Quarante ans après sa mort, Henri-Georges Clouzot est de retour dans sa ville natale. En écho à l’exposition organisée par son oncle au musée Galliera en 1924, L’art dans le cinéma français, l’exposition du musée Bernard d’Agesci de Niort célèbre l’art visuel en lien avec trois films cultes de la dernière période du réalisateur : Le Mystère Picasso, L’Enfer et La Prisonnière.
« Je ne suis pas un littéraire. On le dit, mais c’est faux. Quand je commence à raconter une histoire, c’est toujours en partant d’un choc visuel subi, pour aboutir à un choc réinventé, à une image déformée et quelquefois, je l’espère, efficace. » H-G Clouzot à André Parinaud, Arts, n° 552
Ce désir de donner à voir les images mentales qui l’obsèdent est une constante dans l’oeuvre du cinéaste. Cette préoccupation est-elle à l’origine de sa collaboration avec Pablo Picasso ? Le prologue du Mystère Picasso présent dans l’exposition permet de le supposer… « On donnerait cher pour savoir ce qui s’est passé dans la tête de Rimbaud quand il écrivait Le Bateau ivre… dans la tête de Mozart pendant qu’il composait la symphonie Jupiter… pour connaître ce mécanisme secret qui guide le spectateur dans son aventure périlleuse. Grâce à Dieu, ce qui est impossible pour la poésie et la musique est réalisable en peinture… »
L’article qu’André Bazin a écrit dans Les cahiers du cinéma à la sortie du film est exposé. Sa lecture est passionnante. Bazin souligne que seul le cinéma est à même de rendre compte des métamorphoses successives d’une peinture telle que la concevait Pablo Picasso. Le rapprochement entre la forme du film de Clouzot et celle des films d’animation expérimentaux m’intéresse particulièrement. Ce texte sera repris dans le recueil, Qu’est-ce que le cinéma ? édité aux éditions du CERF. … Cette conception ne fonde pas le dessin animé sur l’animation à postériori d’un dessin qui aurait virtuellement une existence autonome, mais sur le changement du dessin lui-même où plus exactement sur sa métamorphose. L’animation n’est pas alors pure transformation logique de l’espace, elle est de nature temporelle. C’est une germination, un bourgeonnement. La forme engendre la forme sans jamais la justifier… Un film bergsonien : « Le Mystère Picasso » de André Bazin, 1956
Dans L’enfer, ce n’est plus la conscience d’un artiste que Clouzot met en scène mais celle d’un personnage. Son scénario tient en une seule ligne. Marcel (Serge Reggiani) est un homme maladivement jaloux de son épouse Odette (Romy Schneider). Clouzot recherche comment traduire plastiquement la névrose de son héros.
Recherche désespérée s’il en est, l’obsession du réalisateur rejoignant celle de son personnage. Si le film n’a pu être achevé, les photogrammes et les rushs venus jusqu’à nous grâce au documentaire de Serge Bromberg sont des témoins hallucinants de ce désir de filmer l’intérieur d’un cerveau.
Après L’enfer, l’art cinétique est à nouveau sollicité pour le dernier film de Clouzot. Des oeuvres d’Yvaral, d’Antonio Asis, de Nicolas Schöffer et de François Morellet évoquent la galerie fictive de La Prisonnière.
L’exposition se termine par la reconstitution de l’appartement de Stan, le directeur de la galerie d’art joué par Laurent Tersieff. Joli cadeau offert aux visiteurs de se promener dans un décor de film composé par des oeuvres d’art ayant appartenu à Clouzot et au galeriste Daniel Cordier.