Valentin Rebondy, gérant de la société de distribution « Cinéma Public Films »

2014 - Animation VR - PAT ET MAT

Valentin présente les marionnettes de Pat & Mat

En écoutant Valentin me parler de son travail j’ai vite réalisé que j’avais en face de moi un distributeur atypique. Grâce à cet entretien, j’ai pu me faire une idée plus précise de son rôle dans le parcours d’un film, de la conception jusqu’à la salle de cinéma. Classiquement le distributeur joue un rôle d’intermédiaire entre le temps de la production et celui de l’exploitation. Son coeur de métier est la gestion de la promotion et de la commercialisation des films. La société « Cinéma Public Films » assume un rôle d’une plus grande ampleur lié sans doute à leur spécificité d’être un distributeur indépendant de programmes pour la jeunesse. À vous maintenant de le découvrir !                 

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Peux-tu te présenter en quelques mots ?

Je suis gérant de la société Cinéma Public Films, j’ai cette fonction depuis 2009 mais je travaille dans la société depuis 2001. Je cumule vingt-trois années d’ancienneté en y ayant fait toutes les tâches. Ma fonction actuelle consiste essentiellement dans la recherche de nouveaux films, je m’occupe donc des acquisitions, du financement et de tout ce qui touche à la gestion. Je ne m’ennuie jamais, j’ai un travail gratifiant. Il est important pour moi de trouver du sens à ce que je fais et d’y prendre du plaisir.                                                                    Je ne suis pas seul, heureusement j’ai une super équipe. Il ny a pas de rôles et de tâches secondaires. Notre fonctionnement est collégiale, il est important que chacun se sente investi dans l’entreprise. Par exemple, je soumets le choix des films qui vont entrer dans notre catalogue à toute l’équipe. C’est un bon test, quand un film fait l’unanimité, généralement c’est bon signe. On passe beaucoup de temps avec les films, c’est important de les aimer.

Quest-ce qui a été le plus formateur dans ton enfance ?

Les arts martiaux chinois que j’ai pratiqués de 12 à 24 ans à peu près. Mon seul diplôme post-bac est celui décerné par le temple Shaolin. Après le bac je suis allé dans ce monastère pendant trois semaines. Nous étions dix jeunes de toute la France à participer à ce séjour. J’ai ressenti un vrai choc culturel, la Chine est un autre monde. J’ai vu des gamins de six ans totalement investis, leurs parents les confient au monastère, ils pratiquent les arts martiaux pendant huit heures chaque jour et ils étudient le matin et le soir comme les autres écoliers. J’ai vu ce que ça coûte pour atteindre le niveau dont je rêvais.                                             La pratique du Kung-Fu m’a structuré. J’ai appris à me fixer des objectifs et à me donner les moyens de les atteindre. L’état d’esprit martial repose sur des valeurs. Une des premières est le respect de l’adversaire. C’est un sport de combat, un contre un, il faut apprendre à gagner. L’adversaire, c’est ton premier ennemi, l’autre c’est toi même. Il faut réussir à exprimer une certaine violence sans animosité, savoir défendre et attaquer. La recherche de l’excellence est liée  à l’honnêteté, jouer en respectant les règles. Au delà des combats, le Kung-Fu est aussi une performance artistique. Le Taho Lu avec ses enchaînements de figures est une forme de théâtre. Tu joues un rôle.

Temple de Shaolin

Le temple de Shaolin

Une image qui taccompagne…

C’est une demande difficile… L’image à laquelle je pense est liée à un souvenir, à un deuil, celui de mon grand-père paternel. C’est le jour où on l’enterre. Je suis avec mon père, nous marchons sur un petit sentier près d’Alès, il me tient la main, il me parle. Il veut me faire comprendre que le temps passe et qu’il vaut mieux ne pas trop le gâcher. Mon père n’a pas dit ou n’a pas entendu quelque chose de son père. Maintenant il est trop tard, c’est terminé,  il n’y aura pas d’autres occasions. Je ne me souviens pas exactement des mots qu’il a prononcés, mais le message était «  Si tu as quelque chose à dire, dis-le, n’attends pas. »Ces mots ont influencé mon rapport au monde et aux gens. Je ne m’embarrasse pas de relations qui ne me sont pas nécessaires. Le compteur tourne, ça n’est pas grave mais c’est bien d’en être conscient. Quand il il y a des choix qui se posent, je m’interroge sur ce qui compte vraiment.

Ta première rencontre marquante avec le cinéma ?   

Une des premières séances de cinéma dont je me souviens est une projection de Bernard et Bianca. C’était dans une salle parisienne, j’étais avec ma grand-mère. La séquence de l’envol sur le dos de l’albatros m’a marqué. Je pensais qu’ils n’allaient jamais y arriver. Le temps était suspendu à leur envol !

Je me souviens aussi que j’étais très mal installé, assis sur le fauteuil rabattable. Si je me mettais au fond du siège je ne voyais que le haut de l’écran. Je suis resté toute la séance      en équilibre instable sur mon siège, les deux mains agrippées au fauteuil devant moi. C’était la seule solution pour bien voir l’écran.

Que fais-tu après le bac en dehors du Kung-Fu ?

Je voulais être animateur. Petit, mon rêve était d’aller bosser chez Disney. Je visais les Gobelins mais je suis entré à l’école Penninghen. Ça a été une claque, je me suis trouvé face à un encadrement sadique, j’ai été confronté à des élèves super bons. Ma confiance en a pris un coup.  Depuis mon enfance, mon entourage louait les flip-books que je réalisais et là c’est la désillusion.                                                                                                             Je n’étais pas prêt à passer du dessin loisir au dessin professionnel, à accepter les contraintes, à renoncer à ce que j’aimais faire. J’ai arrêté au bout de trois mois. J’écoute alors les conseils de mon grand-père maternel, Jacques Atlan, et je m’inscris à la Sorbonne au département de cinéma mais l’enseignement y est très théorique, moi ce que je voulais c’est dessiner. La fac ne me convient pas non plus, j’arrête très vite et je vais travailler dans la société créée par mon grand-père.

En l’intégrant tu perpétues une histoire de famille ?

Mes parents divorcent lorsque j’ai 7/8 ans, mon grand-père maternel devient un appui. Il va faire ma formation. Je lui dois pas mal de mes convictions personnelles, de mon rapport au monde.

parents communistes

Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents communistes, Jean-Jacques Zilbermann, 1993

Tu connais le titre du film Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents communistes ? Et bien c’est ça ! Le facteur humain est essentiel, je l’ai vérifié partout. Un bon projet doit permettre à chacun de s’épanouir. Il ne faut pas s’enfermer dans une logique uniquement mercantile. Cette conviction est une transmission familiale. Mon grand père crée la société de distribution Cinéma Public Films en 1989. Le nom de la société  est une « Triforce » ! Le Cinéma est à la fois un lieu et un art. Le mot Public a lui aussi plusieurs sens.  Il renvoie à la dimension de service public de la culture. Le cinéma est un bon moyen de faire nation et de vivre ensemble. Public, c’est le contraire de privé, un film doit être à tout le monde. Tout faire pour que le plus grand nombre ait accès au cinéma librement. Le mot renvoie aussi au public de la salle. Quant au mot Film il évoque pour moi la pellicule, l’objet, le médium qui va permettre de raconter et de partager une histoire.                                         Le projet initial de mon grand-père était de s’adresser à la jeunesse en complétant l’offre de distribution notamment en soutenant de nombreux films étrangers. Toujours cette idée essentielle  d’ouverture sur le monde. J’ai vu plein de films ouzbeks, kazakhs, iraniens, lettons. J’ai découvert Le roi des masques qui m’a profondément marqué. C’est un film historique, un de ceux qui a le plus marché dans notre catalogue. Il y est toujours. Il est aussi entré très tôt dans le catalogue d’École et Cinéma.

Le roi des masques

Le Roi des masques, Wu Tain Ming, 1995

Le premier film sorti en salles par la société a été Les aventures de Pinocchio de Luigi Comencini. Mon grand-père a trouvé une copie du film dans les archives du Vatican.

Pinocchio

Les aventures de Pinocchio, Luigi Comencini, 1972

En 1997, vingt-cinq ans après sa sortie, Cinéma Public Films ressort le film Avoir vingt ans dans les Aurès de René Vautier. Le film avait été détruit par la censure mais un projectionniste en avait caché une copie.

Avoir 20 ans

Avoir 20 ans dans les Aurès, René Vautier, 1972

Les films sont des gestes artistiques mais aussi des actes militants.

À quel moment te confie-t-on la barre de la société ?

2008 est une année difficile pour la société. Des films ne marchent pas bien. On a des difficultés financières. Les films qualifiés Jeune Public sont la béquille de l’entreprise. Je pousse à privilégier ce secteur. C’est quitte ou double, on n’avait pas grand chose à perdre, c’était ça ou la boîte coulait. Jérémy Bois un copain de collège me rejoint.

Valentin et Jérémy Bois deavant les décors du programme "Le jardinier qui voulait être roi", 20122012

Valentin Rebondy et Jeremy Bois devant les décors du Jardinier qui voulait être roi, 2012

Ce sont les programmes de courts métrages d’animation qui font tourner la société. De façon pragmatique nous décidons de les développer. De plus, l’animation m’a toujours fasciné. C’est une forme cinématographique complète. J’aime sortir du monde réel et découvrir d’autres univers. En 2008 nous sortons Le bal des Lucioles et autres courts, un programme de quatre courts métrages de marionnettes du studio letton AB (Animācijas brigāde). C’est avec lui que nous posons le prototype de ce qui deviendra l’identité de la société « nouvelle génération ». Mais c’est en 2005, trois ans auparavant, que l’idée d’accompagner la sortie des films en salles apparaît. Lors de la première édition de Mon Premier Festival j’accompagne avec l’équipe du film la sortie des Trois mousquetaires, le deuxième long métrage du réalisateur letton Jãnis Cimmermanis. L’équipe a apporté des marionnettes du film, personne parmi eux ne parle français, j’improvise une animation dans la salle de cinéma et ça cartonne, les gens sont fascinés.

Les trois mousquetaires

Les 3 mousquetaires, Jãnis Cimmermanis, 2005

Nous faisons soixante interventions dans les salles dont une à Villers Cotterêts, la ville de naissance d’Alexandre Dumas. Le public et les responsables de salles sont enthousiastes.
Pour Le bal des Lucioles et autres courts je fais une tournée de six mois avec les personnages des courts métrages. Je parcours toute la France, je découvre la diversité des salles de cinéma. Tous les soirs je téléphone à Jérémy et je lui partage les rencontres de la journée. En 2009 pour le programme L’ours et le magicien on fait un tour de France ensemble. On ajoute les décors aux marionnettes, il nous faut louer un utilitaire. Quand les gens nous voient arriver, ils nous prennent pour des fous mais ils sont ravis. C’est la première fois qu’ils voient des distributeurs accompagner leurs films et les faire vivre en salle de cette façon. Nous avons organisé plus d’une dizaine de tournées, notre connaissance des besoins des salles s’est enrichie, nous sommes devenus un distributeur de proximité. On a redressé la société et on a payé toutes nos dettes. Il nous a fallu dix ans pour tout reconstruire, tout en respectant les fondations solides liées à l’histoire de la société.

Les toutes petites créatures

Les toutes petites créatures, Lucy Izzard, 2024

Dans votre catalogue vous avez des programmes clés en mains comme ceux de la société de production Les films du Nord….

Oui, des sociétés de production nous proposent des programmes déjà construits. Depuis 2016, nous accompagnons les programmes de La Chouette des films du Nord. Un huitième programme, Chouette, un jeu d’enfants !, sortira en octobre. Nous n’avons pas de contrat d’exclusivité qui nous lie avec Les films du Nord, je veux être choisi à chaque fois. La liberté et l’indépendance sont des valeurs que je défends.

Films du nord

Des relations anciennes fondées sur la confiance sont présentes dans notre catalogue. Nous avons rencontré il y a 10 ans au Festival de Berlin les producteurs tchèques de Pat & Mat.      Nous allons sortir notre cinquième programme en septembre avec eux.

Pat & Mat

Pat et mat

Ciné-concert et atelier avec Pat & Mat

C’est un programme qui a beaucoup de succès. Pat & Mat sont des ambassadeurs pour la société. Nous avons créé des valises avec un décor et des fac-similés de marionnettes pour que les salles puissent mettre en place des ateliers en autonomie. C’est aussi avec ce programme que nous avons organisé nos premiers ciné-concerts.

Vous concevez aussi des programmes inédits. Le rêve de Sam et autres courts qui est entré dans le catalogue du dispositif « Maternelle au Cinéma » est à l’origine de cette interview. Peux-tu nous raconter sa conception ?

Le rêve de Sam et autres courts est sorti en mars 2019. J’ai commencé à travailler dessus au cours du printemps 2018. Comme souvent sur ces projets il y a un film qui m’a plu, que je garde dans un coin de ma tête. Je cherche ensuite des films qui pourraient coexister avec lui à partir d’un thème, d’une ambiance, d’une tonalité … Dans l’idéal un programme a une durée de 45 minutes. Tant que le programme n’est pas complet, il est en mouvement. Un nouveau court métrage peut tout bouleverser…
Lorsque je découvre Le rêve de Sam au … où ? dans quelles contextes ? je vois l’angle sous lequel je vais travailler, ça sera : accomplir son rêve, un voyage, aller jusqu’au bout d’un projet, d’un désir. Ce programme est très personnel, il fait écho à des moments que j’ai vécus, je m’y retrouve.                                                                                              Pourquoi tous ces personnages qui ne lâchent pas l’affaire me plaisent ? Pourquoi me parlent- ils ?                                                                                                                                    Je connaissais déjà Jonas et la mer de Marlies Van Der Wel. Sam et Jonas se ressemblent, leurs films dialoguent entre eux. Les deux personnages expriment leur rêve en objectifs. Ils ont eu une vision qui les pousse à tout faire pour la concrétiser dans leur monde respectif. Le personnage du renard dans Le renard et la baleine voyage autant dans sa tête que physiquement. Son voyage intérieur se traduit par un déplacement. Il marche, il se balade tout en rêvant. Il exprime ce que j’aime de l’état de conscience, la coexistence du rêve et de la réalité. Dans le monde réel, au moment de l’éveil, on garde en nous ce qui nous anime pendant le sommeil, notre capacité à rêver. Le rêve est infusé dans notre réalité. Cela renvoie au Yin et Yang de la philosophie chinoise. Le renard a une inspiration. Contrairement à Jonas et Sam il n’expose pas un objectif. Son réel est pénétré par le rêve. C’est un contemplatif, cet état ouvre les portes de son imagination qui peut se suffire à elle-même. L’exécution d’un projet n’est pas une fin en soi. Les maisons de Home Sweet Home font elles aussi un voyage. Pour elles, ce n’est pas un voyage solitaire, elles sont ensemble. La fin du film est le début d’autre chose. C’est aussi comme ça que je conçois la séance de cinéma. Le temps de la projection on voyage avec une histoire, des personnages, des émotions, un imaginaire qui résonnent en nous.                                                                                             

Le rêve de Sam

Le rêve de Sam, Nolwenn Roberts, 2018

Pour finir notre échange j’ai envie de te demander comment tu vois la suite du voyage pour la société Cinéma Public Films ?

Aujourd’hui je suis embêté, j’ai un problème de riche, j’ai beaucoup de chantiers en cours mais pas assez de place dans ma programmation. On sort six programmes par an. La rançon du succès est que l’on reçoit beaucoup de propositions et en parallèle il y a tout ce que j’ai déclenché avec différents producteurs. Comment leur expliquer que leurs films ne sortiront au mieux que dans deux ou trois ans ? Je vais devoir faire des choix mais je n’ai pas envie d’abandonner des projets qui me tiennent à coeur. La co-distribution est peut être la solution. J’envisage cette possibilité avec beaucoup de sérénité. L’important pour moi est que les films soient exploités comme je l’envisage. Peux-tu expliciter ?                                              J’ai trouvé ma place, je suis celui qui met en avant, qui fait valoir le travail des réalisatrices et des réalisateurs.

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