Pour la deuxième année consécutive, le groupe « Ecole et cinéma » du Val d’Oise a préparé pour les classes de l’école maternelle un programme ambitieux de courts métrages d’animation. Deux rendez-vous dans les salles de cinéma pour découvrir l’oeuvre de Co Hoedeman et celle du Studio d’Art de Shangai.
Tchou Tchou de Co Hoedeman, 1972
Le château de sable de Co Hoedeman, 1977
Les têtards à la recherche de leur maman de Te Wei, 1960
L’épouvantail de Hu Jinqing, 1985
Les singes qui veulent attraper la lune de Zhou Keqin, 1981
Le 23 février s’ouvre la 13 ème édition du festival « Image par image » dans le Val d’Oise, rendez-vous devenu incontournable pour tous les passionnés du cinéma d’animation. Depuis les origines, Yves Bouveret est au coeur de son organisation. Sa curiosité, son enthousiasme, son sens du partage et de la convivialité ont permis de fédérer autour de lui de nombreux partenaires. Des institutions au monde culturel, chacun se sent engagé pour que cet évènement rencontre un public toujours plus varié et nombreux ! Yves a accepté le temps d’un entretien d’être sous le feu des projecteurs.
Peux-tu te présenter en quelques mots…
Je suis Yves Bouveret, je m’occupe d’une structure associative Ecrans VO depuis 10 ans. Cette association met en réseau 20 cinémas du Val d’Oise pour un travail d’action culturelle.
Qu’est-ce qui a été le plus formateur pour toi dans ton enfance ?
Le plus formateur dans mon enfance, ça n’a pas été l’école mais c’est lorsque j’ai été scout de France. Cette activité m’a donné beaucoup de liberté par rapport à ma famille et à l’école. Ce n’était ni l’idéologie religieuse qui était importante, ni bien sûr l’uniforme, car on était en jean, mais une forme d’«utopie réaliste» incarnée par des projets où le «vivre ensemble» était fondamental. A 15 ans j’ai fait un voyage de plusieurs semaines en Israël-Palestine, nous étions une dizaine d’adolescents encadrés par des jeunes de 20 ans. Nous nous déplacions en stop. C’était en 1982, pendant la guerre du Liban. L’été suivant nous partions en Corse faire une tournée avec la pièce de Bernard Shaw, « Androcles et le lion ». Ces expériences ont été fondatrices pour moi de l’importance d’être acteur et non spectateur dans certaines situations !
Une image qui t’accompagne …
La première image qui me vient est un rêve heureux récurent de mon enfance. Après une poursuite en forêt, je tombe lentement dans une salle de bal digne de celle du Guépard de Visconti. Je me réveille juste au moment de l’atteindre. Ce rêve me fait aussi penser aux films du réalisateur suisse Georges Schwizgebel.
Claudia Cardinale et Burt Lancaster dans le Guépard de Visconti, 1963
J’ai été aussi marqué par un livre de photographies du vingtième siècle. Si mes souvenirs sont bons, on voyait sur la couverture Eisntein tirer la langue.
Einstein photographié par Arthur Sasse, 1951
Après le bac, tu as suivi des études de gestion. Avais-tu le projet, dès ce moment-là, de travailler dans le milieu culturel et plus particulièrement dans le cinéma ?
Non, pas du tout. Je ne savais pas ce que j’allais faire. Mon orientation est plus liée à un réflexe sociologique qu’à un véritable choix. Mon grand-père s’occupait d’une grosse mutuelle, mon père avait fait HEC… J’ai fait un IUT de commerce international, puis j’ai travaillé dans une boulangerie pendant 6 mois à Londres. A mon retour, l’armée m’attendait et lorsque j’ai été libéré de mes obligations militaires j’ai fait une école de gestion en 3 ans. Pendant la deuxième année, j’ai été responsable d’une association d’étudiants «le Raid Africain des Grandes Ecoles». C’était un projet d’envergure, nous apportions en Afrique de l’Ouest des 504 pick-up. Au delà de l’apport matériel, le projet, sous l’égide de l’UNICEF, était théoriquement humanitaire mais en réalité nous avons pu développer un réel échange culturel avec les gens que nous rencontrions. En troisième année, j’ai fait un stage de 10 mois chez Nestlé-Findus, j’ai commencé à savoir ce que je n’avais pas envie de faire. Au delà de gagner ma vie, j’avais besoin que mon travail ait un sens. A ma sortie de l’école j’ai fait un boulot alimentaire à mi-temps à la Maison Européenne de la photo.
Puis, tu es devenu pendant 9 ans (1993-2002) directeur-programmateur au cinéma Les Toiles de Saint Gratien dans le Val d’Oise. Comment cela s’est-il passé ?
Le cinéma «Les Toiles» existait à Saint Gratien depuis 1974, il avait été implanté au fond d’un forum. En 1992, il avait fait faillite et était fermé depuis 6 mois. Je connaissais le chef de cabinet du maire, François Busnel. Nous avions travaillé ensemble sur le Raid Africain des Grandes Ecoles, il en assurait la couverture médiatique pour RFI. On est resté en contact et il m’a proposé de déposer un dossier pour prendre la direction du cinéma avec un projet de reprise des 3 salles. Notre projet reposait sur une programmation de films «Art et Essai», nous avions comme modèle le fonctionnement proposé par les salles Utopia basé sur la multi programmation. Nous programmions 10 films par semaine sur les 3 salles du cinéma. Les spectateurs prenaient rendez-vous avec une oeuvre ! Nous voulions qu’un lien culturel se crée entre les spectateurs et la salle de cinéma. Nous avons aussi supprimé la publicité, la confiserie et nous avons mis systématiquement des courts-métrages en première partie. Pendant 5 ans, nous avons fonctionné avec une équipe de 3 personnes, nous étions des militants ! Pendant la journée, nous assurions le travail administratif, la programmation, la rédaction d’une brochure avec un éditorial, l’accueil des scolaires… et le soir, une semaine sur trois, nous tenions la caisse. Nous avons été soutenu par le maire, François Scellier.
Les Toiles au forum de Saint Gratien
Le succès a été au rendez-vous, nous sommes passés de 30 000 spectateurs à 72 000 spectateurs en 10 ans, le bouche à oreille a bien fonctionné, nous avons répondu à une attente. Le cinéma a eu un retentissement sur les villes voisines, le lieu était fortement identifié, nous sommes rentrés dans un cercle vertueux. Dès le début, nous avons été sensibles au jeune public et avons développé une action vis à vis des scolaires. Nous avons participé très tôt aux dispositifs nationaux, « école et cinéma » et «collège au cinéma». Nous étions très souples, très à l’écoute des demandes des enseignants dans le choix de notre programmation. ll était important que l’accès au cinéma soit simple et à l’écoute du terrain.
Un événement marquant de cette période …
Tous les réalisateurs qui sont venus rencontrer notre public. Bertrand Tavernier a été le premier avec « Capitaine Conan ». Il est revenu plusieurs fois, les débats pouvaient durer jusqu’à deux heures du matin. Je me souviens aussi de la venue de Patrice Leconte pour « Ridicule ». Pendant la projection du film, nous sommes allés manger au Mac Do en 2 CV. Leconte était en train de réaliser des pubs pour Mac Donald… Une des plus belles rencontres que j’ai faite aux Toiles a été la venue d’Emmanuel Finckiel pour son film « Voyages ».
« Voyages » d’Emmanuel Finckiel, 1999
Combien de films vois-tu par an ? Ton regard de spectateur a-t-il évolué ?
Lorsque j’étais directeur des Toiles je voyais entre 200 et 250 films par an. Nous faisions un choix collégial de programmation, nous allions au festival de Cannes , à Annecy, à la Rochelle… Quand tu regardes un film dans l’objectif de programmer, ton regard est forcément critique… Maintenant, j’ai retrouvé la position hédoniste du spectateur, je choisis les films que j’ai envie de voir, je ne suis plus dans la position du programmateur. Mon rapport aux films est essentiellement lié à l’envie, au plaisir.
Quelle est l’année de naissance de l’association Ecrans VO ? J’ai trouvé deux dates, 1995 et 2002 … Peux-tu nous dire ce qui a été à l’origine de cette création ?
1995, c’est le centenaire du cinéma. Le Conseil Général du Val d’Oise a demandé aux salles d’organiser des petits évènements pour fêter cet anniversaire. Nous avons donc créer l’association Ecrans VO dans le but de fédérer l’action des salles de cinéma du Val d’Oise. Ensuite l’association est tombée en sommeil jusqu’en 2002. Entre-temps, les premiers multiplexes sont apparus, le Mégarama de Villeneuve la Garenne est créé en 1996. C’est un total bouleversement du paysage cinématographique. Le maire de Saint Gratien est devenu président du Conseil Général. Il décide d’appliquer une politique d’aide aux salles. En 2000 un poste de chargé de mission «images et cinéma» est créé puis en 2002 je deviens directeur de l’association Ecrans VO qui renaît de ses cendres. Le dénominateur commun aux salles est l’accueil du «jeune public», l’une des premières missions de l’association a donc été d’organiser avec l’Education Nationale et la DRAC des actions telles que «école et cinéma» et «collège au cinéma». Les projets développés avec les salles sont à géométrie variable. Chaque cinéma a une histoire, une situation et des locaux spécifiques. L’association est un lieu de débat où des problématiques communes sont discutées ( régulation des multiplexes, passage au numérique, nouveaux rythmes scolaires…). L’association permet de faire vivre un réseau qui est bénéfique à tous.
Une autre mission essentielle d’ Ecrans VO est l’organisation du festival «Image par image» qui en est cette année à sa treizième édition.
Dès 1996 nous avons organisé un mini festival d’animation à Saint Gratien à la demande de directeurs d’école qui souhaitaient que leurs élèves puissent se construire une réelle culture cinématographique. Nous avons été rejoints très vite par le cinéma d’ Argenteuil pour l’organisation de ce festival à destination essentiellement des scolaires. Avec la nomination d’un chargé de mission «images et cinéma» au Conseil Général, une dynamique territorial s’installe. Le cinéma « Les toiles » bénéficie d’une subvention pour élargir le festival à tout le Val d’Oise. Lors de la première édition, en 2001, 10 salles de cinéma sont concernées. Le festival devient donc départemental et « tout public ». Nos premiers invités sont les réalisateurs belges, Vincent Patar et Stéphane Aubier pour leur série de courts métrages « Pic Pic André Shows ».
» Pic Pic André » Vincent Patar et Stéphane Aubier
Le chargé de mission, Olivier Millot, organise en parallèle du festival, une grosse exposition à l’abbaye de Montbuisson sur le cinéma d’animation. Lorsque je deviens directeur d’Ecrans VO en 2002, l’organisation du festival revient à l’association.
L’une de ses particularités est d’être un festival sans prix, je ne vais donc pas te demander d’établir un palmarès. Toutefois y a t-il eu des rencontres particulièrement mémorables au cours de ces treize années ?
Oui, bien sûr, les noms de Jean-François Laguionie et d’Isao Takahata me viennent tout de suite à l’esprit. Mais ce dont je me souviens surtout c’est le sentiment de grande liberté que je ressens lors du festival. J’accompagne les réalisateurs sur les routes du Val d’Oise à la rencontre du public. On est dans le concret, j’ai besoin de ça. Je me souviens particulièrement d’une rencontre entre des scolaires et les réalisateurs suédois, Uzi et Lotta Geffenblad. Un programme de courts métrages était proposé aux enfants de maternelle. Le matin nous étions à Villiers le Bel, lors de l’échange avec la salle, on demande aux enfants quels sont ceux qui sont déjà allés au cinéma. Sur une centaine d’enfants, un seul doigt se lève ! On demande à l’enfant quel film il avait vu. Il nous répond «La même chose qu’aujourd’hui, c’était hier avec le centre de loisirs».
» Les pierres d’Aston » d’Uzi et Lotta Geffenblad, 2007
Au fil des années, un lien de fidélité s’établit, je pense notamment à Pierre Luc Granjon, j’ai toujours un immense plaisir à le retrouver. Je me souviens aussi de l’émotion ressentie par Koji Yamamura lors d’une projection scolaire, c’était la première fois qu’il voyait son film avec un public enfantin.
Par tes engagements multiples, professionnels ou bénévoles, tu es devenu une figure reconnue du monde de l’animation. Comment est née cette passion de l’image animée ?
Il y avait plusieurs ciné clubs en 16 mm à Noisy-le Roi et Bailly où j’ai découvert dans des salles combles beaucoup de films comme les « 7 samourais » de Kurosawa ou « Les dents de la mer » de Steven Spielberg. Peu de films d’animation passaient au cinéma et c’est surtout par le biais de la télévision que je les ai découverts : le clip « Love is all » des studios Halas et Batchelor, les aventures de l’ours Colargol, «La traversée de l’Atlantique à la rame» de Laguionie…
Mon premier film en salle a été comme beaucoup d’enfants un Disney, Robin des bois. Mais c’est quand j’étais directeur des Toiles, que j’ai commencé à me construire une culture liée au cinéma d’animation. Dès 1994, je suis allé au festival d’Annecy, c’était très ressourçant, réjouissant de découvrir de nombreuses oeuvres essentiellement en format court. Il y avait aussi le festival de l’AFCA à Auch puis à Bruz… Ce que j’aime dans le cinéma d’animation c’est son aspect poétique, onirique. Je fais le parallèle avec le cinéma muet, notamment les burlesques, les mots laissent de la place aux mouvements, à la musique…Le champ des possibles est ouvert, j’aime ce qui est décalé, absurde, surréaliste. Je suis fan des intermèdes animés des Monty Python mais aussi tout le cinéma d’animation britannique, du studio Aardman à Mark Baker, Joanna Quinn …
» Girls’ Night Out » de Joanna Quinn, 1987
J’ai le sentiment que les films d’animation formatent moins les spectateurs en devenir que sont les enfants. Et puis dans le cinéma en prise de vue réelle, le star-system trouble le discours. Pour moi, le cinéma, ce n’est pas uniquement les acteurs. Je suis sensible à la mise en scène, aux auteurs, aux réalisateurs.
Le festival « image par image » c’est trois semaines de programmation, d’évènements organisés dans 20 lieux différents. J’imagine que la préparation se fait très en amont. As-tu des lignes directrices pour t’aider dans son organisation ?
Le maître mot est l’anticipation. La programmation se fait par strate. La rencontre avec un auteur peut aboutir quelques années plus tard à la mise en valeur de son oeuvre lors du festival. C’est aussi un travail «main dans la main» avec les distributeurs et les producteurs, une relation de confiance s’est établie au fil des années. Notre année de travail est très rythmée, c’est un travail saisonnier. A la rentrée, en septembre-octobre, nous lançons les dispositifs nationaux d’éducation au cinéma puis à partir de novembre, nous mettons toutes nos forces dans la préparation du festival. Après le festival, nous préparons l’assemblée générale, nous réalisons les dossiers de subventions… Le travail administratif prend beaucoup de temps, on essaie de le «modéliser» pour que l’action culturelle soit la plus riche possible. Tout au long de l’année, il est important de se nourrir, de rencontrer des gens, de prendre des contacts. J’aime que mon action soit confrontée au principe de réalité, on n’est pas dans une économie de luxe.
Je ne vais pas te demander de commenter toute la programmation du prochain festival. Très arbitrairement j’ai sélectionné deux évènements sur lesquels j’aimerais que tu nous en dises un peu plus.
Le premier c’est la carte blanche au distributeur «Lardux films».
Après 10 années de fonctionnement, on était à un tournant et on a voulu donner toute son importance au travail des maisons de production. Mon engagement auprès de l’AFCA m’a fait connaître aussi d’autres problématiques de l’animation. Il existe en France une petite vingtaine de producteurs d’animation. Ils ont souvent un lien fort avec leurs auteurs. Après «Je suis bien content», «Les films de l’Arlequin» et «Autour de minuit», c’est au tour de «Lardux films» d’être à l’honneur avec une carte blanche lors de la soirée d’ouverture mais aussi avec la présence de deux auteurs, Anne Laure Daffis et Léo Marchand qui vont partager leurs secrets de fabrication sur leur nouveau film à venir « La Vie sans truc ».
« La vie sans truc » d’Anne Laure Daffis et Léo Marchand
Le deuxième est le choix de Co Hoedeman comme invité d’honneur.
Nous ne sommes pas dans une course à la nouveauté même si nous proposons quelques avant-premières et des travaux en cours. Il est aussi intéressant de ralentir le temps pour appréhender l’oeuvre d’un auteur. Il est important de refaire découvrir ce genre de réalisateur. Nous avons préparé un programme contemplatif avec Co Hoedeman et sa présence prend tout son sens par rapport à notre engagement pour les tout petits.
Co Hoedeman et Ludovic
Des projets ?
Je suis content de faire ce que je fais, je n’ai pas d’usure. Je travaille avec une équipe solide, j’aime le contact avec les élus, les spectateurs, les enseignants … Il est important aussi d’être capable de transmettre, que les choses que l’on construit puissent rester même si vous n’êtes plus là … Parallèlement à mon activité, j’envisage de faire un master de didactique de l’image à Paris 3 en 2013-2014. Il est important pour moi d’étayer par un cursus universitaire toute la connaissance pratique acquise pendant toutes ces années. Je m’intéresse particulièrement aux propositions en matière de cinéma faites aux tout petits. A terme, monter une boîte de production me tente …