Olesya Shchukina, illustratrice et cinéaste d’animation

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Il y a des films qui vous font une impression durable. Ce fut le cas du premier court métrage professionnel réalisé par la talentueuse Olesya Shchukina, « Le vélo de l’éléphant ». Comment ne pas être touché par ce personnage à l’énergie incroyable qui s’enferme entre ses quatre murs lorsque l’objet de tous ses désirs ne lui correspond pas ? Le nouveau programme    « Les animaux en folie » présenté lors du dernier festival « Image par image » » du Val d’Oise me donne l’occasion de découvrir un nouveau court métrage d’Olesya Shchukina, « La Luge ». Minimaliste, il met en scène un petit écureuil qui nous transmet sa curiosité et son élan face à l’inconnu. Il ne m’en fallait pas plus pour avoir très envie de rencontrer celle qui insuffle aussi bien la vie à ses personnages de fiction.

Peux-tu te présenter en quelques mots ?

Je suis réalisatrice et illustratrice, le plus souvent pour des projets à destination des enfants.

 Qu’est-ce qui a été le plus formateur pour toi dans ton enfance ?

J’ai eu la chance que mes parents m’emmènent dans des musées tous les week-end.  J’habitais à Saint-Pétersbourg, j’allais très souvent à l’Hermitage. Je me sens chez moi dans les musées. Je pense que c’est une des raisons de mon installation à Paris, les occasions de voir des expositions ne manquent pas.

Une image qui t’accompagne …

Un paysage vide avec la mer. C’est là où j’ai grandi. J’aime toujours les mers froides, pas pour me baigner mais pour me promener. C’est ce qui me manque à Paris, il n’y a pas de mer.

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http://femmesdanim.fr/fiche/54/Shchukina-Olesya

Comment t’es-tu intéressée au cinéma d’animation ?

J’ai toujours regardé des courts métrages d’animation à la télévision. C’est par mon petit frère que j’ai eu envie d’en faire. C’est lui le premier qui a acheté un logiciel pour faire des films d’animation et moi je l’aidais dans ses projets.  A 17 ans, je me suis cassée la jambe lors d’une séance de ski avec l’école, j’ai été immobilisée pendant deux mois à la maison. Je m’ennuyais ferme, je me suis mise à faire des petites animations personnelles de quelques secondes. Au début je voulais être architecte, je ne pensais pas qu’on pouvait faire des études dans le cinéma d’animation. Je me suis présentée à l’université dans ces deux domaines. J’ai été prise dans le cinéma. J’avais utilisé les petits films réalisés lors de mon immobilisation pour créer mon portfolio.

Avant de parler de ta formation à l’université, j’aimerais savoir quels sont les films qui ont marqué ton enfance.

Les films soviétiques qui passaient à la télévision ; Les épisodes de « Winnie l’ourson » de Fiodor Khitruk, les adaptations du « Livre de la Jungle » par Roman Davydov. J’aimais aussi les séries américaines comme « Les Simpson » ou la série japonaise « Sailor Moon ».

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Mowgli, Roman Davidov, 1973

Tu intègres donc l’université du cinéma et de la télévision de Saint Pétersbourg en 2009, qu’est-ce qui a été important dans la formation que tu y as reçu ?

J’ai eu la chance d’avoir de très bons profs. Je pense aux deux réalisateurs russes, Konstantin Bronzit et Dmitry Vysotsiy. Ce sont deux réalisateurs expérimentés qui sont dans la pratique, ils ne sont pas seulement théoriciens. Ils nous ont accompagnés dans nos projets. Ils sont honnêtes, ils disent les choses quand ça ne va pas, ils ont un regard pointu, chaque détail compte. J’ai suivi aussi des cours de théâtre avec la méthode Stanislavsky. Nous travaillions à partir d’extraits de Tchekhov étant à tour de rôle metteur en scène ou comédien. J’ai appris que l’acting des personnages vient de l’émotion. J’ai eu aussi des cours sur l’histoire du cinéma. J’ai regardé beaucoup de films sur des cassettes VHS. Les conditions de projection n’étaient pas superbes mais j’ai été marquée par des films comme « Les nuits de Cabiria » de Fellini, « Citizen Kane » d’Orson Welles, « Le cabinet du docteur Caligari » de Robert Wiene. Les films muets de Chaplin et de Keaton ont été aussi très importants.

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Giulietta Masina dans Les nuits de Cabiria de Fellini, 1957

Sur ta chaîne Vimeo on peut voir un de tes premiers film Bouillie de semoule, tu peux nous en parler ?

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Mannaya kasha (bouillie de semoule), 2007

  J’ai fait ce film quand j’étais à l’université mais sans en parler aux profs. Il faut dire qu’à l’université on n’avait pas de lieu pour travailler nos projets. On faisait tout à l’extérieur et on montrait seulement l’avancée de notre travail aux profs. Là, je n’ai rien dit avant de montrer le film terminé. Il est plein de défauts mais j’avais envie de suivre mes idées sans interférence. Les profs m’ont encouragé quand ils l’ont découvert. Il a été sélectionné au festival Krok. Cette participation a été très importante pour moi, j’ai vu plein de courts métrages qui m’ont confirmé que je voulais travailler dans ce domaine. J’y ai surtout rencontré Benjamin Renner qui venait présenter son film de fin d’étude La queue de la souris. C’est lui qui m’a parlé de l’école de la Poudrière. Au final c’est grâce à Bouillie de semoule que je suis là !

Tu intègres l’école de la Poudrière juste après l’université ?

Non, pendant un an, j’ai travaillé en freelance à Saint-Pétersbourg dans le domaine de l’illustration et de l’animation. J’ai déposé un dossier à la Poudrière avec un portfolio et une lettre de motivation. J’ai été chanceuse, j’ai été prise. Les promos sont composées d’une dizaine d’étudiants, deux promos se côtoient à la Poudrière. Nous sommes peu nombreux. La particularité de cette école est que la théorie est au service de la pratique. Tous les profs sont des professionnels. Le travail en commun est essentiel, les portes ne sont jamais fermées, on regarde comment les copains travaillent, comment ils résolvent des problèmes que l’on rencontre aussi.

Des profs t’ont marquée ?

Oui, j’aime beaucoup l’univers graphique de Carles Porta, c’est un illustrateur et animateur espagnol. Il a une approche douce, non envahissante. Il nous a accompagnés pendant une semaine afin de réaliser la bande annonce pour l’édition 2012 de Cartoon Movie.

séance de travail à la Poudrière,Carles Porta, 2012

Photo prise lors d’une séance de travail avec Carles Porta, 2012

Nous avons aussi eu un atelier d’une semaine avec Piotr Dumala, c’est un réalisateur et animateur polonais. Tous ces films sont différents. On a travaillé avec lui au banc titre. C’est à la Poudrière que j’ai commencé à faire du papier découpé.

Justement mis à part Bouillie de semoule réalisé en pixilation, tes autres films sont réalisés en animation 2D numérique ou avec la technique traditionnelle du papier découpé. Comment choisis-tu ta technique ? 

Même quand je travaille sur ordinateur, je traite mon image comme du papier découpé. C’est une technique qui correspond au style de mes personnages. J’anime bien les éléments plats et géométriques. J’aime affronter les contraintes liées à cette technique.

Tu peux nous en dire plus ?

Travailler à plat ne permet pas de jouer avec la perspective. Par exemple, il est impossible de faire venir les personnages du fond de l’image. On doit sans cesse inventer : comment dire la même chose mais différemment.

 Tu as réalisé ton premier film professionnel, Le vélo de l’éléphant avec les studios Folimage. Comment s’est passé votre collaboration ?

Nous étions voisins. Je suis allée déposer un dossier avec le projet du film. Il cherchait à ce moment des films pour composer un programme de courts métrages à destination des enfants, Folimômes. A partir du synopsis et d’un bout du storyboard, mon projet a été accepté. A l’origine, je n’avais pas pensé faire un film pour les enfants. L’idée de ce film vient de loin, je l’avais en tête avant la Poudrière. En Russie, je l’aurais réalisé en animation 2D numérique. C’est après la Poudrière que j’ai eu envie de le faire en papiers découpés.

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Photo du making-of du « Vélo de l’éléphant »

C’est très agréable de travailler avec du papier, c’est très tactile. Le réalisateur russe, Yuri Norstein, utilise cette technique mais ça ne se voit pas, on a l’impression que c’est du dessin animé. Ma manière de travailler est plus visible. J’aime quand le spectateur se rend compte que c’est fictif mais qu’il l’oublie peu à peu quand il entre dans l’histoire. J’aime aussi que chaque spectateur participe au film avec son imagination. L’artiste lettone Signe Baumane qui a réalisé le film Rocks in my pockets m’a dit après avoir vu Le vélo de l’éléphant que j’avais réussi à parler aux enfants de cette maladie grave qu’est la dépression.

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Rocks in my pockets, Signe Baumane, 2014

Et pour ton court métrage La luge qui est présent dans le programme Les animaux en folie ?

Pour la luge c’est un choix déterminé d’utiliser l’animation 2D numérique. Tout est parti d’une carte postale que j’avais créée auparavant. J’aime, entre deux projets d’animation, faire des illustrations. Ça me repose, on a un résultat plus rapide. J’aime aussi m’exprimer avec une seule image.SLED_02

J’avais créé cette carte pour mes amis à l’occasion des fêtes de fin d’année. J’ai utilisé le Risographe pour la fabriquer. C’est une machine qui permet une technique de reproduction par pochoir. Beaucoup d’illustrateurs l’utilisent. On imprime les couleurs les unes après les autres. J’ai travaillé uniquement avec du bleu et du rouge. Le blanc est celui du papier, le noir est réalisé en mélangeant le bleu et le rouge. Le directeur artistique du studio russe Soyuzmultfilm a vu la carte sur ma page Facebook. Il connaissait Le vélo de l’éléphant, il m’a contacté et m’a demandé de faire un film à partir de cette image. J’ai aimé travailler sur cet univers minimaliste. Les idées de mes scénarios arrivent souvent comme ça : j’ai une image en tête et j’essaie de voir ce qu’il y a avant et après. La luge s’inscrit dans une collection qui existe depuis la fin des années 60, Vesyolaya Karusel qu’on peut traduire par Le carrousel amusant. Cette collection a été créée par Anatoly Petrov et Galina Barinova pour le studio Soyuzmultfilm. Elle met en valeur des courts métrages expérimentaux de jeunes réalisateurs. Le film n’a pas été réalisé dans les murs du studio qui est à Moscou, l’essentiel de l’animation a été faite à Paris par Chenghua Yang qui est une amie.

Quelle importance donnes-tu à la musique dans tes films ?

Le son et en particulier la musique sont très importants pour moi. C’est ce que j’ai le plus de mal à gérer dans mes films. C’est un autre artiste qui intervient alors. Je ne peux pas être autoritaire à 100 %, je dois le guider mais aussi lui laisser une marge de liberté.                  Yan Volsy  intervient à la Poudrière. Il m’a proposé de faire la musique de mon premier court Les talons rouges.

Nous avons aimé travailler ensemble, et grâce à cette première collaboration, il m’a accompagné sur Mal de terre et Le vélo de l’éléphant. On a une bonne entente, Yann a une vision globale du film. Il comprend ce que je veux tout en me faisant des propositions. Pour lui comme pour moi, la musique n’est pas une illustration, elle participe pleinement à la dramaturgie.

Pour La luge tu as collaboré avec le musicien Lev Slepner.

Oui, c’est moi qui l’aie choisi. J’adore les films qu’il a fait avec Yulia Aronova. Lorsque j’ai composé l’animatique, j’avais en tête des références musicales : Pierre et le loup de Prokofiev et une musique de Rachmaninov. Il m’a proposé une musique dans cet esprit. Lev ne travaille pas de la même manière que Yann. Yann compose et montre une maquette avec la mélodie et aussi les instruments en lien avec les images. Lev lui conçoit les mélodies en écrivant une partition. Je lui ai fait confiance car ses propositions étaient abstraites pour moi.  La musique finale je l’ai découverte quand c’était enregistré et fini.

Tu as aussi réalisé la bande annonce très dynamique du festival « image par image » du Val d’Oise.

J’aime bien les projets de commande. Tu peux tester des choses dans ce contexte et Yves Bouveret m’a donné carte blanche. Pour le montage dynamique j’avais en tête des jeux vidéos comme Mario et aussi des séries télévisées. L’idée était de proposer un voyage en quelques secondes. Je suis partie de l’image des trois montagnes qui chantent.

Yves m’ a demandé d’ajouter un animal pour faire un lien avec le programme des Animaux en folie. J’ai choisi le chat. C’est pour moi comme un voyage à travers la nuit pour que le matin puisse arriver.

Tu travailles aussi pour des films qui ne sont pas les tiens…Je pense à Ma vie de courgette de Claude Barras ou la série Mirou, Mirou de Haruna Kishi et Mathilde Maraninchi. Qu’est-ce que ces collaborations t’apportent ?

J’ai adoré le trailer de Ma vie de courgette de Claude Barras. J’avais envie de participer à cette aventure. Cécile Milazzo qui a fait la Poudrière un an avant moi a été nommée responsable de la peinture et des décors. Elle m’a proposé de rentrer dans son équipe. J’ai été sa petite main. Claude Barras m’a aussi confié la réalisation des dessins d’enfants dont ceux de Courgette. J’ai travaillé alors comme illustrateur, j’ai fait tous les posters que l’on voit sur les murs, le tableau de la météo des enfants, la typographie…

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« Ma vie de Courgette » , Claude Barras, 2016

Pour Mirou, Mirou, j’étais aussi dans l’équipe décors, nous développions l’univers graphique de Haruna Kishi. C’était très intéressant de voir de l’intérieur comment fonctionne la production d’une série.

J’ai vu sur internet que tu avais aussi donné des cours en Arménie avec l’école Tumo.

J’aime bien faire des ateliers de temps en temps. Ça me permet de structurer des choses. Les résultats sont souvent surprenants. J’ai travaillé cet été deux semaines avec des adolescents en Arménie. C’est un centre qui a été créé pour des jeunes de 12 à 18 ans. Les activités sont gratuites et les adolescents ont à leur disposition du matériel professionnel. Chacun a fait un petit film pour illustrer des expressions de base en arménien comme dire bonjour ou demander le prix de quelque chose

Pour finir, une question traditionnelle, sur quoi travailles-tu actuellement ?

Je travaille beaucoup pour des sites internet en Russie comme Chevostik, qui est une encyclopédie multimédia pour les enfants. Je fais des illustrations et des mini animations.        Je suis aussi sur un projet de long métrage qui s’appelle Le Noël des animaux produit par la société Les Valseurs. Le film est organisé en 5 chapitres, chaque chapitre est sous la responsabilité d’une réalisatrice différente.

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Le dernier arbre de Noël, Olesya Shchukina, en fabrication

Yulia Aronova, artiste et réalisatrice

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Photogramme du court métrage du festival « Image par image » 2017

Chaque année, le festival Image par Image invite un réalisateur à concevoir sa bande annonce et son affiche. C’est l’artiste russe, Yulia Aronova, qui a relevé ce défi pour l’édition 2017. Nous sommes véritablement saisis par la richesse de sa proposition. En moins d’une minute, une ferme-cinéma se crée sous nos yeux. C’est drôle et émouvant à la fois. Ce petit bijou animé qui ouvrira toutes les séances du festival célèbre le cinéma et l’intelligence des spectateurs.                                                                                                        Spectateurs qui pourront aussi découvrir dans le programme spécial du festival « Grand-Petit et petits-grands » son dernier court-métrage produit lors d’une résidence au studio Folimage, « One, two, tree… ». Ça pulse aussi !

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Je me définis plus comme une artiste que comme une réalisatrice. Même si j’adore raconter des histoires je n’ai pas l’assurance absolue d’être une bonne réalisatrice. Par contre je dessine depuis toujours et le style graphique est très important pour moi. C’est comme une signature. Je me sens à l’aise avec le « comment faire » alors que le « quoi dire » me pose toujours problème…

Qu’est-ce qui a été le plus formateur pour vous dans votre enfance ?

J’ai grandi dans une famille de médecins. Dès trois ans j’ai commencé à dessiner. J’étais souvent seule avec mes dessins. Je me créais un monde imaginaire. Mon père aurait voulu que je devienne dentiste mais il ne m’a pas empêchée de choisir une formation artistique. C’est après l’enfance, dans mon école d’art, que j’ai rencontré des professeurs qui ont été importants pour moi.

Une image qui vous accompagne…

Je change tous les jours… Aujourd’hui c’est le tableau qui est derrière vous, je suis fascinée par cette forme rouge. Hier c’était un portrait… Une photo de famille prise par mon père lorsque j’avais six ans est importante pour moi. Mon père m’a photographié avec ma soeur ainée et ma mère au bord de la mer. Chacune de nous trois a pris une pose différente qui représente son caractère. (Faute de voir la photo, Yulia me mime les trois poses, c’est très drôle ! Yulia a aussi des talents d’actrice !) Presque trente ans après nous avons refait cette photo en Inde en répétant les gestes de la photographie initiale.

Pouvez-vous nous parler de votre formation artistique ?

A l’adolescence j’ai intégré l’Institut National de la Cinématographie à Moscou (VGIK). J’ai choisi la section « cinéma de fiction » parce que c’était prestigieux. (Eclats de rire) Lorsque je me suis retrouvée seule sur un grand plateau avec des techniciens à diriger, j’ai vite compris que ça n’était pas pour moi. (Yulia mime alors un « technicien russe ». Hilarant ! J’aurais dû avoir une caméra avec moi !). J’ai échangé ma place avec un étudiant qui était dans la section « cinéma d’animation ». J’ai trouvé alors un monde dont l’échelle me correspondait mieux.

Connaissiez-vous alors le monde de l’animation ?

Non pas du tout. Ma seule référence était Wallace et Gromit. Je suis tombée amoureuse du cinéma d’animation en le faisant. A l’école on dessinait beaucoup, presque toute la journée ! J’ai fait mon premier film clandestinement dans un petit souterrain sous l’école avec un copain comme opérateur. Il racontait l’histoire d’un éléphant et d’un chien. Mes acteurs étaient des marionnettes. On l’a tourné avec une caméra argentique. On n’avait pas de retour sur l’animation avant de développer la pellicule. Le mouvement est très saccadé mais je garde précieusement ce film car grâce à lui, j’ai compris ce que je voulais faire… Faire de l’animation est pour moi une forme de méditation, un espace mental où je suis bien. Cependant je fais toujours mes films dans l’intention de les montrer…

Eskimo est-il votre film de fin d’études ?

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Eskimo de Yulia Aronova, 2004

Non, il n’y a pas de film de fin d’études à VGIK. En dernière année on doit présenter de grandes esquisses qui définissent un travail de préproduction, qui déterminent le style graphique, le design du film à venir. J’ai proposé des dessins à partir d’un texte de Marina Tsvetaeva sur sa relation à sa mère et à la musique (Yulia reprendra plus tard ce travail préparatoire pour réaliser son très beau court métrage Mother and Music). Pour la petite histoire, chaque étudiant à un parrain qui est souvent un professionnel reconnu, j’ai eu la chance d’avoir Youri Norstein. Ce dernier était très critique par rapport à l’enseignement donné à l’école. Face à mes grands dessins il disait toujours de dessiner plus petit, que c’était plus poétique… A la sortie de l’école, j’ai eu la moins bonne note de tous les étudiants en animation, je n’étais pas conforme à leurs attentes.

Comment avez-vous alors réalisé Eskimo ?

J’étais attirée par l’animation en volume. Tout en étant étudiante, j’ai rencontré des spécialistes de la marionnette dans des petits studios à Moscou. Ils m’ont beaucoup appris. Un étudiant canadien, Pierre Boulanger, suivait à VGIK des études de réalisation de films de fiction. C’est lui qui m’a donné l’idée du pingouin et du cirque. Après l’école, j’ai demandé à ma grand-mère de me prêter une pièce de son appartement, je l’ai transformée en un très beau studio. Pendant quatre mois avec un opérateur japonais, Makoto Sembon, qui était aussi étudiant à VGIK, nous avons réalisé le film. C’est un très bon souvenir.

Dès ce premier film vous avez collaboré avec le musicien Lev Slepner ?

C’est mon copain qui était spécialiste du son qui me l’a fait rencontrer. Je considère Lev comme mon co-auteur. J’adore son travail, nous nous comprenons…

Lev Slepner en concert

Lev Slepner en concert

Comment travaillez-vous ensemble ?

Lorsque l’animatique de mon film est prêt, je mets des morceaux de musique provisoires dessus. Ce sont des références. Ça donne l’ambiance, le rythme que je désire… Ensuite je donne cette maquette à Lev. Il me propose toujours une composition magnifique, il a un sacré talent. Nous discutons énormément. Il fait beaucoup de propositions. Le plus dur c’est de couper, de choisir dans sa musique. En plus d’être compositeur Lev est un musicien de jazz, il aime faire des concerts avec son groupe.
Presque tous vos films sont « sans parole », pourquoi ce choix ?
L’animation est déjà une langue en soi. C’est la langue des gestes, du rythme, du graphisme… Si je peux montrer quelque chose sans mot, je préfère. C’est l’école de Chaplin !
Eskimo a remporté plusieurs prix dans les festivals. Cette reconnaissance a-t-elle facilité votre intégration dans le monde du travail ?
Ça n’a pas été immédiat, il a fallu du temps pour que le film existe et soit connu. Mais Eskimo est une bonne expérience. Lorsque j’ai fait le tour des studios, c’était ma carte de visite. Je pouvais dire « je sais faire ça » ! Ce qui a compté pour moi c’est mon premier festival à Souzdal en Russie, j’ai reçu le prix Alexander Tatarsky et le prix du nouveau talent pour Eskimo en 2004.
Après Eskimo vous réalisez donc Beetle, boat, apricot dans les studios Animos puis Mother and Music. Ces deux films semblent deux parties d’une même oeuvre. Deux poèmes visuels assez nostalgiques où l’on voyage entre rêve et réalité…
Quand j’ai fait ces deux films j’étais très jeune, je voulais être prise au sérieux. Et pour ça je pensais qu’il fallait faire des choses très dramatiques, très poétiques, très artistiques ! (grands éclats de rire). Il m’était impossible alors de faire des choses simples, drôles, légères.
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Beetle, boat, apricot de Yulia Aronova, 2005

Ces deux films se ressemblent aussi beaucoup au niveau de la technique utilisée. Elle rappelle l’ambiance des films de Youri Norstein. 

Je n’y ai pas pensé quand je les ai faits. J’ai effectivement utilisé une technique traditionnelle. Ce sont deux films tournés en pellicule sur un vrai banc titre avec des glaces. J’ai utilisé comme Youri Norstein la technique du papier découpé avec une texture d’aquarelle. Je suis à l’origine d’une rumeur amusante. Un journaliste me faisait remarquer, comme vous, la proximité de mon travail avec celui de Norstein. Pour rire je lui ai dit qu’il était mon oncle et qu’il était normal de préserver notre tradition familiale. Il m’a cru et la rumeur s’est répandue… Plus tard j’ai revu Youri Norstein lors d’un festival, il a beaucoup ri et m’a dit qu’il était très heureux d’avoir une nièce comme moi. C’est donc officiel, je suis la nièce de Youri Norstein !
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Mother and Music de Yulia Aronova, 2006

A part votre parrain et oncle, avez-vous d’autres influences artistiques ?
C’est banal de dire Hayao Miyazaki mais son travail est génial ! J’adore aussi Swankmajer et les Frères Quay. En même temps, j’aime les séries comme les Simpson. Et bien sûr  Igor Kovalev. Lorsqu’il m’a donné un prix au festival Krok pour Мy mum is an Airplane, c’était magnifique !
Burd in the window d'Igor Kovalev, 1996

Bird in the window d’Igor Kovalev, 1996

Le film suivant, Camilla, est une véritable rupture par rapport à vos courts métrages précédents tant dans la forme que dans le fond. C’est un ovni cinématographique où vous mélangez diverses techniques d’animation avec de la prise de vue continue. Racontez-nous sa genèse.

Je n’aime pas ce film. Il est beaucoup trop long, pas assez rythmé. J’aimerais pouvoir refaire entièrement le montage. J’avais juste au début un personnage qui était un mix de 2D et de 3D. Sa tête, ses mains et ses bottes étaient en volume et ses bras et jambes étaient dessinés. Le scénario initial racontait l’histoire d’un oncle Fred qui allait pêcher. Ça ne marchait pas. Un jour j’avais la marionnette sur ma table et j’ai posé à côté d’elle un journal dans lequel il y avait une photo d’actrice. Le rapprochement entre la marionnette et la photo a fait tilt, j’avais mon histoire. Une histoire d’amour ! Pour faire ce film il y avait une grosse équipe, je ne pouvais pas improviser ni modifier les choses. On est vraiment libre que dans un film d’auteur et il faut que le film soit court !

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Camilla de Yulia Aronova, 2008

Au début de la matinée vous m’avez dit que vous aviez du mal avec le « quoi dire » et pourtant vous devenez scénariste.

Oui, j’ai suivi des petits cours de scénariste pendant cinq mois après l’école VGIK. Mais là encore c’est en pratiquant que j’ai appris. Le studio Pchela a un projet intéressant, il réalise un almanach, une sorte de recueil de courts métrages fait par de jeunes réalisateurs. Chaque année ils ont besoin de huit à dix sujets. J’écris dans un carnet les idées qui me viennent, j’ai puisé dans ce fond. J’ai fait entre autre le scénario du court métrage On the wing de Vera Myakisheva. C’est dans ce studio que j’ai réalisé mon film Мy mum is an Airplane. C’était totalement nouveau pour moi de travailler pour les enfants. Мy mum is an Airplane est donc un film de commande. J’avais un petit budget et un délai très court. J’ai eu du mal à trouver l’histoire, j’avais écrit un petit poème de trois phrases avec des rimes. J’ai demandé à Sasha Nochin de m’aider à le continuer. Il a écrit un très grand texte, style rap, dans lequel j’ai choisi des extraits. Le tournage a été très rapide, le film est en 2D, il est fait sur ordinateur. Chaque histoire appelle sa technique. J’aime ne pas être enfermée dans un style, dans une technique.

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Мy mum is an Airplane de Yulia Aronova, 2013

J’aimerais publier un album jeunesse à partir de cette histoire. Ce n’est pas facile de trouver un éditeur russe. La maquette du livre est presque terminée, j’ai 26 dessins avec des petits poèmes. Je vais aller à la foire du livre de jeunesse de Bologne en avril prochain.

Votre dernier court métrage One, two, tree … a été réalisé lors d’une résidence à Folimage. Racontez-moi ça !

J’ai rencontré Zoia Trofimova à Annecy. Elle m’a expliqué le principe de la résidence à Folimage. Je devais concevoir un projet amusant pour les enfants d’une durée de 5 minutes maximum. J’ai associé deux mots, les mots « arbre et bottes » et mon imagination s’est emballée. Le dossier était très complet, je devais produire un scénario, un synopsis et un storyboard. Au dernier moment avant de l’envoyer j’ai ajouté dans le paquet des feuilles d’arbres que je venais de cueillir. Je ne sais pas si c’est ça qui m’a porté chance mais j’ai été choisie et là c’était le grand bonheur, comme dans un rêve ! Je suis arrivée à Valence au printemps, les arbres étaient en fleurs. On retrouve les cerisiers roses dans la séquence chez le coiffeur !

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One, two, tree de Yulia Aronova, 2015

J’avais neuf mois pour produire mon film, je travaillais du matin au soir. J’étais très motivée et très concentrée. J’ai changé très peu de choses dans l’histoire.

Ce court métrage est déjà sorti en France avec trois autres films choisis par Folimage sous le titre Neige et les arbres magiques. Il participe cette année à un autre programme conçu spécifiquement pour le festival Image par image, Grand-Petit et petits-grands. Que vous inspirent ces rapprochements avec le travail d’autres réalisateurs ?

Une fois que mes films sont terminés je ne les regarde pas. J’ai vu à Annecy le programme Neige et les arbres magiques lors d’une séance publique. C’était amusant de voir les réactions des enfants, ils semblaient heureux, ils répétaient les rythmes avec leurs mains, ils criaient. C’était très joyeux. Je n’ai pas encore vu Grand-Petit et petits-grands mais c’est pour très bientôt !

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Affiche réalisée par Nicolas Vong, stagiaire d’écrans VO

Vous avez aussi réalisé l’affiche et la bande-annonce pour le festival Image par image de cette année.

Yves Bouveret m’a fait cette proposition il y a plus d’un an. J’ai vraiment eu le temps d’imaginer, d’écrire et d’essayer des choses. J’étais très libre pour le thème. Yves m’avait juste demandé un court de 20 à 30 secondes. Je l’ai appelé régulièrement pour ajouter du temps, 35 secondes puis 40, puis presqu’une minute ! Je suis partie de deux personnages, une vieille dame et un robot. Au début j’avais plutôt une histoire dramatique, le robot aidait la vieille dame à se sentir vivante dans ses derniers jours.                   Eugène Boitsov s’est joint à moi et on a fait ensemble un brainstorming. On a écrit très vite l’histoire finale. On a animé chacun de notre côté, on se retrouvait sur Skype pour échanger.

Cette rencontre a pu se faire grâce à la présence de Yulia sur le festival « Image par image ». Elle y présente son court métrage « One, two, tree… » au public du programme « Grand-Petit et petits-grands ». Elle anime aussi toute la semaine un atelier avec un groupe d’enfants à Enghien !

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Atelier animé par Yulia Aronova, Enghien, février 2017