien faire des ateliers de temps en temps. Ça me permet de structurer des choses. Les résultats sont souvent surprenants. J’ai travaillé cet été deux semaines avec des adolescents en Arménie. C’est un centre qui a été créé pour des jeunes de 12 à 18 ans. Les activités sont gratuites et les adolescents ont à leur disposition du matériel professionnel. Chacun a fait un petit film pour illustrer des expressions de base en arménien comme dire bonjour ou demander le prix de quelque chose…
Pour finir, une question traditionnelle, sur quoi travailles-tu actuellement ?
Je travaille beaucoup pour des sites internet en Russie comme Chevostik, qui est une encyclopédie multimédia pour les enfants. Je fais des illustrations et des mini animations. Je suis aussi sur un projet de long métrage qui s’appelle Le Noël des animaux produit par la société Les Valseurs. Le film est organisé en 5 chapitres, chaque chapitre est sous la responsabilité d’une réalisatrice différente.