On peut tout à la fois être le maître de l’animation belge, voir son oeuvre entrer dans un musée de son vivant et écrire un premier roman. Raoul Servais qui a fêté ses 90 ans le premier mai dernier était cette semaine l’invité d’honneur du centre Wallonie-Bruxelles et du Forum des images pour accompagner la sortie de son roman graphique « L’éternel présent ». La projection du documentaire de Rudy Pinceel, les conversations publiques animées par le passionné Louis Héliot et la projection d’une sélection de sa filmographie offraient une occasion rare de rencontrer ce grand artiste.
Louis Héliot et Raoul Servais au centre Wallonie-Bruxelles 18/09/18
J’ai été frappée par la sincérité de cet homme qui exprime avec force sa révolte contre toute forme de totalitarisme, sa joie à s’emparer de crayons pour dessiner, son plaisir à chercher des techniques d’animation mais aussi la fatigue, l’ennui qui peut le saisir lors de la fabrication de ses films. Le roman graphique L’éternel présent est « la correction » de son long métrage Taxandria sorti en 1994. La réalisation de ce premier long métrage ne s’est pas passé comme il le souhaitait, il a dû composer avec l’économie du cinéma en prises de vue réelles et faire des compromis tant sur le scénario que sur les techniques utilisées. Lors d’un entretien en 2010 avec le site Cinergie, il est revenu longuement sur cette expérience.
Fort heureusement le film n’a épuisé ni l’histoire de Taxandria ni l’énergie de Raoul Servais. Après la BD de Schuiten et Peeters Souvenirs de l’éternel présent sortie en 2009, nous pouvons maintenant découvrir l’histoire de cette dystopie telle qu’elle avait été imaginée par son créateur lors de l’écriture de son premier scénario. Je nous souhaite une bonne lecture !
Intriguée par le logo animé qui annonce les courts métrages des contes de la mère poule, j’ai été ravie d’assister à la conférence donnée par Bamchade Pourvali au Forum des images le mois dernier sur l’Institut pour le Développement Intellectuel des Enfants et des Adolescents, l’institut iranien Kanoun. Particulièrement intéressée par les liens entre les livres illustrés et le cinéma d’animation, j’ai choisi dans cette très riche présentation des oeuvres d’artistes qui sont à la fois illustrateur et réalisateur.
L’idée première de l’institut Kanoun, créé en 1964, était de favoriser la traduction, l’édition et la diffusion de livres en direction de la jeunesse à travers un large réseau de bibliothèques. Les bibliothèques se sont rapidement transformées en centre d’art proposant des activités artistiques de plus en plus variées aux enfants ; cinéma, musique, danse, théâtre… Un des premiers livres marquant de l’institut a été la création en 1967 de l’album Le petit poisson noir par l’écrivain Samad Behrangi et l’illustrateur Farshid Mesghali.
Le petit poison noir est un être de désir, il veut savoir comment se termine le cours d’eau dans lequel il vit avec sa mère. Contre l’avis de cette dernière, il décide de suivre le fil de l’eau et d’atteindre l’océan. Au cours de son voyage il fait de nombreuses rencontres avec différentes créatures qui peuplent la rivière… Pour Bamchade Pourvali, cet album introduit l’une des philosophies essentielles de l’institut Kanoun, inviter les enfants à sortir de leur cadre habituel pour aller à la rencontre de la vie.
Ce récit initiatique est accompagné de magnifiques linogravures de l’artiste Farshid Mesghali qui réalisera par la suite le premier dessin animé produit par le Kanoun, Agha-ye Hayoola (M. Monstre) en 1970. Petit poisson noir remporte en 1969 le grand prix du livre pour enfants de Bologne.
Le deuxième album présenté par Bamchade Pourvali est Les corbeaux de l’écrivain Nader Ebrahimi et de l’illustrateur Noureddin Zarinkelk.
L’illustration de la couverture rappelle le court-métrage du dessinateur Chaval, Les oiseaux sont des cons, que devait connaître Noureddin Zarinkelk ayant étudié l’animation en Europe auprès de Raoul Servais. Les fleurs du tapis est un autre album réalisé par ce duo d’auteurs. L’illustration, d’un style très différent de l’album précédent,est un hommage à l’art du tapis iranien.
Le premier film réalisé en Iran par Noureddin Zarinkelk est un petit bijou surréaliste qui enchaîne à un rythme trépidant de multiples métamorphoses : le penseur de Rodin côtoie la statue de la Liberté mais aussi un mollah et une femme voilée.
Quatre plus tard, il réalise Amir Hamzeh et le Zèbre qui est une oeuvre majeure selon Bamchade Pourvali. Ce film rassemble de nombreux éléments de la culture iranienne : les miniatures, la musique, la danse et aussi la figure du diable…
Un autre artiste fondateur du Studio d’animation Kanoun est Ali Akbar Sadeghi, les miniatures iraniennes et les légendes du Livre des Roissont à la source de ses illustrations et de ses films.
Le dernier film d’animation présenté est l’oeuvre du cinéaste Sohrab Shahid-Saless qui s’inspire directement de la technique de la pixilation inventée par Norman McLaren.
Tous les films réalisés dans le cadre de l’institut Kanoun, quelque soit leur durée, étaient accompagnés à leur sortie par une affiche. C’est Abbas Kiarostami qui est l’auteur de celle du film de Sohrab Shahid-Saless, un bel exemple de son talent de graphiste.
Abbas Kiarostami, Noir et blanc, 1972
Pour ceux qui aimeraient continuer cette découverte… De nombreux courts métrages d’animation réalisés dans le cadre de l’institut Kanoun ont été édités en DVD par les distributeurs suivants : Les films du préau, Les films du Whippet et Les films du paradoxe.