Un été et la photographie : expositions, publications…


Théâtre de la photographie et de l'image à Nice, Juillet 2012

Journal de bord des rencontres avec la photographie au cours de mon périple d’été. Seule la première étape, Arles, était planifiée. Les autres découvertes ont été le fruit du hasard des lieux de vacances, de Nice à la Roche-sur-Yon, de Nantes au Domaine de Chamarande.

ARLES

Après le choc des photos sur les gitans de Koudelka exposées à l’église Sainte Anne, je me plonge dans l’essai de Jean-Pierre Montier : « L’épreuve totalitaire ». Ce livre, essentiel, me permet d’inscrire cette série dans l’ensemble de son oeuvre et de dépasser une vision superficielle liée au folklore de ce peuple.

"L'épreuve totalitaire, Josef Koudelka" Jean-Pierre Montier, Delpire, 2005

« Jamais il ne verra dans les Gitans un paradis perdu. Il ne les idéalise pas, ni ne se prend pour l’un des leurs. Il faut au contraire qu’il leur demeure étranger. Ils sont le gage de sa survie, sa pierre de touche du réel. »

La présentation, dans le choeur de l’église, des maquettes des différentes éditions de l’album « Gitans » est passionnante. L’implication de Koudelka dans ses photographies va bien au-delà de la prise de vue. 37 ans après la première publication réalisée avec la complicité de l’éditeur Robert Delpire, Koudelka assume seul la nouvelle version, il enrichit sa sélection d’une quarantaine de photos, propose de nouvelles relations entre elles. Cette édition fait évènement mais surtout elle montre que les photos de Koudelka résistent au temps, gage de leur qualité si l’on en croit les critères confiés par l’auteur lui-même lors d’un interview réalisé en 1985 par Hervé Guibert :

« Il y a des photos claires qui sont sorties immédiatement, et des photos plus secrètes qui ont besoin de temps pour émerger. La confirmation d’une bonne photo, c’est le temps… Les bonnes photos vieillissent très bien. Une bonne photo est celle que je peux regarder longtemps sur un mur. »

"Gitans - La fin du voyage" Koudelka, Delpire 1975

"Gitans" Koudelka, Delpire 2011

C’est dans un deuxième lieu de culte désaffecté, la chapelle Saint Martin du Méjan, que j’ai mon deuxième choc photographique, Sophie Calle y présente son projet « Pour la dernière et la première fois ». A l’étage, dans un espace et une lumière magnifiques, Sophie Calle expose la troisième partie de son travail sur les Aveugles commencé en 1986. En 2010, elle a rencontré à Istanbul des aveugles qui ont perdu la vue par accident, elle leur a demandé de décrire la dernière image qu’ils ont vue. Textes et photos s’entrecroisent et se répondent, ils rendent sensibles, au delà d’une expérience traumatisante, des liens qui existent entre la mémoire et le récit, le réel et les images mentales. En 1986, c’est à des aveugles de naissance que Sophie Calle avait demandé quelle était pour eux l’image de la beauté, la première réponse reçue évoquait la mer. C’est cette mer qui fait l’objet au rez de chaussée d’un autre travail réalisé avec Caroline Champetier. Sophie Calle a accompagné des hommes, des femmes et des enfants qui découvrent pour la première fois la mer. Filmés de dos, nous sommes invités à vivre avec eux cette expérience inédite, le temps est suspendu jusqu’à l’instant où ils se retournent et regardent dans notre direction sans nous voir.

Au fil des expositions j’ai découvert avec intérêt le travail de Pentti SammallahtiAurore Valade, Jonathan Torgovnik, Julien Dumas

None Ethnie, © Julien Dumas

Programmation éclectique qui m’a permis de partager ma passion des images avec trois adolescents curieux aux goûts affirmés. L’exposition thématique « Mannequin, le corps de la mode » a retenu particulièrement leur attention. A la fin de la visite, chacun a présenté aux autres la photo qui l’avait le plus intéressé, une belle occasion de revoir des images par le regard de l’autre.

Grâce à eux , je ne suis pas passée à côté de ce « trou » dans un mur de la Grande Halle, qu’est-ce donc ?

Grande Halle, Sténopé, Arles 2012

Derrière le mur, une pièce noire, c’est un sténopé géant ! Répartition rapide des rôles, pendant que les uns admirent les images produites, les autres réalisent leurs rêves les plus fous, comme marcher sur les mains sans se fatiguer !

Solène et Arthur, Arles 2012

Mais Arles, c’est aussi une épreuve physique, excellente préparation pour crapahuter sur les sentiers du Mercantour.

Pierre, Arthur, Clément, Solène, Arles 2012

NICE

Depuis 1999, Nice a un lieu consacré à la photographie, le théâtre de la photographie et de l’image. Jusqu’au 7 octobre 2012, c’est l’oeuvre de Stéphane Couturier qui est à l’honneur. J’avais rencontré le travail de cet artiste lors de la préparation d’un atelier au Jeu de Paume sur la ville et ses transformations, j’ai été ravie d’avoir une vision plus ample de son parcours. De ses photos graphiques, dépouillées, de lieux vides, à sa nouvelle série « Melting point » où le regard se perd dans des superpositions d’images, son travail se renouvelle tout en étant très cohérent.

Exposition Stéphane Couturier, TPI Nice, été 2012

Exposition Stéphane Couturier, TPI Nice, été 2012

Une exposition et un lieu qui m’ont enchantée ! Les affiches des expositions passées me font regretter d’habiter si loin de Nice ; Sarah Moon, August Sander, Plossu et Georges Rousse… Pour ce dernier, je me console en achetant, à la boutique, le catalogue de son exposition au prix de 4 €. Son travail à la station Lebon y est présenté ainsi qu’un interview fort intéressant :

TPI Nice, été 2012

« J’ai toujours aimé marcher dans l’arrière pays Niçois et j’aime toujours faire découvrir à mes amis ces paysages secs de la vallée des merveilles. Dans cette montagne, on trouve aussi des fortifications désertées, symbole de la frontière et des limites du territoire, mais ouvertes aux vents, qui étaient un terrain de jeux durant les vacances d’été et qui m’ont donné le goût des bâtiments abandonnés. »                                                                     Belle invitation pour la suite de notre voyage !

LA ROCHE-SUR-YON

D’Est en Ouest, de la montagne à la mer, notre route passe  par la préfecture de la Vendée. Dès notre arrivée sur la place Napoléon, nous sommes accueillis par de grandes reproductions accrochées aux façades, excellent moyen pour susciter la curiosité des passants que nous sommes.

Australie de Thibaut Cuisset, la Roche-sur-Yon, été 2012

Looking north, 545 eight avenue New York City, Vera Lutter, la Roche-sur-Yon, été 2012

Toutes les oeuvres originales appartiennent au musée ou à l’artothèque de la ville. Nous commençons par le musée qui présente jusqu’au 2 septembre la première partie d’un cycle intitulé  » Cosa mentale, Paysages(s) ».

Musée de la roche-sur-Yon, été 2012

C’est le Paysage-Document qui est mis à l’honneur dans les trois salles du musée, l’exposition très pédagogique, présente différentes écoles qui se sont emparées de cette thématique : la New Topography américaine, l’école allemande avec les incontournables Becher, les commandes liées à la mission photographique de la DATAR et l’approche canadienne avec notamment Jeff Wall.

"Silos à Charbon", Bernd et Hilla Becher, "Parking lots", Edward Ruscha, musée de la Roche-sur-Yon, été 2012

Je m’attarde particulièrement sur le travail de deux artistes qui présentent leur travail sous forme de diptyque, interrogeant ainsi le lien entre l’espace et le temps. Tout d’abord, la photographe italienne, Paola Di Pietri. Un couple marche sur un pont, leurs pas s’accordent, ils semblent être en pleine conversation, ils marchent vite, c’est l’hiver. Quelques instants plus tard, la photographe les a, à nouveau, saisi en décalant légèrement son point de vue, ils semblent avoir ralenti, l’espace entre eux s’est réduit, leurs regards se portent sur un point qui nous est inaccessible, le paysage derrière eux présente une autre rive…

Paola Di Pietri, musée de la Roche-sur-Yon, été 2012

Ce dyptique fait partie d’une série Dittici présentée sur le site de la Galerie « Les filles du calvaire », série énigmatique et poétique que j’ai eu beaucoup de plaisir à découvrir.

La démarche de Joachim Koester, est tout autre. Il sélectionne des paysages mythiques de l’histoire de la photographie conceptuelle et les revisite quelques quarante ans plus tard. Nous voyons par exemple une photographie de Robert Smithson réalisée en 1967 pour son texte « Monuments of Passaic » accolée à une vue actuelle du même lieu.

Joakim Koester, Musée de la Roche-sur-Yon, été 2012

La juxtaposition « avant-après » est toujours fascinante, la fugacité s’inscrit ici dans le long terme. Joakim Koester participera à la prochaine exposition du Palais de Tokyo, les Dérives de l’imaginaire, l’occasion de continuer à découvrir son travail…

Mais mon véritable coup de coeur a lieu à la médiathèque Benjamin Rabier devant les oeuvres de Laura Henno.

Exposition Laura Henno, médiathèque/artothèque de la Roche-sur-Yon, été 2012

On est troublé face à ces corps tout juste sortis de l’enfance, leur présence pleine de mystère est d’une grande intensité, fiction ou réalité ? Est-on au cinéma devant la petite soeur de Mona jouée par Sandrine Bonnaire dans « Sans toit ni loi »? Est-on face au travail d’une photo-journaliste ? Laura Henno brouille à dessein nos repères en décalant les liens attendus entre le fond et la forme. L’utilisation de la lumière favorisant un effet « entre chien et loup » renforce notre incertitude. Cette exposition « Summer Crossing » réalise un tour de France depuis 3 ans, il s’achèvera à la fin de l’année dans 3 lieux différents, le CRP de Douchy-les-Mines, la Galerie Municipale du Rutebeuf à Clichy et la Galerie Les filles du calvaire. Le dossier de presse de l’évènement comporte un interview de l’artiste très éclairant mais je vous conseille de le lire après la découverte des images !                            L’exposition de Laura Henno est l’occasion d’explorer la médiathèque, le département « art-cinéma » consacré à l’image me laisse sans voix ! Heureux habitants de la Roche-sur-Yon, outre une bibliothèque d’art et une vidéothèque, ils ont accès à une artothèque qui leur permet d’emprunter des oeuvres originales ; estampes, oeuvres uniques sur papier et photographies… J’en rêve !

NANTES

Les vacances touchent à leur fin, invitée à Noirmoutier, je m’offre une petite prolongation très agréable, je foule avec plaisir les plages si chères à Agnès Varda et je ne résiste pas à l’invitation d' »Un voyage à Nantes« .

"La plage de Barbara", Noirmoutier, été 2012

L’installation d’Agnès Varda « Des chambres en ville et des téléviseurs » est en deux parties. La première, la « boutique des téléviseurs », évoque le décor de la boutique tenue par Michel Piccoli dans Une chambre en ville. La sélection des films qui passent en boucle sur des téléviseurs d’époques variées ne provoque pas grand chose en moi. Sympa mais sans plus ! J’ai juste à nouveau l’envie très forte de réouvrir mon coffret DVD Jacques Demy pour revoir le film.

"Boutique des téléviseurs" Agnès Varda, Le voyage à Nantes, été 2012

Il faut sortir du Passage Pommeraye pour accéder à la deuxième partie « La chambre occupée » ( paroles de squatteurs) et là, c’est tout autre chose ! Nous pénétrons par petits groupes dans un immeuble désaffecté au 14 rue Santeuil, nous grimpons jusqu’au deuxième étage pour pénétrer dans un appartement ouvert qui évoque un squat. Dans la pièce principale, un four à micro-ondes, un matelas et un poêle symbolisent trois besoins essentiels ; manger, dormir, avoir chaud. Trois vidéos sont insérées dans ces objets, Agnès Varda donne la parole à des squatters qui partagent avec nous leurs difficultés et leurs débrouillardises. Assis sur des grosses malles en fer, nous accueillons dans un silence attentif leurs voix.

"La chambre occupée", Agnès Varda, Le voyage à Nantes 2012

En sortant, des articles de presse et des documents accrochés au mur se superposent à la vision, vue de haut, du Passage Pommeraye, étrange confrontation de la misère et de la consommation.

Passage Pommeraye, été 2012

DOMAINE DE CHAMARANDE

Cet été aura associé étroitement les plaisirs liés à la nature et à la culture. Pour fêter mon retour, une petite visite au Domaine de Chamarande s’impose ; envie de marcher, de pique-niquer et de se laisser surprendre par des oeuvres qui introduisent justement la nature dans l’art. Il faut oser pousser la porte de l’Orangerie pour pénétrer dans une pièce sombre, deux immenses portraits se font face. Nous sommes invités par une guide fort sympathique à nous approcher de l’un d’entre eux pour découvrir que l’image est impressionnée sur un semis d’herbe. Les deux artistes anglais, Ackroyd et Harvey, ont réalisé leur travail in situ, mettant à l’honneur deux employés du domaine ; la commissaire de l’exposition et un agent du domaine, un autre face à face « culture-nature ».

"Face to face" Ackroyd et Harvey, Domaine de Chamarande, été 2012

"Face to face" Ackroyd et Harvey, Domaine de Chamarande, été 2012

L’oeuvre est éphémère, en perpétuelle transformation, le vert d’origine a séché, rendant la révélation des portraits encore plus émouvante. Comment seront-ils le 30 septembre ?