J’aime être seule lorsque je visite une exposition : choisir mon rythme d’exploration, revenir sur mes pas, m’arrêter longuement face à une oeuvre, en survoler une autre… J’aime aussi être accompagnée lorsque je visite une exposition : plaisir du regard partagé, de l’échange de sensations, de sentiments, de reflexions …
La très belle exposition consacrée à la collection Howard Greenberg m’a permis de réconcilier ces deux mouvements apparemment contradictoires, alterner la découverte intime et silencieuse au dialogue sur certaines photographies choisies.
Le choix de Dominique, ma soeur, se porte sur deux photographies qui éveillent une forte empathie avec les personnes photographiées. La première représente deux vieilles femmes assises devant une maison en bois.
Que regardent-elles ? Un évènement quotidien ou singulier survenu devant leur maison ? Sont-elles plongées dans leurs souvenirs ? Le hors-cadre spatial et temporel nous est inaccessible mais il provoque notre imagination. Leur ressemblance est moins troublante que celle des jumelles de Diane Arbus exposées un peu plus loin, toutefois on les devine soeur. Ressemblance et singularité se mêlent. La femme au premier plan semble plus rude, elle se tient bien droite sur sa chaise, sa bouche est amère. Sa compagne paraît plus douce, un léger sourire se dessine sur ses lèvres, elle se balance sur sa chaise et son corps est en torsion. Elle a retiré son tablier de travail…
La deuxième photographie nous donne l’impression d’être face à un photogramme d’un film. La situation représentée donne à Dominique l’envie d’intervenir, de rompre la solitude de cette femme en demandant aux hommes qui l’entourent de la laisser tranquille. Cette image est devenue au fil du temps une icône du sexisme. La lecture du site de la photographe, Ruth Orkin nous renseigne sur le contexte de réalisation de l’oeuvre et nous en donne une toute autre interprétation. Au début des années 50, Ruth Orkin voyage seule en Italie, elle rencontre à Florence une jeune peintre américaine Jinx Alley (Ninalee Graig), elles réalisent ensemble une série de photos témoignant plus de l’autonomie de la jeune femme que de son asservissement. Passionnant de voir comment une oeuvre échappe à son auteur…
Laura, 12 ans, choisit quant à elle, deux photographies représentant deux jeunes garçons dans la rue. La première est réalisée en 1933, en Espagne, par le maître des lieux, Henri Cartier-Bresson. Un enfant vêtu de blanc se tient devant un mur noir, la lumière accentue ce contraste. Il joue les deux bras écartés, la tête jetée en arrière, il est dans son monde, magnifique représentation du pouvoir de l’imagination ! Une forme énigmatique est située à l’extrémité gauche du sol, que représente-t-elle ?
La deuxième a été réalisée 20 ans plus tard à New-York par Robert Frank, « Pablo à Times Square ». L’opposition entre l’enfant seul au premier plan et la foule à l’arrière plan est renforcée par le contraste formel entre le net et le flou.
Quant à moi, je m’arrête devant la photographie d’Arthur Rothstein représentant un fermier d’Oklahoma bravant une tempête de sable en compagnie de ses deux fils.
Ce qui m’attire c’est l’importance du ciel et de la terre qui semblent ne faire plus qu’un. Cette masse grise vibrante qui estompe les détails met en valeur la cabane en bois qui malgré son dénouement est un refuge vers lequel le fernier et ses deux fils se dirigent d’un pas assuré.
La maquette originale de « Mary’s book » de Robert Frank clôt notre échange familial. Alternance de photographies et de textes manuscrits célébrant un Paris des années 50 qui semble endormi. Le regard subjectif du photographe vient à notre rencontre. Son expérience intime de certains lieux parisiens résonne avec notre récente déambulation dans la capitale …