Small Universe d’Erik Kessels, Arles 2014

Arles, septembre 2014

Arles, septembre 2014

Collectionneur et spécialiste de la photo amateur, Erik Kessel est un habitué des rencontres d’Arles. Cette année, ce n’est pas une installation sur la photographie vernaculaire qu’il présente mais les travaux de neuf artistes hollandais réunis sous son regard décalé …

 » Les hollandais font partie des gens les plus grands de la planète, et pourtant ils vivent dans l’un des plus petits pays du monde …  »            la suite

Présentation subjective de l’exploration de ce Petit univers.

La pièce consacrée à Hans Eijkelboom est au coeur de ce parcours. Ses toutes premières séries sont à l’honneur. Elles sont emblématiques de son travail. Hans Eijkelboom suit pour chacune d’elle un protocole dans lequel il se met en scène pour interroger son identité et ses relations aux autres.

Hans Eijkelboom, Identités, 1976

Hans Eijkelboom, Identity, 1976

Par exemple, pour la série Identity, il demande à dix anciennes connaissances les souvenirs qu’elles gardent de lui et quel pourrait être son métier actuel. Il se déguise en chacune des propositions et réalise un autoportrait en bucheron, en pilier de bar, en policier… Ses correspondants reçoivent ensuite une lettre avec ces mots : tu as complètement deviné, voici une photo de moi.

Hans Eijkelboom, tenue à 10 euros, 2005-2006

Hans Eijkelboom, 10-euro outfits, 2005-2006

La série 10-euros outfits date quant à elle des années 2000. Hans Eijkelboom se photographie dans la rue avec une nouvelle tenue dont le prix ne doit pas excéder 10 euros. Ces trente-deux nouveaux autoportraits participent aux récents travaux de Hans Eijkelboom qui interrogent les choix vestimentaires dans la construction de l’identité individuelle et collective.

Erik Fens reprend quant à lui le geste fondateur des premiers photographes ; photographier de son balcon. Ce lieu familier lui permet d’observer tout à loisir le reflet d’un arbre sur le capot des voitures garées à son pied. La fusion de l’arbre et de la voiture est à chaque cliché renouvelée. Erok Fens joue avec la qualité de la lumière, la couleur des carrosseries et le cadrage. La répétition est ici poétique… Ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre.

Erik Fens, Tree car

Erik Fens, Tree car

Face à l’oeuvre de Hans de Vries, j’ai le sentiment de me trouver face à un objet non identifié. Quelques explications s’imposent… Cet artiste atypique est actif dans les années 70. Il porte une attention accrue à certains éléments de sa vie quotidienne. Il possède avec son épouse un magnifique géranium. Généreux, ils décident de faire des boutures pour partager avec leur proche le plaisir que leur apporte cette plante.

Hans de Vries, the history of the lemon geranium

Hans de Vries, the history of the lemon geranium

Hans de Vries, the history of the lemon geranium

Hans de Vries, the history of the lemon geranium

La plante devient un vrai personnage, Hans de Vries s’informe régulièrement de l’évolution des boutures. Ses notes manuscrites et ses photos constituent le journal de bord de cette étrange lignée. Il élabore peu à peu un réseau qui n’a rien de virtuel.

Jos Houweling et Hans Van Der Meer établissent tous les deux une typologie photographique de l’espace urbain. La confrontation de leur travaux est intéressante. Jos Houweling réalise ses prises de vue dans la capitale hollandaise au début des années 70, la municipalité d’Amsterdam ayant souhaité publier un livre à l’occasion des 700 ans de la ville.

Jos Houweling, 700 cents, 1975

Jos Houweling, 700 cents, 1975

Jos Houweling dresse un inventaire à la Prévert, il prend en cadrage serré des ensembles de plaques d’égout, d’horloges, de landaus, d’habitants à leur fenêtre… Ses juxtapositions forment un ensemble très vivant où la diversité règne. Trente plus tard, Hans Van Der Meer s’intéresse quant à lui aux villes moyennes des Pays Bas.

Hans Van Der Meer, The netherlands of the shelf, 2008

Hans Van Der Meer, The netherlands of the shelf, 2008

Sa démarche est tout autre. Il prend essentiellement des places en plan large, son point de vue est légèrement surélevé. A partir de cet ensemble de photographies, il établit une typologie du matériel urbain sous la forme d’un catalogue glacé et glaçant. On est très loin de la fantaisie des années 70.

Maurice Van Es et Milou Abel explorent la relation du photographe avec son modèle. Pour l’un c’est son jeune frère adolescent réfractaire à toute photo, pour l’autre c’est une inconnue étrange repérée dans la rue. Quelle distance, quel point de vue et quelle empathie adoptent-ils pour nous raconter un moment de leur histoire ?

Maurice Van Es, New life, 2011-2013

Maurice Van Es, New life, 2011-2013

Milou Abel, I'm you, 2011

Milou Abel, Ik ben jou, 2011

Avant de se présenter sous la forme d’une installation, le projet Ik ben jou de Milou Abel a fait l’objet d’un très beau livre à double reliure. Les photographies de Milou Abel s’entrelacent avec des photographies personnelles du modèle. Le jeu de dévoilement et de recouvrement est passionnant.

Mon parcours se termine sur les visages en pleurs de Mélanie Bonajo.

Mélanie Bonajo, Thank you for hurting me, I really needed that, 2009

Mélanie Bonajo, Thank you for hurting me, I really needed that, 2009

Elle prend le contrepied de la « smile photography ». Quelle image de soi expose-t-on au regard des autres ? De quels moments de sa vie désire-t-on garder des traces ?

Je n’ai pas vu le diaporama de Sema Bekirovic à l’atelier de chaudronnerie d’Arles. De gros orages ayant perturbé l’installation électrique, le mur est resté désespérément blanc lors de ma visite. La découverte de ce projet est donc différée.

Sema Bekirovic, Koet, 2006-2007

Sema Bekirovic, Koet, 2006-2007

Je n’aurai pas à attendre longtemps car l’exposition Small Universe est accueillie pendant un mois au 104 à partir du 13 novembre. Qu’on se le dise !

Martine Ravache : comprendre et décrypter les images photographiques

Stage Martine Ravache du 4 au 6 juillet 2012

On peut être acteur de la photographie sans être photographe. Le stage photo proposé par Martine Ravache aux rencontres d’Arles est l’un des seuls à ne pas mettre la pratique photographique  au centre de la formation. C’est le regard et l’échange sur les oeuvres qui sont privilégiés. Pas de grands discours théoriques mais une succession d’exercices qui affine notre perception. Pas de réponse unique mais un processus qui enclenche un questionnement.

De multiples reproductions envahissent les tables. A partir de ce chaos d’images, chaque participant est invité, à l’aide d’une consigne précise, à regarder, observer, comparer, classer, choisir, rejeter…Toutes les propositions sont reçues, écoutées, négociées, complétées. Mettre des mots sur nos impressions, sur nos sensations est la condition de l’échange entre nous. On voit mieux à plusieurs car on ne voit pas tous la même chose !

Stage Martine Ravache du 4 au 6 juillet 2012

Stage Martine Ravache du 4 au 6 juillet 2012

Dans un deuxième temps, aiguiser notre regard c’est aussi nous permettre de découvrir une oeuvre dans une perpective historique grâce à des repères essentiels comme l’utilisation de la couleur ou le rôle de la composition. Martine Ravache met son savoir d’historienne d’art au service de nos observations. Au fil des exercices nous découvrons de nombreux photographes, le fond de la bibliothèque de l’ENSP est un recours précieux:  Julia Margaret Cameron, Rineke Dijkstra, Saul Leiter, Helen Levitt, Bill Brandt …

Mais faire un stage à Arles, c’est aussi porter un regard sur la photographie d’aujourd’hui. Plusieurs visites et rencontres de photographes sont organisées.                                    Jean-Christophe Béchet est le premier à nous accueillir dans son exposition « Accidents ».

Jean-Chritophe Béchet le 5 juillet 2012

L’appareil photographique argentique est au choeur de son travail, le choix de l’outil est capital, il ne croit pas en sa neutralité. Il compare volontiers l’appareil photographique à un instrument de musique, c’est  l’outil de création du photographe. Préparer cette exposition a été pour lui l’occasion de revenir sur ses années de pratique afin de rechercher des photos imparfaites. Depuis ses débuts, il accueille avec intérêt les accidents liés à une mauvaise manipulation ou à un défaut de fonctionnement de l’appareil. Cette intrusion du hasard est  essentiel, elle permet une rencontre entre poésie et technique.

Une deuxième exposition ne laisse aucun de nous indifférent, c’est l’exposition « Act » de Denis Darzacq au Méjan. Il présente une série de portraits de personnes handicapées depuis l’enfance. Il les révèle, les rend visibles dans des lieux qui ne les accueillent pas spontanément, il leur permet de sortir de l’hôpital pour pénétrer les galeries, les musées…Ni voyeurisme, ni compassion, les modèles ne sont pas instrumentalisés, ils sont pleinement acteurs de la photographie. Le choix de la pause et du lieu leur appartient, Denis Darzacq chorégraphie leurs corps dans un parc, une rue, au musée, à la campagne.

Denis Darzacq le 5 juillet 2012

Forte de ce stage, je continue seule mon exploration des expositions à Arles, Denis Darzacq présente une autre série, « Joueurs »,  à l’hôtel d’Arlatan. Il déplace à nouveau le corps de ses modèles, il invite en effet des comédiens à quitter le lieu clos du théâtre pour jouer dans la ville. Les deux séries s’enrichissent l’une l’autre.

"Joueurs" de Denis Darzacq Hôtel d'Arlatan Arles 2012

Lorsque je parcours l’exposition « Documents pour une information alternative », je m’arrête devant cette photographie.

J’ai encore les images de Darzacq en tête, et ce corps en déséquilibre, en représentation, me les évoque. Je m’approche du cartel et je découvre que l’auteur en est Valérie Jouve. Je connais cette artiste depuis son projet réalisé à Gennevilliers à la demande du T2G, j’aime son travail, j’aime son attention à la présence des corps dans la ville. Ancienne élève de l’ ENSP, elle présente aussi, au Parc des ateliers, des photos prises à Marseille et Jéricho, aucun cartel n’indique le lieu représenté. A nous spectateurs de prendre le temps de faire un bout du voyage avec ces habitants du monde. Les images raisonnent entre elles en fonction de nos parcours !

Le stage est fini, l’article se termine mais l’exploration photographique continue avec quelques clefs supplémentaires et surtout un désir démultiplié. Bel été !