Samuel Yal, sculpteur et réalisateur

Samuel dans son atelier. Décembre 2013

Samuel dans son atelier, décembre 2013

Témoin privilégié d’un atelier animé par Samuel, j’ai été impressionnée par sa faculté d’adaptation et sa capacité à accompagner un groupe dans un réel travail de création. J’ai ensuite découvert de façon presque simultanée son court métrage L’oiseau et son exposition Le prochain visible à l’artothèque de Saint Cloud. J’ai suivi de loin en loin son parcours dans le monde de l’art contemporain : la Nuit Blanche 2012, le MACParis, la Gallerie Felli… jusqu’à sa dernière exposition au Sel de Sèvres en compagnie de Valentin Van Der Meulen. Présent sur plusieurs fronts, Samuel est en train d’écrire son prochain court métrage d’animation, il participe aussi activement à la toute nouvelle association Barybal… Malgré cet emploi du temps chargé, il a accepté avec simplicité de nous parler de son parcours artistique …

 Se présenter en quelques mots…

Je suis sculpteur et réalisateur de films d’animation : mon temps se partage entre l’atelier où je produis mes pièces et les endroits où j’expose. Je suis amené aussi à travailler pour certains studios d’animation et aussi réaliser des films avec des jeunes ou adultes dans le cadre de worshops.

Qu’est-ce qui a été le plus formateur pour toi dans ton enfance ?

Enfant je n’avais pas le profil scolaire et je me suis beaucoup ennuyé à l’école. Mais je pratiquais le modelage depuis tout petit, ma mère m’avait inscrit à un cours de poterie. J’ai fait une seule assiette et puis j’ai commencé à faire des trucs de mon côté. La prof me laissait tranquille, elle ne savait pas trop quoi faire de moi. J’y suis resté plusieurs années. J’avais aussi un voisin qui dessinait beaucoup, j’étais souvent avec lui. Il est d’ailleurs devenu sculpteur. Et puis il y a eu des découvertes artistiques fortes : la Pieta de Michel Ange à Rome qui m’a marquée enfant, plus tard les oeuvres d’Egon Schiele, Giacometti…  Et puis, pendant deux ans, en seconde et en première, j’ai quitté le lycée, je suivais des cours par correspondance. J’ai beaucoup dessiné, je lisais, allais à Paris visiter des expos… Je suivais aussi des cours particuliers avec un prof, il m’a appris les techniques liées à la sculpture, aux matériaux et on parlait beaucoup d’art.

Une image qui t’accompagne…

Le personnage de Boris, le jeune fondeur de cloches que l’on voit dans le film «Andreï Roublev» de Tarkovski. C’est un peu la métaphore de l’artiste par excellence, il y a l’idée qu’il n’y a pas une transmission de savoir-faire qui garantirait la réussite. Lorsqu’on se lance dans le travail artistique, on fait un pari, on n’est sûr de rien. Je me sens proche de Boris. Comme lui, je suis face à un défi permanent : adapter des techniques, des procédés, assumer l’échec et recommencer…

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Quand as-tu décidé que tu allais te consacrer à une carrière artistique ?

A l’adolescence, quand j’ai fait ma coupure scolaire au début du lycée. J’ai redécouvert à ce moment-là la sculpture. Il y avait quelque chose de primitif, de spontané dans la possibilité de transformer une matière, de s’exprimer à travers elle. La découverte d’un vrai terrain de liberté, comme une évidence. J’ai approfondi également ma connaissance dans l’histoire de l’art et la découverte d’artistes aux démarches contemporaines, Penone m’a beaucoup marqué notamment. Et c’est important, car on répond à l’art. L’art est stimulé par l’art. Il y a un dialogue entre son travail et l’oeuvre des autres. Certaines oeuvres sont des incitations, elles invitent à une réponse, à une réaction, à un écho… J’ai aussi lu des textes philosophiques et scientifiques, ils ont étayé ma réflexion. Ils ont eux aussi nourri mon travail. Dans chaque projet, on suit un cheminement qui est enrichi par des lectures, par la relation avec d’autres oeuvres d’art. Je m’intéresse à beaucoup de choses, je n’ai pas une connaissance pointue dans un domaine précis, je préfère faire des liens entre différents domaines…

Tu peux nous parler de ton rapport à la musique ?

J’en écoute beaucoup, de toutes les périodes, de la Renaissance aux musiques actuelles. Je m’intéresse notamment à la musique vocale, des chants grégoriens à Ligeti. Il n’y a pas une articulation conceptuelle entre mon travail et la musique, mais ce qui me passionne c’est comment une forme va au delà d’elle-même, se déploie, cette idée là est présente dans la musique. Cela me renvoie à la question des limites.

Et la science  ?

Je m’intéresse à la science depuis que je suis tout petit. J’étais fasciné par l’idée que la totalité du code génétique se retrouve dans toutes les parties du corps. Je m’intéresse aussi à la physique quantique. Que le concept de la matière ait volé en éclat rejoint les interrogations sur les limites.

Dissolution de Samuel Yal, 2011

Dissolution de Samuel Yal, 2011

Les représentations deviennent instables. C’est la même chose dans l’art. Comment, justement, ne pas représenter un corps, un visage, de manière totalisante ? On ne peut plus faire un buste en rond de bosse dont le spectateur fait tranquillement le tour. Le visage se donne comme une présence qui échappe au regard.

Quelle formation spécifique as-tu suivie ?

Après le bac, j’ai fait une école d’arts appliqués à Chambéry (ENAAI). Le cinéma d’animation en volume m’a permis de faire le lien avec la sculpture. J’ai grandi à Annecy, je connaissais le cinéma d’animation grâce au festival. Gamin, j’étais attiré par l’animation, j’avais envie d’en faire mais techniquement c’était difficile, on était dans une période intermédiaire, entre le Super 8 et le numérique. Après j’ai fait un master 2 d’arts plastiques à Paris. C’était une formation plus théorique.

De tes deux modes d’expression, la sculpture et le cinéma d’animation, duquel te sens-tu le plus proche ?

Je pense que j’ai un cerveau plus orienté plasticien que cinéaste. Mais j’ai besoin de l’alternance, et en même temps il y a des choses que je ne peux pas faire avec la forme sculptée. Le cinéma d’animation a fait bouger mes lignes en sculpture. La sculpture n’est plus une forme figée dans le temps, elle est un élément d’un processus. Mon intérêt pour le cinéma d’animation est plus lié à la forme filmique qu’à la narration. Idéalement, j’aimerais que l’animation soit une sorte « d’opéra » sculpté, que ma sculpture puisse se déployer dans le temps, dans le mouvement, dans la couleur…


De nombreux réalisateurs de films d’animation sont aussi peintres, illustrateurs ou graphistes, je connais moins de réalisateurs-sculpteurs.                                     Quels «maîtres» t’ont ouvert la voie ?

Le premier a été Swankmajer. J’ai vu son film « les possibilités du dialogue» très jeune à Annecy. Il m’a impressionné. Son rapport à la matière, à sa capacité expressive, est incroyable. On échappe à la narration et pourtant ça raconte beaucoup plus de choses qu’une seule histoire pourrait le faire.

Les possibilités du dialogue de Swankmajer, 1982

Les possibilités du dialogue de Swankmajer, 1982

Je pense aussi aux films expérimentaux des Frères Quay, à leurs jeux sur les sensations …

  Street of crocodiles des frères Quay, 1986

Street of crocodiles des frères Quay, 1986

L’oeuvre de William Kendrige également, et puis les pièces et les performances de Solweig Von Kleist au musée du château à Annecy m’ont aussi beaucoup intéressé.

Chaos de Solweig Von Kleist, 2003

Chaos de Solweig Von Kleist, 2003

Tu as co-écrit le scénario de «L’oiseau» avec Marine Bachasel. Peux-tu nous parler de la genèse de ton film ?

Je suis parti d’intuitions personnelles. J’ai eu besoin d’un appui pour ne pas me perdre, garder le fil. J’avais besoin de quelqu’un qui m’aide à structurer, à élaguer. Les idées arrivaient en flux, Marine m’aidait à les canaliser, à fluidifier mon écriture, à prendre du recul…  (…) Il a été réalisé dans une économie de moyens. Je voulais garder la possibilité de changer des choses au cours de la réalisation. Son écriture n’était pas figée, (…) Tout s’est fait rapidement. J’ai commencé en 2007 et la postproduction s’est achevée en 2009. Je l’ai fait en même temps que mon master. J’ai quelques regrets parce qu’en faisant on apprend et on voit ce qui aurait pu être mieux fait, mais il y a eu dans la réalisation de ce film une énergie incroyable !

Quel accueil a reçu ton film ?

J’ai été content. Il a eu une bonne diffusion par rapport aux moyens et à la prétention du projet. Il a été sélectionné dans pas mal de festivals en France et à l’étranger et ça a été une expérience positive de le suivre en festival et de rencontrer d’autres professionnels.  J’ai pu participer ensuite à d’autres projets, faire des rencontres, animer des workshops….

Photogrammes du court métrage l'oiseau de Samuel Yal, 2009

Photogrammes du court métrage l’oiseau de Samuel Yal, 2009

Une autre activité importante pour toi, ce sont les ateliers que tu animes dans des contextes très variés. Qu’est-ce qui te motive dans cette pratique ?

Au début ça s’est fait un peu par hasard. On m’a proposé de faire un remplacement. Et puis, ça m’a plu. C’est toujours intéressant. J’essaie d’associer la technique du cinéma d’animation à un contenu qui a du sens pour les gens avec lesquels je travaille. Les sujets sont très variés ; par exemple j’ai fait des films sur la danse, sur la géométrie et même sur les tracteurs ! Le cinéma d’animation permet de renouveler le regard sur un thème, je le conçois comme un big bang créatif. Et puis les ateliers permettent d’expérimenter, tant au niveau des techniques que du montage : on peut tester des formes d’écritures et des registres différents. Il y a toujours des choses à imaginer avec les participants, qu’ils soient plus jeunes ou plus expérimentés. C’est très enrichissant aussi pour soi.

Tu as réalisé un très beau film d’atelier avec une classe de terminale au Maroc. Les jeunes témoignent de leur relation avec leur famille. Quelle a été l’origine de ce projet ?

C’est un projet phare dans mon parcours et une belle aventure humaine ! Pendant que j’étais envoyé au Maroc, un réalisateur marocain est venu travailler en France. On est parti sur l’idée d’un échange épistolaire sur le thème de la famille. Pendant 3 jours, on a travaillé sur l’écriture. La forme de témoignages spontanées s’est rapidement imposée. Je suis rentré en France et j’ai travaillé sur le montage son puis j’ai découpé le film en séquences. Je suis ensuite retourné au Maroc pour une dizaine de jours. Chaque élève s’est emparé d’une partie. Il y avait trois plateaux de tournage. C’est vraiment une chouette expérience, il est rare de travailler dans de telles conditions.


Tu as participé à la création d’une nouvelle association «Barybal animation» , tu peux nous la présenter ?

C’est un studio d’animation qui réunit plusieurs réalisateurs. On a en commun d’utiliser des techniques d’animation traditionnelles et de faire des interventions autour du cinéma. Notre administrateur est Olivier Catherin de la maison de production «Les trois ours». On mutualise la communication et nos compétences techniques, plastiques et pédagogiques. Face aux structures qui nous proposent des interventions, on n’est plus tout seul, on peut travailler en duo, en trio… En fonction du calendrier des uns et des autres et des compétences requises, on est plus à même de répondre aux projets.

Pour terminer j’aimerais que tu nous parles de ton futur court-métrage …

L’enjeu du prochain court sera de pouvoir injecter au maximum des problématiques travaillées au sein de ma sculpture. J’ai écrit une première mouture il y a quelques temps pour le dossier de financement, mais je suis en train de reformuler, d’éclater les choses afin que ce soit moins linéaire. Il y a un fil qui maintient les éléments mais l’idée est qu’on le perde, et que le film soit d’avantage organique. J’espère tourner l’été prochain à partir d’éléments en céramique. Et, même si j’ai eu des aides, cela restera un film avec peu de moyens. Je fais ce choix pour garder mon indépendance et travailler avec de la souplesse pour essayer des choses, rater, recommencer, et rater encore mieux. N’est-ce pas comme ça qu’on avance ?

Solweig von Kleist, artiste pluridisciplinaire

Dessin anamorphique /3D Street Art, Solweig Von Kleist, Septembre 2012

Dessin anamorphique /3D Street Art, Solweig Von Kleist, Septembre 2012

J’ai rencontré Solweig par le biais du cinéma d’animation. J’ai eu le privilège pendant un an de partager avec elle sa passion des images qui bougent. Elle animait tous les mardis soirs un atelier au local de l’association Kino à Issy les Moulineaux. Quelques années plus tard, des traces de pastel sur le trottoir ont attiré mon regard, un beau dessin anamorphique se déployait sous mes yeux. Il était signé S von Kleist. Envie d’en savoir un peu plus sur cet artiste éclectique.

Peux-tu te présenter en quelques mots ?

Solweig von Kleist, d’origine allemande, j’habite depuis 10 ans à Meudon. Je suis artiste, je n’aime pas le terme d’artiste plasticienne, je préfère artiste pluridisciplinaire ou multidisciplinaire. Je fais des peintures, des dessins, des films d’animation, des installations et je donne des cours de dessins. Je suis passionnée par ça, je trouve très important de transmettre ce que je sais faire.

Qu’est-ce qui a été le plus formateur pour toi dans ton enfance ?

Ma grand-mère qui dessinait en amateur. Lorsque je lui rendais visite, je copiais à ses côtés des cartes postales, des fleurs. J’ai appris à dessiner dès l’âge de 4 ans.

Une image qui t’accompagne.

Difficile de répondre, il y a eu des images différentes à chaque période de ma vie. J’ai longtemps accroché dans ma chambre la peinture de Jérôme Bosch « Le jardin des délices », j’en ai même copié quelques scènes.

"Le jardin des délices" de Jérôme Bosch, 1503-1504

« Le jardin des délices » (panneau central) de Jérôme Bosch, 1503-1504

Peux-tu nous parler de ta formation artistique ?

Je suis allée à l’école des Beaux-Arts de Berlin Ouest dans l’objectif de devenir professeur. Je n’avais pas le courage d’imaginer être une artiste, c’était trop exotique pour ma famille ! Il fallait un métier où l’on était assuré de pouvoir gagner sa vie… Au lycée, j’avais eu aussi une très bonne prof d’arts qui m’a encouragée dans cette voie. A l’école des Beaux-Arts, l’enseignement était très varié, j’ai travaillé le bois, le métal, la céramique, la gravure… Mais il n’y avait pas de cours sur le cinéma d’animation, j’ai commencé toute seule. Mon premier film était en noir et blanc, il durait 2 min, c’était en super 8. On y voyait des vêtements qui volaient sur une musique de jazz et qui atterrissaient sur une chaise qui réagissait à cet assaut… Je l’avais fait pour un examen, j’ai été encouragée à continuer. J’ai ensuite réalisé des installations de peinture dans l’espace avec des films super 8, et j’ai eu mon degré de maîtrise de l’école de Beaux arts, en plus de mon examen de prof en arts plastiques.

"Sous les pavés", Solweig von Kleist

« Sous les pavés », Solweig von Kleist

Mon travail sur les installations a été remarqué et m’a permis d’obtenir une bourse pour aller un an à CalArts, l’institut crée par Walt Disney en Californie.

C’est l’institut où s’est formé Tim Burton.

Il était là quelques années avant moi, dans le département « Cartoon ». J’étais dans le département « films expérimentaux ». J’ai énormément appris sur les techniques d’animation. J’ai commencé, entre autre, à gratter sur la pellicule noire de film 35 mm.

Solweig en train de graver sur pellicule

Solweig en train de graver sur pellicule

J’étais fascinée par le dessin et occupée à apprendre les techniques de l’animation, mais j’avais toujours des difficultés à raconter « une histoire » bien construite. Un évènement important plus personnel mais qui a eu des incidences dans mon travail, j’ai rencontré à CalArts mon futur mari, Thierry Verrier, qui suivait des cours dans le département « films de fiction ». Il a eu comme professeur Alexander MacKendrick qui a réalisé entre autres «The ladykillers ». Il a, lui, beaucoup travaillé la narration. Nous avons collaboré à mon premier film « Criminal Tango », j’avançais avec mes idées visuelles et le montage était assumé par Thierry. C’était un drame pour moi de devoir renoncer à certains dessins.

" Criminal Tango ", Solweig von Kleist, 1985

 » Criminal Tango « , Solweig von Kleist, 1985

Après l’année liée à ma bourse, je suis restée en Californie. Pour continuer à travailler sur mon film, je faisais du troc avec des étudiants, en échange de dessins, ils me réservaient la salle avec l’équipement pour pouvoir photographier les images dessinées, sur un appareil appelé « truca », et aussi pour la chambre noire où je développais les pellicules 16 mm tournées. Nous sommes revenus en France avant la fin du film, les images étaient terminées mais il n’avait pas encore de son. Je devais finir le générique avant de quitter la Californie alors  sur les indications de Thierry, j’ai indiqué le nom de Denis Mercier pour la création du son. Thierry et lui étaient ensemble à l’école Louis Lumière, on a fait le pari qu’il allait accepter ! Heureusement il a été d’accord, il a capté tous les sons dans la région parisienne puis j’ai réalisé moi même le montage son chez un ami, Stéphan Krésinski, qui est lui réalisateur et historien du cinéma. Le film a reçu un très bon accueil et de nombreux prix.

Avant de continuer sur tes réalisations, je voulais te demander si tu as des influences artistiques ?

Très modestement en peinture je me situe entre Bacon et Hopper ! J’aime créer des atmosphères, des perspectives étranges, des déformations. Je m’intéresse à la construction de l’espace. Ma peinture est figurative mais elle tend vers une certaine forme d’abstraction.

Peinture de Solweig von Kleist, Attente,

Peinture de Solweig von Kleist, Attente, 2007

C’est important qu’il y ait des « trous », des choses ouvertes pour laisser de la place à l’interprétation du « regardeur ». Une narration existe, sous-jacente, mais rien n’est clairement défini. J’ai été aussi influencée par l’expressionnisme allemand.

Une de tes premières oeuvres reconnues est ta participation au clip de David Bowie, pour la chanson Underground.                                                                       Peux-tu nous parler de cette collaboration ?

En 1986, j’ai reçu un coup de fil d’un producteur Londonien, il avait vu le film « Criminal Tango » et souhaitait me rencontrer pour me proposer un travail. Je me rends à Londres pour la première fois et là on m’annonce que j’ai été choisie pour participer à un clip de David Bowie. A l’annonce du nom, je n’ai aucune réaction, habituée à l’accent californien, je n’avais pas compris le nom du chanteur ! Comme test on me demande de dessiner le visage du chanteur sur de la pellicule, c’est lorsque l’on me donne le portrait à copier, que je réalise enfin ! David Bowie était passionné par l’expressionnisme allemand, notamment Emil Nolde. J’ai été très libre pour réaliser le story-board, j’avais l’image de début (le visage de David Bowie) et l’image de la fin (la boule de cristal) avec quelques indications sur les personnages qui devaient apparaître.

storyboard du clip              " Underground " Solweig von Kleist

storyboard du clip « Underground » Solweig von Kleist

« Underground » est la chanson titre du film « Labyrinthe » de 1986.

Y a-t-il pour toi des différences entre les travaux de commande et tes travaux personnels ?

Je souffre beaucoup lorsque je réalise un travail de commande, je suis angoissée ! Il y a un véritable conflit entre ce que je pense qu’on attend de moi et ce que je veux naturellement faire. Il y a eu tout de même des collaborations heureuses, je pense notamment à mes illustrations pour un magazine économique ou aux couvertures de livres policiers allemands.

illustrations pour le magazine " science & vie économie" N°54 octobre 1989

illustrations pour le magazine  » science & vie économie » N°54 octobre 1989

Tu as participé à deux résidences d’artiste, Folimage en 1997 et à l’abbaye de Fontevraud en 2008/2009.                                                                                              Que t’ont apportée ces dispositifs ?

J’aime beaucoup me déplacer, découvrir des lieux et rencontrer des gens. A Fontevraud, c’était extraordinaire, au mois d’août j’étais seule dans mon atelier mais dès que je regardais par la fenêtre je voyais un flot de touristes. C’était un état de travail très apaisant, être à la fois en retrait et entouré… Et puis, tu rentres aussi en un autre état par l’atmosphère du lieu, par la mémoire des murs…

J’aimerais aussi que tu me parles d’une oeuvre qui est pour moi énigmatique avec son titre à la Magritte,  « Ceci est un film ».

"Ceci est un film", Solweig von Kleist,

« Ceci est un film », Solweig von Kleist, 2008

C’est un projet que j’ai fait pour une exposition en hommage à Emile Cohl au musée d’Annecy en 2008. J’ai coulé dans un moule environ cinquante couches successives de ciment et sur chaque couche j’ai gravé une image de la séquence animée. Avant chaque nouvelle coulure de ciment j’ai pris une photo, ce qui a donné un petit film de 2 secondes, en boucle. On y voit un homme qui sort d’une spirale et plonge, puis il réapparaît et s’envole grâce à la spirale. L’oeuvre est donc composée d’un cube de ciment où les images du film ont été ensevelies : les dessins, les éléments concrets ont disparus, mais ils continuent d’exister sous forme virtuelle, comme film qui est projeté à côté du cube en béton… ( cube_10 ) C’est une commande de Maurice Corbet, conservateur au musée-château d’Annecy qui a écrit un beau texte sur mon travail.

Une calligraphie du mouvement 

Depuis quelques années tu réalises des performances que tu appelles « live animations ». Peux-tu nous en définir le principe et nous dire l’importance du regard du public dans le processus même de ton travail.

J’aime beaucoup les films d’animation, j’ai eu très envie de transmettre cette magie à faire bouger des images. Montrer un film terminé, c’est bien mais le spectateur n’est souvent qu’un consommateur. Inviter les gens à assister au processus même de la réalisation d’une séquence animé, cela peut provoquer de l’émerveillement de voir des dessins qui commencent à bouger… Au début, je réalisais un évènement-spectacle, c’était très stressant car on travaille sans filet, dans un laps de temps déterminé. En plus, on est à la merci de problèmes techniques divers, la caméra qui n’a pas bien enregistré, des changements de lumière… Maintenant je préfère faire mes interventions dans un lieu ouvert au public qui peut venir pour regarder puis partir à sa guise tout en suivant l’évolution du dessin. En 2010, j’étais jury au festival du film d’animation de Poznan (Pologne). Pendant deux heures par jour, j’investissais un bureau du musée d’art dans lequel travaillaient les organisateurs du festival. J’ai recouvert tous les vitrages peu à peu en dessinant avec du blanc de Meudon les éléments de mon film « Chaos ». Personne ne comprenait vraiment ce que j’étais en train de faire, les gens n’avaient pas le code d’accès.  A la fin, lorsque j’ai photographié chaque dessin dans le « bon » ordre et projeté l’animation, ce fut la révélation : les spectateurs ont découvert soudainement qu’un film était caché dans ces dessins éparpillés et chaotiques…

Tes projets actuels…

Trop de projets en même temps, et pas le temps pour les faire ! Depuis un certain temps, je n’ai plus fait de la peinture dont les sujets étaient plutôt psychologiques. Je m’intéresse énormément à la politique et j’ai envie de me confronter à la réalité du monde, mais avec un point de vue décalé d’artiste.

Depuis quelques années je suis en train de dessiner une mappemonde de grand format qui tente de visualiser des questions liées à la mondialisation capitaliste ultralibérale. Entreprise démesurée, la mappemonde est en perpétuelle évolution mais j’espère la finir pour cet été ! C’est aussi la base pour un scénario de film sur la même thématique, dont j’ai fini une première mouture bien trop longue ! Je vais essayer de trouver le temps pour  raccourcir ce scénario, ou le transformer en roman graphique…

Solweig travaille sur son projet de mappemonde.

Solweig travaille sur son projet de mappemonde.

Je m’intéresse aussi à l’apparition des traînées persistantes des avions qui blanchissent le ciel, un phénomène inquiétant pourtant très visuel, mais inaperçu par la plupart des gens ! Ils ont trop vissé leur regard sur leurs beaux écrans bleus… J’ai déjà réalisé plusieurs installations avec des films sur ce sujet, et au printemps je vais refaire un film animé en time lapse (en accéléré) sur ce sujet.

Je suis aussi passionnée par le dessin d’anamorphose et j’ai réalisé pendant les journées du patrimoine 2012 une première intervention de « 3D street art »  sous les arcades du RER à Issy-les-Moulineaux. Avec l’aide d’une jeune diplômée de l’ENSAD, Da-Hee Jeong, j’ai dessiné pendant deux jours un dessin anamorphique représentant les carrières d’extraction du blanc de Meudon (le thème de la manifestation étant « le patrimoine caché »). Lorsque le dessin a été terminé, le public était invité à chercher le point de vue qui rend compte de l’illusion optique. C’était très joyeux, les gens étaient très actifs en jouant avec le dessin et en prenant de nombreuses photographies. C’est un projet que j’ai envie de renouveler…

Solweig sur son dessin anamorphique, 2012

Solweig sur son dessin anamorphique, 2012