Pierre-François Maquaire, créateur du site Heeza

Betty Boop, Snow White, 1933, http://archive.org/details/bb_snow_white

Betty Boop, Snow White, 1933,  http://archive.org/details/bb_snow_white

A quelques pas de la place de la République rénovée, se trouve un lieu insolite. Pour le découvrir, il faut pousser une lourde porte qui ne s’ouvre que pour les initiés (code), franchir un long couloir et sortir dans une arrière-cour décorée avec de très belles plantes vertes et des poubelles, vertes elles aussi ! Sur la gauche se trouve l’antre de Doc Heeza, une véritable caverne d’Ali Baba pour les fous d’images, chaque m2 est utilisé.                                       Mi-entrepôt, mi-magasin, ce local accueille tout ce qui touche de près ou de loin à l’image animée : livres, DVD, jouets optiques… Mais qui se cache derrière ce pseudonyme de Doc Heeza ? Pierre-François a accepté, non sans quelques réticences, de se dévoiler, un peu !

Se présenter en quelques mots…

Passionné de cinéma, d’illusions optiques, de BD, j’ai essayé d’en faire mon métier en devenant projectionniste. Après une période de chômage, j’ai décidé de créer Heeza.

Qu’est-ce qui a été le plus formateur pour toi dans ton enfance ?

J’ai beaucoup joué avec des projecteurs. J’ai récupéré un vieux projecteur 9,5 mm qui était chez ma grand-mère, il fonctionnait à l’origine sur du 110 volts. Je passais des Charlot et je m’amusais à faire le bruitage, les voix…  J’ai aussi filmé mes copains en super 8. J’aimais ça ! J’étais aussi un gros lecteur de BD. J’étais très content quand mes parents m’emmenaient voir le Walt Disney qui sortait tous les ans. Je me le passais et repassais dans ma tête, il n’y avait pas de magnétoscope pour les enfants…

Bambi des studios Disney, 1942, ressortie France décembre 1969

Bambi des studios Disney, 1942, ressortie France décembre 1969

Une image qui t’accompagne …

La belle et la bête de Cocteau. Ce film m’a beaucoup impressionné quand je l’ai vu à la TV tout petit. Je ne comprenais pas la fin, que ce soit le même comédien qui joue Avenant, la bête et le prince !

Jean Marais dans "La belle et la bête" de Jean Cocteau,  1946

Jean Marais dans « La belle et la bête » de Jean Cocteau, 1946

Quand ma fille ainée a eu 6/7ans, je l’ai emmenée voir le film au cinéma. Elle s’est posée les mêmes questions que moi à son âge. On en a parlé pendant plus d’une semaine. C’est sympa un film qui traverse des générations de spectateurs. J’aime beaucoup les trucs cinématographiques utilisés par Cocteau : les ralentis, la projection en marche arrière, les métamorphoses …

Quel diplôme as-tu passé pour te prévaloir du titre de « Doc Heeza », spécialiste certifié dans l’image animée ? Plus sérieusement quel a été ton parcours avant la création du site ?

A 16 ans, j’ai été apprenti chez un photographe de Nancy. Je me suis présenté à lui avec plein d’envies, je faisais déjà beaucoup de photos. J’ai vite déchanté, je ne faisais que balayer et préparer les produits, je m’ennuyais ferme. Un jour, le patron a fait un reportage dans une usine pendant trois jours et il m’a demandé, pour une fois, de développer les négatifs. Au moment de rincer le premier jeu de négatif, j’ai utilisé involontairement une eau trop chaude et j’ai détruit son travail. L’attaque étant la meilleure défense, je suis parti en claquant la porte. J’ai rejoint mes parents à Nantes, j’ai trouvé un boulot d’ouvreur dans un cinéma de la ville et de fil en aiguille, je suis devenu projectionniste. J’étais heureux de travailler dans un cinéma, je pouvais aller dans les cabines de projection, je pouvais voir autant de films que je voulais. J’ai adoré cet univers … Mon patron a ouvert un cinéma art et essai classé recherche. J’ai quitté le Katorza pour le Cinématographe.

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J’ai beaucoup observé le travail des projectionnistes, j’ai appris sur le tas. J’ai passé deux fois mon CAP. La première fois, j’ai eu la théorie mais pas la pratique. Ayant toujours été un fainéant et n’aimant pas les examens, je n’ai pas voulu le repasser tout de suite. Finalement, pour être mieux payé et avoir une reconnaissance de ma pratique, je l’ai repassé et cette fois-ci, je l’ai eu ! Le Cinématographe est un très beau ciné, il est dans une ancienne chapelle.

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J’ai arrêté d’être projectionniste en arrivant dans la région parisienne, j’ai bossé pendant un an chez un distributeur de BD à Paris. J’ai appris pas mal de choses sur la distribution et j’ai voulu me lancer à mon tour dans cette aventure.

L’année prochaine tu fêteras les 20 ans d’Heeza, quelles ont été les principales évolutions du site depuis son origine ?

Au départ, Heeza n’était pas un site, Internet n’existait pas pour le grand public. Je travaillais à la maison, je réalisais tous les trois mois un document qui était moitié catalogue, moitié fanzine. Photocopié au départ puis imprimé, je faisais tout ! Le rédactionnel, la maquette, le mailing, la mise sous plis, le suivi des commandes… Dans chaque numéro, il y avait mon portrait caricaturé, un acrostiche, des news, des réponses humoristiques aux remarques de mes lecteurs et bien sûr la présentation des nouveaux produits. J’envoyais à peu près 2000 documents papiers. En 98, Internet est arrivé. Pendant quelques temps, les deux moyens ont coexisté mais pour des raisons de coût, j’ai dû abandonner le catalogue papier.

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Pour me faire connaître, je faisais des salons comme les Cinglés du cinéma à Argenteuil et j’essayais d’avoir des articles dans la presse. J’ai eu des coups de pouce sympathiques. Par exemple, Jérome Bonaldi a parlé deux fois d’Heeza dans l’émission Nulle Part Ailleurs. J’ai pu voir concrètement l’impact des médias, mes ventes ont explosé à la suite de ces diffusions ! Lorsque Internet s’est développé, j’ai appris tout seul le langage Html, j’ai réalisé la première version de mon site. Mes compétences ont été vite dépassées, je ne savais pas par exemple gérer une base de données, je me suis donc fait aider pour la deuxième version. Si je n’ai pas fait la structure technique de mon site, par contre je sais le faire vivre, c’est moi qui le remplis, je m’occupe du contenu. Puis, j’ai eu beaucoup de demandes de clients qui souhaitaient voir les objets, les tenir en main. J’avais aussi envie de rencontres. J’ai ouvert le local près de République en 2005.

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Nous sommes nombreux à désirer percer le mystère du nom du site, peux-tu nous dire ce qui se cache derrière ce nom énigmatique ?

Lorsque j’ai créé la SARL, j’ai pensé l’appeler en référence directe avec les produits proposés, quelque chose comme «Mondo Cartoon». Mon père, fin businessman, m’a suggéré de choisir un nom plus générique, qui ne reflétait pas l’activité. Si dans 6 mois mon projet capotait et que je voulais vendre du fromage, tout ne serait pas à refaire ! Je ne me souviens plus comment je suis tombé sur le personnage du Colonel Heeza Liar  (jeu de mot he’s a liar) mais il m’a plu. C’est le héros de la première série animée américaine, il est fortement inspiré de Théodore Roosevelt.

Colonel Heeza Liar's Ancestor, 1924

Colonel Heeza Liar’s Ancestor, 1924

Et puis, comme la mère de mes enfants s’appelle Isabelle, j’avais une raison très personnelle d’aimer ce nom. En plus, il sonne bien, plein de noms sur Internet avaient deux voyelles à cette époque, pour une fois, j’étais à la mode !

Je ne vais pas te demander ton chiffre d’affaire mais arrives-tu à vivre d’Heeza ?

Non, je suis obligé de travailler à côté ! D’ailleurs, je lance un appel aux lecteurs de cet article, si vous avez un boulot pour moi, je suis preneur ! Je suis un fainéant contrarié, je ne rechigne pas devant l’effort …

Peux-tu nous décrire une de tes journées types ?

En arrivant au local, je vais voir sur Internet si j’ai des commandes, je les prépare, je suis l’as de l’empaquetage ! J’attends le client ! Je fais des pages pour mon site, par exemple, en ce moment je prépare la présentation d’une vingtaine de flipbooks réalisée par des étudiants de l’EESAB ( école européenne supérieure d’art de Bretagne). Je surfe à la recherche d’idées de nouveaux produits. En fin de journée, je vais à la poste envoyer mes colis.

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Cette «routine» est parfois rompue par des visites inattendues. Peux-tu nous partager quelques rencontres qui t’ont marquées ?

J’ai été très impressionné par la visite d’un grand magicien, Philippe Socrate. Il m’a fait découvrir les boîtes à secret. J’ai d’ailleurs beaucoup de magiciens qui viennent m’acheter des flipbooks. J’ai aussi des artistes, le réalisateur Koji Yamamura est venu deux fois. Je reçois aussi des gens du cirque, des collectionneurs, des profs… Beaucoup de gens qui font des ateliers avec des enfants ! Je trouve ça sympa !

Que penses-tu de l’anagramme entre «magie» et «image» ?

J’en pense rien, il fallait la trouver ! C’est Méliès qui a fait du cinéma un spectacle car il était un magicien. J’ai beaucoup aimé un très court interview de Méliès qui parle de la première projection des Frères Lumière. Lorsqu’il est arrivé, la projection était bloquée sur une image fixe, il ne comprenait pas ce qui était extraordinaire, il connaissait depuis longtemps les lanternes magiques puis subitement l’image s’est mise à bouger, waouh ! On peut écouter sa voix nous raconter cette anecdote sur le site de l’Ina. Quand j’étais petit je voulais être magicien ou clown…

Les cartes vivantes de Georges Méliès, 1904

Les cartes vivantes de Georges Méliès, 1904

Commerçant et passionné ; équilibre fragile, défi quotidien. Qu’est-ce qui te motive à continuer l’aventure ?

Je ne sais rien faire d’autre. Heeza fait vraiment partie de moi. Si je devais arrêter, ça ferait un grand vide. C’est pas la moitié de ma vie mais c’est beaucoup quand même. Tant que je le pourrai, je le ferai !

Paul Graham au Bal

Point de vue de la série " The present" de Paul Graham, le Bal, 13/10/2012

La première qualité d’un photographe est d’avoir quelque chose à nous dire. A n’en pas douter, Paul Graham nous interpelle, dans sa première série, Beyond Caring (1984-85), sur un sujet essentiel, l’exclusion sociale et économique dans l’Angleterre sous Thatcher. Paul Graham était chômeur lui-même lorsqu’il a pris des vues des salles d’attente des centres sociaux remplies d’hommes et de femmes dépendant d’une allocation chômage pour vivre. Paul Graham a contourné l’interdiction de prendre des photos en posant son appareil sur ses genoux ou sur un banc à ses côtés, provoquant un cadrage de guingois. Que voit-on dans ces photos? Partout un décor identique, seule la couleur des bancs change. La lumière des néons, les mégots sur le sol et les murs tapissés de consignes soulignent le dénuement de ces lieux. Les corps sont en attente, appuyés contre un mur ou le plus souvent assis dans une grande variété de positions. Chacun semble enfermé dans sa solitude, on est très loin des représentations des luttes collectives qui se jouent, elles, dans la rue. Le format des photos, l’utilisation de la couleur renforcent cette volonté de rendre visible une réalité que l’on refuse bien souvent de regarder en face. Le site de Paul Graham donne accès à une sélection de cette série.

On retrouve cette même force plastique (grands tirages, couleurs lumineuses) dans la deuxième série présentée au sous sol, The present (2011). Paul Graham vit désormais à New-York, il s’inscrit cette fois-ci dans une longue tradition photographique, capter le mouvement des rues new-yorkaises. L’accrochage, magnifique, présente essentiellement des diptyques, deux prises de vue d’un même lieu se succèdent dans un temps très court comme deux photogrammes d’un film. L’accrochage minimaliste invite le spectateur à prendre le temps d’observer le moindre changement entre deux prises de vue, d’imaginer l’entre-deux et de se glisser dans l’interstice offert. Je m’arrête devant le diptyque « Wall street ».

"Wall street" de Paul Graham, 2010, Le Bal, 13/10/2012

C’est le panneau de circulation « No standing anytime » qui retient mon attention. Je traduis cette injonction non pas aux voitures mais aux piétons qui arpentent ce coin de rue. Le mouvement est imposé, le temps de pause interdit ! La femme au manteau beige, l’homme à la chemise blanche et celui à la cravate et au portable obéissent, figures en mouvement qui entrent et sortent du cadre. L’homme au sac à dos, lui, s’est arrêté sur la deuxième image, ses deux pieds sont posés fermement à plat sur le sol. Qu’est-ce qui a retenu son attention au point de figer son mouvement ? Son regard est dirigé vers le panneau et l’employé qui prend une pause cigarette. Est-il ravi de cette résistance à la frénésie du temps, est-il prêt à dénoncer cet employé qui s’accorde un moment de répit ou bien a-t-il vu ou entendu quelque chose qui est en hors-champs, inaccessible à tout jamais pour nous spectateurs ?

Ayant en début de semaine présenté le travail de Georges Méliès à un groupe d’enfants, notamment sur sa découverte fortuite lors d’un arrêt de caméra qu’un omnibus pouvait se transformer en corbillard, j’ai l’impression de retrouver dans les diptyques  de Paul Graham un clin d’oeil au truc favori de Méliès, le truc par substitution.

"E53rd Street" de Paul Graham, 2010, Le Bal, 13/10/2012

L’exposition de Paul Graham est accompagnée d’un rendez-vous hebdomadaire au Cinéma des Cinéastes. Samedi dernier, la salle était comble pour la deuxième partie de « Filmer New York, les formes d’une ville ». C’est le travail de la cinéaste Marie Menken qui a retenu le plus mon attention dans le flot d’images projetées. Pour représenter New York, elle est allée jusqu’au bout de la logique de fragmentation utilisant la technique de l’animation « image par image » provoquant ainsi un étrange ballet frénétique. Le réel est réinterprété, les vues de dessus d’un chantier se transforment en un immense flipper, les cadres vont au travail en glissant…


 

Hugo Cabret

Metropolitan Film Export

Le roman graphique de Brian Selznick, l’invention de Hugo Cabret m’a enchanté. J’ai aimé cette histoire, mélangeant fiction et réalité. Je me suis attachée à ce jeune orphelin, Hugo, qui tente de survivre dans les couloirs et pièces secrètes de la Gare Montparnasse, occupé à remonter les lourds mécanismes des pendules et à redonner vie à un étrange automate. Sa rencontre avec Méliès et la filleule de ce dernier, la jeune Isabelle, m’a précipité dans le cinéma des origines avec sa magie, ses rêves et ses désillusions. Mais plus encore que l’histoire c’est le traitement narratif qui a retenu mon attention. En effet, l’originalité du roman réside dans l’alternance entre les mots et les images qui prennent en charge l’histoire à tour de rôle. Les dessins en noir et blanc, très réalistes semblent être des extraits d’un storyboard. Ils sont déjà du cinéma !

"L'invention d'Hugo Cabret" Brian Selznick

J’étais très impatiente d’en voir l’adaptation réalisée par Martin Scorsese. Impatiente mais aussi craintive, la bande annonce m’avait fait peur, peur de la grosse machine hollywoodienne !

Il m’a fallu quelques minutes pour entrer dans le film. Est-ce l’effet de la 3D mais j’ai eu dans un premier temps le sentiment d’être dans un parc d’attraction plutôt qu’au cinéma. Puis la magie a opéré… Faire un spectacle « grand public » est le plus bel hommage que l’on pouvait rendre à Georges Méliès. Le film montre très bien que le drame de ce grand cinéaste a été la défection du public face à ses oeuvres. Scorsese leur redonne une nouvelle vie.

SI Scorsese respecte le fil de l’intrigue du roman, il prend quelques libertés avec les personnages. Etienne, le jeune homme passionné de cinéma disparaît, son rôle de passeur avec lui ! C’est Hugo dans le film qui prend sa place et qui permet la première rencontre entre Isabelle et le cinéma. La complicité entre les deux jeunes héros est ainsi renforcée.

Hugo et Isabelle

L’épouse de Méliès, Mamie Jeanne, est plus présente à l’écran que dans le roman. De même, Scorsese invente une très jolie fleuriste qui humanise l’inspecteur de sécurité et il crée de toute pièce des amoureux âgés qui ponctuent le film de véritables sketches ! Leurs teckels finissent eux aussi par vivre en couple !

Mais comme dans le livre, le couple vedette est celui formé par Hugo et Méliès. Après l’antinomie, c’est la symbiose qui fonde leurs liens, tous les deux sont des « réparateurs », ils réparent des mécanismes compliqués mais aussi les erreurs, les fautes. On retrouve le thème de la rédemption cher à Scorsese.

Méliès et Hugo

Selznick a introduit dans son roman des dessins, des photographies d’époque. Scorsese reprend ces citations et les développe. La fiction lui permet de reconstituer des scènes de Méliès en y ajoutant la magie de la 3D, la scène de l’aquarium est une petite merveille, les dessins qui s’animent comme des thaumatropes en est une autre ! L’hommage au cinéma des origines est compatible avec l’utilisation de la 3D,  Scorsese comme Méliès cherche à faire rêver le public, tous les moyens sont bons pour nous entraîner dans  » l’invention des rêves ».

Le retour à la réalité est rude ! Le quai de la ligne 4, station  « Les halles » m’offre tout de même une promesse inattendue, mes yeux s’attardent sur une affiche du 104 annonçant des spectacles, performances et installations d’illusion et de magie nouvelle !

Les vacances de Noël vont être belles !

C' magic au 10